Le Journal du Gamer a voulu revenir sur le mystérieux pouvoir que renferment ces rééditions, dans une analyse maison, les pieds sur la table basse.
Le remake tape là où ça fait le plus mal : dans les souvenirs déformés que l’on garde de notre enfance. Pile poil au creux de cette bulle enchantée dans laquelle nous transformons tout ce que nos yeux et nos mains ont subi par le passé en magnifiques instants Nutella. Puis nous avons grandi. Si les pixels se sont démultipliés et si les manettes comptent quinze boutons et sept joysticks, les souvenirs, eux, restent intacts tant que l’on ne rebranche pas une vieille console. Si c’est le cas, on subit d’emblée les polygones mal taillés, les contrôles d’un autre temps, le 50 Hz et ses bandes noires assassines. Et si certains jeux demeurent tout à fait jouables, d’autres ont subi les affres du temps d’un Mawashi-Geri fatal en plein dans les gencives. C’est ici que le remake intervient, en mettant le jeu techniquement à jour.
Il est toujours difficile de concevoir une définition nette et précise du remake. En théorie, il s’agit de ressortir de sa besace une gloire d’antan pour la remettre à jour en améliorant contrôles, textures et bande son. Même s’il modernise agréablement le tout, le remake nous place face à un étrange paradoxe. On l’acclame pour son incursion dans le passé mais on ne peut s’empêcher de le redouter pour ce qu’il va oser chambouler. Dans tous les cas on continue de l’espérer pour ressentir à nouveau le frisson de la découverte. C’est là tout le défi du remake dont la démarche vise à flatter nos souvenirs et nous rappeler pourquoi on continue d’aimer ces jeux.
En l’état le prochain épisode de Ratchet & Clank, un remake du premier épisode sorti initialement sur PlayStation 2, semble très bien parti pour respecter cette balance :
Le remake se justifie d’autant plus lorsqu’il s’agit de remettre sur le devant de la scène un indétrônable dans sa catégorie. On reconnaît au premier coup d’œil ces jeux intemporels qui nous transportent à nouveau d’un simple réajustement de l’esthétique et d’un assouplissement des contrôles, dix ou vingt ans plus tard, sans jamais toucher à ses bases. L’un des plus emblématiques reste à ce jour Prince of Persia Classic, le remake du jeu d’aventure de Jordan Mechner sorti sur Apple II en 1989 puis réapparu sur le Xbox Live en 2007. À part l’évidente refonte graphique et le gros travail sur les animations du prince, les sensations du plateformer restent quasi intactes jusque dans ses duels diaboliques et ses pièges retors. Le jeu fait toutefois une concession sur un élément fondamental du gameplay d’origine : le fait de sauver la princesse en moins d’une heure. L’absence de sauvegardes, les morts à répétitions, ces contraintes n’ont plus lieu d’être pour Manuel Figeac, l’instigateur de ce remake interrogé par Libération il y a quelques années.
« Il y avait peu de points de sauvegarde pour des raisons techniques, les joueurs devaient souvent perdre parce que certains jeux étaient aussi en salle d’arcade et qu’il fallait acheter des crédits ».
Loin de trahir le jeu initial, le remake permet au contraire de ressusciter un morceau d’histoire tout en l’appréciant dans sa forme la plus aboutie. Cette version a même ici le bon goût de nous laisser le choix entre un parcours libre sans limite de temps et un parcours hardcore où tout se joue en une heure et une vie.
Le défi réside dans l’ajustement de la construction originale par rapport aux canons de notre époque. Rendre le jeu plus accessible sans pour autant trahir son gameplay exigeant. Cette vidéo comparative entre les versions PC, Megadrive et Xbox 360 le démontre à juste titre.
[nextpage title=”Un nouveau jeu ?”]
« Les joueurs conservent de bons souvenirs de leur session d’Halo et nous ne voulions pas gâcher ça […] Notre but était de rendre le jeu beau tout en étant le plus respectueux possible de l’expérience original. »
Jugez plutôt.
Loin de bouleverser ses fondamentaux, le remake vise ici la réhabilitation d’une certaine forme d’objectivité vis-à-vis de ce que notre mémoire peut être amené à déformer au fil du temps en termes de beauté réelle. On constate le même sentiment d’accomplissement en retrouvant le premier Oddworld dans sa version « New N’ Tasty » dont l’impressionnant travail de retouche des textures, les mouvements de caméra et les éclairages nous font complètement oublié la version initiale. Sans jamais trahir son gameplay, ni son humour.
Et si le remake, à force de digérer l’ancien pour créer un produit plus raccord avec nos exigences modernes, n’en venait pas à créer un jeu annexe ?
