La facétie principale de The Witness est qu’il adopte une forme d’une simplicité confondante. Seul sur une île, le joueur incarne un personnage lambda, propulsé dans un environnement à la palette visuelle tirant sur le fluo. La particularité des lieux est de proposer l’accès à des centaines de panneaux, qui sont autant de petites énigmes à résoudre. Des puzzles dont le fonctionnement est on ne peut plus basique – tracer une ligne continue entre ou autour de(s) symboles – mais qui reposent par lots sur des concepts de résolution différents, se recoupant régulièrement. C’est sur ce point que The Witness n’est pas un énième jeu de réflexion ou un ersatz d’aventures cryptiques à la Myst. Là où l’avancée se fait souvent de façon linéaire par la découverte de solutions, un puzzle en amenant un autre, le jeu s’emploie à faire de l’apprentissage une clé sans cesse renouvelée. L’île étant ouverte, l’absence de pistes pour un obstacle n’est pas une fatalité durant les premières heures. Si une énigme se révèle trop complexe ou que le joueur manque d’indices, il peut toujours se jeter dans les fourrés et marcher en forêt jusqu’à trouver d’autres panneaux qui lui semblent plus à même d’être déchiffrés. Une approche originale qui paraît de prime abord antithétique avec le système classique de la progression par zones, symbolisant chacune une étape dans la difficulté, mais qui fait vite la preuve d’une idée de game design brillante, l’apprentissage dilué.
En soi, il n’y a pas de tutorial dans The Witness ; le joueur est lâché, il essaye de se débrouiller avec ce qu’il perçoit et engrange des connaissances. Ses nouveaux codes s’appliquent à une partie des puzzles, tandis que d’autres lui résistent, jusqu’à en connaître une nouvelle fois le décryptage. Mais jamais le jeu ne donne un indice sur la viabilité de ce que le joueur pense juste et vérifié. C’est à lui d’observer, d’apprendre, de synthétiser ses connaissances dans ce qui apparaît comme un tuto géant et tentaculaire où les règles évoluent sans cesse. Une réinvention vivante et fascinante qui peut laisser sur le carreau, notamment certains puzzles bien retors qui resteront hermétiques aux personnes qui ne maîtrisent pas certaines notions de couleurs par exemple, mais qui jette au visage l’énorme travail accompli. Non seulement pour donner à la progression ce niveau si organique, mais surtout pour avoir su diversifier autant des énigmes axées sur une approche minimaliste. Tout dans The Witness fait partie de la résolution, décor, teintes, ombres. Le jeu lui-même est une résolution.
[nextpage title=”L’île au trésor”]
Les réflexions qu’il développe, jamais personnelles, surgissent dans le gameplay, reprenant la grammaire spécifique du jeu vidéo, la narration par l’interaction. Qu’elles prennent la forme d’une relation macroscopique-microscopique à la Carl Sagan, d’une idée de la recherche de preuves prenant le dessus sur la « foi aveugle » chez Clifford, d’une absurde simplicité pouvant accueillir une immense complexité, toutes les pistes données dans The Witness se retrouvent dans la manière d’appréhender l’île et les puzzles. Le réveil de la logique, de l’observation, de la curiosité préparant à la fois au discours et aux diverses solutions. Une oscillation rare dans le jeu vidéo, qui participe non pas à lui donner de quelconques lettres de noblesse, mais la preuve une nouvelle fois de sa capacité à transmettre un certain savoir sans user de faux intellectualisme ou se révéler chiant. Par sa beauté formelle, sa conception et son humanisme profond, The Witness vaut d’être parcouru. Même s’il rebute ou donne des élans de violence, il aura simplement raté sa cible, ce qui n’est au final pas si grave. Chacun écoute ce qu’il a envie d’entendre.
The Witness, disponible sur PC et PS4
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