La découverte de Enter the Gungeon est une sorte de checklist des instants marquants du jeu vidéo de ces dernier(e)s mois/années. Binding of Isaac, Nuclear Throne, la série Souls, le gratin salé du milieu semble avoir été réuni de force dans le jeu de Dodge Roll Games. La tentation visible du rip-off généralisé pousse à froncer un sourcil et oblige à une moue dubitative, jusqu’à ce qu’un sourire fasse son apparition et que les yeux s’ouvrent grand pour chasser ce sentiment. Malgré un pedigree assumé et bien visible, Enter the Gungeon affiche rapidement son propre univers et un game design malin. Dans les deux cas, les mots d’ordre sont « cohérent et débile ». Tout dans le contexte proposé tourne autour de l’arme à feu, de la progression dans le donjon par le biais d’une balle envoyée dans une chambre, à la religion qui sous-tend ce monde, en passant par les ennemis qui sont eux aussi des munitions plus ou moins stylisées. La rudesse des lieux est telle que le pauvre explorateur n’est jamais à l’abri de se faire attaquer par une balle de 7 mm tenant dans ses petits bras un AK-47 qui tire lui-même ce type de munition. Une mise en abîme qui fait de sacrés trous dans la caboche. Quatre aventuriers doivent pourtant plonger dans cette poudrière afin de récupérer le très bondien pistolet d’or dont la particularité est de tuer le passé. Un art radical de la métaphore qui s’inscrit totalement dans une mythologie originale et attachante.
A la manière de Nuclear Throne, chacun des héros jouables dispose de capacités uniques suffisamment différentes pour que le joueur puisse définir rapidement sa manière d’appréhender le donjon. Par sa nature de rogue-like, Enter the Gungeon pousse au perfectionnement par la répétition et il se dégage une tendance suivant la manière de gérer sa descente dans les tréfonds. Si le Marine dispose par exemple d’un bonus d’armure utile pour les premiers runs plein de tâtonnement, le mode berserk de la prisonnière peut sauver la vie face à un boss retors. Tout dépend de l’avancée du joueur et de son confort avec un personnage en particulier, sans qu’aucun ne soit fondamentalement meilleur qu’un autre : tout est une histoire de feeling. Et malgré la taille réduite du casting, les capacités se complètent, même si l’ensemble manque de folie, surtout au regard des armes disponibles. Cette grande force du système de jeu occupe tant l’espace qu’elle en vient justement à minimiser les caractéristiques spécifiques des personnages, car une fois bien armés, les différences tendent à trop se réduire.
Véritable moteur de progression, les armes, ou plutôt les engins tant certains ne ressemblent à rien de connu, apparaissent aléatoirement dans les étages du donjon, généré(e)s au petit bonheur la chance à l’image des niveaux eux-mêmes. Si des patterns se dégagent dans la conception des paliers après plusieurs – grosses – dizaines de passages, il en est tout autrement des armes, qui mettent un bon bout de temps pour arrêter de surprendre le joueur. D’autant qu’il est possible d’en rajouter à une liste déjà imposante par le biais d’un magasin, accessible après avoir libéré un des prisonniers du « gungeon ». Allant de la plus classique carabine de chasse de tonton au potentiel imaginaire réduit, à un lanceur d’oreiller un peu plus sexy, et molletonné, les outils dont le joueur dispose peuvent changer l’expérience de jeu de manière drastique. Là est tout l’intérêt d’un rogue-like, mais Enter the Gungeon est tellement généreux dans sa folie que le plaisir de la découverte surpasse parfois celui de l’efficacité. Aussi chargée qu’un râtelier de Men in Black, la liste des armes impressionne autant par son nombre que par son inventivité. Régulièrement équipé de plus de 4 ou 5 type de flingues, le joueur doit savoir les utiliser à bon escient, tant les munitions sont rares. Une certaine retenue intelligente qui empêche une sur-utilisation et donc une lassitude. Les armes puissantes et/ou débiles conservent alors leur caractère exceptionnel et agissent comme de véritables bonus et sources d’expérimentation. Et, affables dans leur envie de tuer tout ce qui ne ressemble pas à une balle, les ennemis aident, chaque seconde, à tester les limites de son arsenal.
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Intégration intelligente, cette propension à remplir l’espace vital de boulettes, lasers et projectiles en tous genres permet au joueur de profiter du terrain, qui devient alors un élément important du game design. Renverser une table pour se planquer, attendre dans le coin d’un mur qu’un adversaire montre sa douille, devant la démesure de certaines attaques, ces réflexes de film d’action 90’s deviennent la base de la survie. Des recoins qui ne suffisent pas toujours, tant certains ennemis s’avèrent mobiles et tendus de la gatling, forçant le joueur à utiliser sa deuxième arme secrète, la roulade. Offrant une première frame d’invincibilité, cette cabriole est indispensable à maîtriser, en priorité contre les boss où les planques sont au mieux légères, au pire inexistantes. Demandant un temps, souvent mortel, pour se relancer, ces acrobaties sont l’équivalent de la manœuvre d’esquive d’un shoot’em up, pratique, mais qui ne retire pas l’importance de la navigation entre les tirs, science qu’il faut apprendre ou réapprendre au sein de situations calamiteuses, mais suffisamment bien dosées pour conserver une lueur d’espoir au milieu de la frustration. D’une rare exigence, Enter the Gungeon pousse sans cesse au vice tant les ressources et la collecte d’armes s’avèrent vitales pour dépasser ne serait-ce que le deuxième niveau.
Le jeu pose d’épineuses questions en rafales : ouvrir la porte du boss tout de suite ou attendre de trouver d’autres équipement, quitte à perdre un très précieux cœur dans sa barre de vie ? Mélanger des armes intéressantes dans ce coffre-mixeur pour en obtenir une peut-être meilleure mais avec moins de munitions ? Économiser son argent pour un prochain marchand mieux loti au risque de tout perdre ? Un ensemble de réflexions qui suivent et déstabilisent le joueur aussi bien qu’un missile téléguidé. Et dans ce flot de choix, aucun ne sera vraiment le bon, mais tous auront eux aussi l’étincelle nécessaire à déclencher l’envie d’y retourner. Enter the Gungeon sait parfaitement ménager ses effets et s’il est moins dense qu’un Binding of Isaac, ou moins nerveux que Nuclear Throne, il resserre son identité sur une efficacité frappante et un délire constant, qui oscille d’animations amusantes à des situations on ne peut plus épiques. Des moments où la prise en main joue sa vie, et où rien de bien méchant n’est heureusement à signaler. Jouable aussi bien à la manette qu’au duo clavier/souris, le jeu est précis, malgré une légère inertie dans la visée, parfois déstabilisante mais qu’il suffit d’apprivoiser. Bourré de mystères, de surprises et d’intensité, Enter the Gungeon est l’un des bras armé au sourire taquin d’un style de jeu où la moindre erreur d’équilibrage peut tuer l’intérêt dans l’oeuf. Il la dépasse d’une roulade en proposant une des meilleures expérience du genre, pas d’une originalité folle dans le fond, et un peu en dèche de personnages au casting, mais efficace, foisonnante et carrée.
Enter the Gungeon, disponible dès aujourd’hui sur PC, 15 euros environ
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