Projet basé lors de son lancement sur une histoire abandonnée de Kurosawa, laissée de côté depuis, Nioh dépeignait déjà à ses débuts le destin d’un étranger sur le sol sacré japonais. Samouraï par procuration, ce dernier se nomme aujourd’hui William Adams et bénéficie du soutien inespéré d’esprits bénéfiques dans sa quête. Une aventure pas très fine, racontée avec le sens de la narration labellisé Team Ninja, c’est à dire proche d’une certaine vision du nanar. Le bon vieux Bill arpente donc les montagnes et vallées d’un Japon à la frontière de l’époque Edo, traversé de mythes et de légendes où les yokai font partie de la faune. Au gré de quelques petits points sur une carte du monde parcheminée, le joueur avance de mission en mission, de quête principale en quêtes secondaires – pas bien passionnantes mais toujours différentes – dans un fonctionnement en niveaux. Dès cet instant, le parallèle avec Dark Souls prend un coup de naginata dans l’aile. Et ce n’est que le début.
En tant qu’enfant à problèmes, Nioh s’est trouvé face au besoin de dénicher rapidement une figure parentale forte pour ne pas finir en pension. Celle-ci s’est présentée sous les traits de la série des Souls de Miyazaki, fiancée à Onimusha. Des inspirations qui se remarquent dès les premières minutes de jeu avec un système similaire d’ « âmes » à collecter, des petits temples comme autant de feux de camp, et les joies de l’invasion de guerriers aux teintes rougeâtres. Précis et implacable, Nioh réutilise également ce rapport de force entre observation et apprentissage, résumé par le « git gud » (sois bon) de Dark Souls. Mais malgré tous ces liens qui forment une belle pelote d’opportunisme, le jeu de la Team Ninja se détache vite de cette logique commerciale pour s’aiguiser.
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Chaque affrontement est un challenge à part entière, les ennemis ne fonçant que peu tête baissée, privilégiant la protection et l’esquive. Forcément, des patterns se dessinent au fur et à mesure des rencontres, mais ils ne sont que des indices sur la façon d’aborder le duel, jamais un sésame infaillible. Nombreux, ces créatures folkloriques et ces gardes zélés sont souvent espacés de quelques malheureux mètres et la fuite n’est pas une solution viable. Avec leur aggro bien pété, ces pots-de-colle suivent le joueur longtemps avant de lâcher prise, ce qui fait naître des situations gênantes, où le simple échange de taloches entre gens de bonne compagnie se transforme en une mise à mort à un contre 5. La progression est donc malheureusement plus hachée que dans un Souls, même avec une maîtrise du système de combat.
D’autant que le level design labyrinthique n’aide pas du tout à dénicher une route de secours en cas de coup dur. Bien moins inspiré que celui d’un Souls ou d’un Bloodborne, il manque de lisibilité et de raffinement, ne donnant jamais cette impression viscérale de cohérence dans la progression. Autre indice allant en droite ligne d’une vérité crue : Nioh est un Ninja Gaiden. Moins intense que ses cousins, il en reprend le goût de sang dans la bouche après une erreur de positionnement, la crampe du contre loupé et surtout la sensation jouissive de domination du bon enchaînement. La victoire est ici celle du bushido, où l’approche est déjà un ticket vers la joie ou la mort.
Une grande partie du gameplay de Nioh repose sur les gardes, hautes, moyennes ou basses. Bases du kenjutsu, ces différentes techniques donnent la possibilité d’engager le combat avec plus ou moins d’avantages et d’inconvénients. Dans la pratique réelle par exemple, la garde basse autorise un coup vers la main adverse plus aisé, mais sacrifie la mise à distance de son opposant avec la pointe du katana, propre à la garde moyenne. Déjà retranscrit avec un brio un peu sec dans le fascinant Bushido Blade, ce système est ici simplifié en trois grandes « familles », la position haute, propice aux coups puissants et distants mais qui pompe dans la barre d’endurance comme un poivrot, la moyenne, équilibrée et enfin la basse, amoindrissant la perte d’endurance pendant une protection mais pas dingue niveau puissance dans la contre-attaque. Un ensemble d’éléments à prendre en compte à chaque instant, sachant que les ennemis ne se privent pas de modifier leur style en plein combat. Tout se joue alors sur un fil ténu entre l’esquive et l’attente, donnant aux affrontements une saveur rappelant Soulblade avec une touche de Way of the Samurai. Et même si ce name-dropping laisse penser que le gameplay est d’une lourdeur pachydermique, il n’en est rien : Nioh reste d’une souplesse étonnante.
Un miracle qui s’opère grâce à la subtilité de la touche R1, permettant de conserver quelques miettes de la jauge d’endurance si elle est pressée au bon moment. Les enchaînements peuvent alors se révéler plus longs que prévu, demandant une attention constance, à la fois sur les mouvements de l’ennemi et sur la fenêtre de « rechargement ». Un petit plus qui paraît innocent, mais qui change tout face aux adversaires les plus retors. Car chacun d’entre eux dispose aussi d’une certaine fatigue et épuiser leurs forces revient à les immobiliser quelques secondes, nécessaires à une mise à mort rapide. Comme le théorisait Miyamoto Musashi, il faut savoir où se battre et tirer parti du caractère de son ennemi. Une approche de beat’em up originale et intéressante qui offre au jeu une dimension supplémentaire à celle de simple suiveur un peu masqué. Et Nioh vaut surtout pour cette expérience de la science du sabre brillante en milieu hostile. Il n’a ni l’équilibre fait de dentelle d’un Dark Souls, ni la classe d’un Bloodborne, pas non plus une grande intelligence dans son level design, mais balance le joueur dans du combat marquant, qui prend aux tripes et dépayse. La beauté fugace d’un challenge brûlant qui aurait fait perdre des centaines d’euros dans une borne d’arcade il n’y a pas si longtemps, mais avec la rigueur froide d’une chorégraphie d’épéiste.
Nioh, sur PS4, 60 euros environ, disponible à partir du 7 février
NB : les visuels qui illustrent ce test sont des visuels éditeurs
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