La question se pose pour une poignée d’entre eux qui pousse un peu plus (un peu trop ?) le travail de recréation. On pense tous très fort à Metal Gear Solid: Twin Snakes, remake du premier Metal Gear Solid sorti sur PlayStation Ses graphismes plus fins et ses mécaniques clairement empruntées à Metal Gear Solid 2 le transforment en un jeu hybride. On joue à la fois au premier épisode et à un jeu complètement différent. Difficile alors de conseiller tel ou tel épisode à un néophyte. Les fans vous invitent à débuter par l’œuvre initiale, puis, éventuellement, de vous laisser tenter par son remake, considéré alors comme une version alternative. Même s’il rafraîchit nos souvenirs et explore de nouvelles voies, le remake ne vise pas nécessairement le remplacement de l’ancien par le nouveau.
Dans une moindre mesure, la version GameCube de Resident Evil subit de telles transformations esthétiques que les passerelles entre l’œuvre originelle de Shinji Mikami et la relecture de 2002 ne sont plus aussi évidentes. Le jeu se dote de graphismes photoréalistes largement supérieurs à son modèle initial, sans compter sur l’ajout de nouvelles zones, armes et ennemis disséminés au cœur du manoir. Une pépite graphique encore à ce jour qui amène une autre façon de penser le remake : par le défi technique qu’impose un travail de relecture sur des machines plus puissantes. Du même coup on imagine difficilement le futur remake de Final Fantasy VII conserver les caméras fixes, les décors en 2D et les personnages SD de la version d’origine. À noter que cette porte ouverte par le fossé générationnel n’entraîne pas nécessairement des évolutions justifiées. On se souvient tous du cas Conker, qui troque une peu de son ton ironique pour du pur déballage technologique. L’ambiance est tout autre d’une version à l’autre.
Bien évidemment, comme tout bon filon rentable sur la planète jeu vidéo, le remake a tendance à se décliner à toutes les sauces et pour n’importe quelle excuse. Nos éditeurs de jeux actuels ont compris son importance et n’hésitent plus à proposer des éditions Remastered ou Collection HD avec pour seule excuse le fait d’atténuer l’aliasing ou de proposer du 16/9 natif et du 60 images par seconde — quand il ne s’agit pas de proposer une « nouvelle façon de jouer » à l’aide d’une Wiimote ou d’un PS Move. Une certaine facilité qui tente vainement de masquer le trou béant de ludothèques modernes désespérément pauvres en termes de nouvelle sensation. On en vient à railler ouvertement la pratique lorsque l’écart entre la sortie de la version initiale et de sa version Remastered se compte en mois, à l’instar du récent The Last of Us. Est-ce que le jeu est plus beau, plus lisse, plus lumineux 13 mois après ? Oui, sans aucun doute (même si une vidéo comparative est toujours la bienvenue). Est-ce que le remake — pardon, le Remaster — était réellement nécessaire ? Non, à aucun moment. La démarche s’apparente clairement à un coup monté un peu vain de la part de Sony pour permettre de compter une exclu de plus dans son nouveau catalogue.
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Du vent donc, jusqu’à ce que Nintendo s’amuse de la situation et souhaite un bon festival Hanabi à ses fans avec un fond d’écran un brin provocateur :
À la communauté maintenant d’imaginer tranquillement le retour du jeu et de poireauter pendant des lustres en dessinant des fan arts sur le Miiverse. Nintendo a toujours été très fort pour ferrer les joueurs et maintenir la hype sur une poignée de licences qui tournent en boucle. Le remake offre forcément pour le géant japonais de belles perspectives de recyclage, en parfaite adéquation avec leur façon de penser le jeu vidéo et le divertissement. Si on remonte un peu dans le temps, à l’époque de la conception de Majora’s Mask sur N64, il est intéressant de noter que l’on doit la mise en chantier de cette suite à la volonté de Shigeru Miyamoto de concevoir de nouvelles versions des donjons de l’épisode Ocarina of Time. Eiji Aonuma, le directeur actuel de la série, avoue dans un récent Iwata Asks qu’il contourne à l’époque la recommandation de son supérieur pour travailler en secret sur des donjons inédits — donjons qui trouveront finalement leur place dans l’épisode Majora’s Mask dont on découvre le remake 15 ans plus tard.
Il serait toutefois injuste de ne pas évoquer Pokémon, véritable cas d’école du remake dont le succès de la saga repose sur une chorégraphie parfaite entre jeux originaux, versions remastérisées (Jaune, Cristal, Émeraude, etc.) et refontes officielles (HeartGold, Omega Rubis, etc.).
En termes de rayonnement et de popularité, on peut difficilement ignorer le succès de la plateforme de financement participatif Kickstarter. Si le concept de proposer des jeux originaux sans passer par la case éditeurs tiers demeure un noble combat, la plateforme suscite davantage d’intérêt auprès des joueurs lorsqu’il s’agit de redonner sa chance à une gloire d’antan, sous la forme d’un remake ou d’une suite spirituelle. Il suffit de jeter un œil aux chiffres d’Elite Dangerous (5,6 millions de dollars) ou à ceux de remakes déguisés comme Yooka-Laylee (3,1 millions de dollars) ou Mighty No. 9 (4 millions de dollars). Cette poignée de projets squatte sans forcer le panthéon des records de billets verts amassés dans la catégorie jeux vidéo. Et sans forcément parler de record, les remakes de Shadowgate, Pathologic ou Carmaggeddon remportent (à leur échelle de popularité) un joli succès d’estime. Et même si Pillars of Eternity et Wasteland 2 ne sont pas des remakes de Baldur’s Gate et Fallout, ils procurent chez les joueurs le même plaisir que le remake : pas tout à fait nouveaux mais suffisamment denses et similaires pour construire de beaux souvenirs.
