Autoproclamée métaphore sur la traversée du désert d’Adam Orth, Adrift est un projet débuté il y a environ 3 ans, incluant également un autre ancien de Microsoft, Omar Aziz. A la tête du nouveau studio Three One Zero, les deux compères conçoivent donc ce qui doit ressembler à un FPS, sans la nervosité et les thématiques guerrières qui y sont souvent accolées. Ce qui s’appelle affectueusement aujourd’hui un simulateur de promenade. Mais les sentiers arpentés ici n’ont pas de directions, d’indications ou de cul-de-sac. Seule dans une station spatiale démembrée par un accident mystérieux, Alex Oshima, jeune commandante de la mission, n’a pas beaucoup de solutions devant elle : le vide glacée ou le retour sur Terre.
Sans repères au sein d’un environnement qui ne ressemble plus du tout à son habituel lieu de travail orbital, la fuite n’est pas si aisée. Avant d’emprunter la navette de retour, il est nécessaire de reconnecter la majeure partie des modules principaux nécessaires à son fonctionnement,et, pourquoi pas, retrouver les autres astronautes. Une tâche déjà complexe à plusieurs milliers de kilomètres d’un bon réparateur agréé, mais un tantinet irritante dans une combinaison détériorée qui perd de l’oxygène régulièrement, d’autant plus si les petits propulseurs de déplacement sont utilisés. La recherche se mue alors en survie, chaque sortie devenant un saut de la foi vers un destin qui ne tient qu’à une respiration un peu trop longue. Une tension dosée avec talent, s’inscrivant dans une logique de jeu linéaire masqué en zone ouverte.
Au fur et à mesure de la progression, dans un système classique, le joueur récupère des améliorations pour sa combinaison, lui permettant d’évoluer de façon bien plus sereine, gaspillant moins d’énergie dans des mouvements plus souples. Le rythme s’accélère alors sans pour autant retirer ces moments d’angoisses extravéhiculaires, le level design étant conçu pour diriger naturellement l’avancée vers une nouvelle voie adaptée aux gains du joueur. Il est facile de se perdre dans l’espace, où les notions de haut et de bas, de gauche et de droite ne sont que des conventions. De ce point de vue, Adr1ft se veut réaliste, perdant le joueur dans des enchevêtrements fascinants de cadavres métalliques abstraits, de zones en rotations qui opacifient la lecture de l’environnement.
Pourtant, il ne s’y plonge pas totalement au travers du choix de la présence d’une sorte de boussole affichant l’objectif à atteindre. Rien de mal en soi, mais la nature des lieux oblige à une certaine précision dans la direction, ne serait-ce que pour donner une estimation de distance. Ce qui n’est pas du tout le cas ici. Il est enfantin de se tromper d’horizon lors d’un bond désespéré dans les étoiles, pensant atteindre la prochaine étape de cette réparation à grande échelle. Viser la lune pour atterrir dans les étoiles sans doute, mais cela reste sans doute moins dangereux que de planifier un déplacement suicidaire et de se rendre compte que la cible vient de passer au-dessus ou en-dessous de sa tête/ses pieds. Ce genre d’entre-deux qui ne parvient à être efficace ni dans un cas, ni dans l’autre est symptomatique de l’expérience d’Adr1ft. Malgré une esthétique réussie dans l’épure et la fascination de la masse terrestre envahissante de bleu, le HUD est bien trop présent et nuit souvent à la notion des distances. Embêtant lorsqu’il s’agit de frôler des câbles électriques.
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Adr1ft est tout aussi fragmenté que Northstar IV, partant dans plusieurs directions, autour d’un concept de fond qui fonctionne plus que tout ce qu’on lui rajoute. En tant qu’expérience pure de détresse spatiale, le jeu de Three One Zero est souvent contemplatif, parfois angoissant et à de rares et belles occasions époustouflant. Il donne ce sentiment unique de perte totale, d’action âpre au goût de roulette-russe. La moindre poussée vers un module au loin se ressent de façon organique, un resserrement qui donne le sentiment que ce premier pas est à la fois le dernier et le premier. Immersif par le biais d’un travail sur le son de qualité, faisant résonner les battements du cœur et le souffle profondément dans le crâne, Adr1ft laisse le joueur face à lui-même. De rares connexions avec la Terre surviennent, des audiologs traînent, mais la majeure partie du temps, il est perdu dans la propre musique de son corps virtuel. A tel point, que plongé dans une dérive qui conduira à la mort, il n’est pas surprenant de se demander où regarder lors de ces derniers instants. Son pays, l’océan, l’univers ? Tout dépend de sa conception de sa propre fin et de sa philosophie, mais cette question est un sens centrale dans le jeu, et ce même si ce genre d’instant est propre à chacun.
L’astronaute américain Edgar Mitchell a bien expliqué que : « Nous sommes allés sur la Lune en tant que techniciens, nous sommes revenus humanistes ». Et malgré tous ses défauts, le jeu titille cette fibre de l’unicité de ce monde vu d’en haut. Une somme de moments forts déjà efficace sans casque de réalité virtuelle – ce qui est le cas de la majeure partie des joueurs – mais qui peut prendre une dimension encore plus personnelle dans ce cadre. Il est d’autant plus dommage qu’Adr1ft souffre d’une volonté d’intégrer des mécaniques d’interaction poussée, alors qu’un schéma narratif et ludique à la Firewatch, plus simple, lui aurait redonné des étoiles dans le regard.
Adr1ft, disponible sur PC (20 euros sur Steam)
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