Face à ces chiffres, des studios comme Cinemaware décident de se consacrer exclusivement à ressusciter leurs vieux succès, avec en tête Wings. Les joueurs qui ont connu la version Amiga s’imaginent forcément jouer à quelque chose d’aussi pêchu des années plus tard, et contribuent sans hésiter au Kickstarter. C’est sans surprise que le studio lance dans la foulée un projet de résurrection équivalent avec Rocket Ranger Reloaded. Et même si nous n’en savons rien pour le moment, on se dit qu’on ferait bien de guetter le retour de Defender of the Crown ou It Came from the Desert, juste comme ça.
La prise de risque est forcément moindre pour ces studios qui veulent tout simplement continuer à bosser, et le retour de ces franchises ne serait pas possible sans la confiance aveugle d’une poignée de convertis. Plus facile de faire rêver et de convaincre du bien fondé de son projet si on peut jouer sur le souvenir du joueur et le promesse d’une madeleine de Proust améliorée en tout point. Nous le savons ici, tout ça, c’est surtout la faute de Tim Schafer, le premier à flairer le filon en 2012 avec Double Fine Adventure (jeu sans nom qui deviendra par la suite Broken Age). Un jeu original, certes, mais qui n’hésite pas à surfer sur l’aura de son créateur pour se vendre, à grands renforts de vidéos récapitulatives, sketchs improvisés et namedroppings de jeux légendaires comme Full Throttle ou Grim Fandango pour appâter le chaland. Vous voulez rejouer à des bons jeux, ceux de la « belle époque » ? C’est vous qui voyez. Un peu mélodramatique dit comme ça mais ce sont bel et bien les souvenirs émus d’une poignée de joueurs orphelins d’une certaine façon de concevoir le jeu d’aventure qui s’occupent de montrer la voie. En gros, si vous voulez vendre un nouveau projet, faites en sorte qu’il ne soit pas trop nouveau ou qu’il fasse vibrer une corde très sensible chez le joueur. Les poches pleines de 3 336 371 dollars, Tim peut développer tranquillou son Broken Age et se lancer dans la seconde phase de son plan diabolique.
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Disparu des circuits de distributions classiques, introuvable dans une version dématérialisée (ou alors piratée), c’est un véritable combat qui s’est engagé sur tous les fronts pour sauver le soldat Calavera. Auprès des ayant-droits, mais aussi d’un point de vue matériel pour décrypter les cassettes de l’époque et transposer son contenu sur nos machines modernes. L’idée même de ressusciter de Grim Fandango Remastered (si vous n’aviez pas encore deviné de qui il s’agissait — notre test ici) pose les bases d’un véritable travail d’archéologue. Travail rendu possible par l’envie conjugué de Disney, Double Fine et Sony de se lancer dans le remake d’une œuvre qui n’avait plus d’autre choix pour parvenir jusqu’à nous. Graphismes lissés, contrôles assouplis, vous n’en n’aurez pas plus. Juste une pépite du jeu d’aventure disponible à tous sans passer par la case eBay ou piratage. Toute l’affaire a été joliment contée en détail sur Polygon, pour les anglophones. Ou comment le remake peut aussi devenir un combat, un acte nécessaire de restauration et de conservation dans un monde jeu vidéo qui fonctionne beaucoup sur la lubie, la tendance éphémère, le clonage d’un concept fort à tout va.
Sommes-nous alors condamnés à tâter du remake à intervalles réguliers ?
Bien sûr, et nous ne devrions pas nous en inquiéter plus que ça. Dans un monde où le fossé graphique n’est plus aussi spectaculaire qu’il y a dix ou vingt ans, on ne peut s’empêcher de penser que la pratique tombe dans une caricature d’elle-même au moment où une poignée d’éditeurs décide de remaker en boucle des jeux récents à la structure encore bien solide. Le remake vaut mieux que ça. Sa pratique reste tout à fait légitime dans une industrie qui mise tout sur un premier contact visuel. Il faut simplement vivre avec, faire le tri entre ceux qui sont dépourvus d’enjeux et ceux qui visent autre chose que le retour opportuniste. Ceux qui ne se cantonnent pas à être seulement plus beau ou plus jouable, mais qui visent quelque chose de plus grand comme l’accessibilité au plus grand monde, la relecture sous un nouvel éclairage ou la conservation d’un patrimoine. Ceux-là méritent toute notre attention, même si d’autres, faute d’être nécessaires, proposent tout de même quelque chose de très attractif. Quel que soit sa portée, le remake est installé dans nos habitudes. À nous d’y voir quelque chose de plus cohérent vis-à-vis de nos souvenirs de joueur et des œuvres qui joncheront notre parcours.
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