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Du papier à la perceuse : comment conçoit-on un escape game ?

Après vous avoir raconté comment les maîtres du jeu jouent avec vous dans l’escape game « Le patient de la chambre 8 », nous vous proposons de mieux comprendre le processus créatif derrière la conception d’une salle.

[Cet article est le deuxième d’une série de trois sur le thème des escape games. Nous publierons le dernier prochainement.]

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Un escape game est un subtil mélange entre ambiance et game design. Car enfermer quelqu’un dans une salle pour qu’il s’amuse à en sortir par ses propres moyens, c’est bien. Mais lui faire croire qu’il est plongé dans un autre univers, c’est mieux. Tout simplement parce que narration et jeu sont intrinsèquement liés. On est plus enclins à faire quelque chose si on voit une bonne raison de le faire.

En 1938, l’historien allemand Johan Huizinga décrivait dans son ouvrage Homo Ludens ce besoin de conserver l’intégrité de l’imaginaire du jeu. Pour lui, les personnes participant au même jeu entraient dans un « cercle magique ». Un espace qui peut être simplement mental, mais qui peut également être réel (comme un terrain de jeu par exemple). À l’intérieur, une collection de règles et d’axiomes sont acceptées par tous les participants. Nous sommes naturellement faits pour entrer dans ces « mondes » où de nouvelles contraintes viennent changer la manière dont nous agissons. Et pour se convaincre de cet aspect particulièrement ancré dans notre comportement, il suffit d’observer que même les enfants s’y soumettent. Au loup glacé, un enfant attrapé s’arrêtera de bouger jusqu’à ce qu’un camarade vienne le « déglacer ». Rien n’empêche cet enfant de bouger, mais c’est un fait admis par tous les participants : il a été touché par le loup et ne peut donc plus bouger.

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Ce cercle magique dans lequel nous entrons dès que nous jouons à un jeu est à la fois particulièrement persuasif, mais aussi extrêmement fragile. Si un des participants décide de ne plus respecter les règles communément admises, il est brisé. De même si un élément extérieur au cercle vient empêcher le bon déroulement du jeu. Les participants sortent alors de cet état second et on « sort » du jeu pour retourner à la réalité.

Dans un souci de toujours laisser le joueur plongé au plus profond de ce cercle magique et de l’illusion qu’il convoie, les concepteurs d’escape game qui visent à autre chose qu’une simple épreuve vont articuler le game design autour du décor et de la narration, pas l’inverse. Chaque poster, chaque objet, chaque élément de mobilier renvoie à une époque ou un contexte. Dans le cas du « Patient de la Chambre 8 » d’Epsilon Escape), l’action se déroule dans une clinique psychiatrique au début des années 90.

Le décor au service du jeu

Raconter une histoire par la simple présence d’objets et par un décor réfléchi, on appelle cela la narration environnementale. Ce concept est au centre de ce qu’ont voulu faire Florent et Guillaume, les deux fondateurs d’Epsilon Escape. Quand on leur pose la question du point de départ du processus de création d’une salle, les deux amis répondent sans hésiter qu’un univers marquant est la première chose qui est fixée. Quant aux énigmes et au game design, ça vient après. « En ce qui nous concerne, on ne met des cadenas que quand il y a des cadenas dans la vraie vie. On ne veut pas mettre des cadenas partout simplement parce que la conception le demande, explique Guillaume. Notre conception de l’escape room c’est d’abord l’aventure et le bonheur de vivre quelque chose de spécial. On n’est pas seulement dans la performance. »

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Florent et Guillaume, les fondateurs d’Epsilon Escape

Guillaume est assez pluridisciplinaire. Joueur de jeu vidéo et grand adepte d’énigmes, il est à l’origine du site Délice Amer, un des sites d’énigmes qui étaient en vogue dans les années 2000 aux côtés d’autres plus connus comme Ouverture Facile. Diplômé en informatique, il est également fondu de prestidigitation, de close-up et de tous les aspects psychologiques de la discipline. Il n’est donc pas étonnant de voir des concepts comme la « misdirection » être utilisés par les game master durant les parties.

Cette capacité d’un magicien à attirer l’attention du public sur un élément peu important d’un spectacle pour la détourner d’un autre est aisément comparable à la manière qu’a Caroline, une game master, de manipuler les groupes qu’elle a sous sa responsabilité. « Il m’arrive d’envoyer un indice pas forcément très important uniquement dans le but de séparer le groupe d’une énigme qui ne nécessite pas qu’ils soient tous dessus. Je peux aussi tous les focaliser sur un seul élément si j’estime qu’il faut qu’ils réfléchissent tous dessus. »

Pour Guillaume, il y a une vraie plus-value à avoir sur un accompagnement efficace des joueurs. De l’introduction à la salle au débriefing de fin de partie en passant par l’envoi d’indice, tous ces à-côtés permettent à l’expérience de se dérouler de la manière la plus immersive possible. Mais pour cela, interdiction de lésiner sur le nombre de game masters. « C’est important de bien avoir un GM par salle pour donner des indices adaptés pendant le jeu et organiser un debrief de qualité à la sortie ».

[nextpage title=”Des envies et des contraintes”]

Quand il s’agit de mettre en place des systèmes électroniques, de créer des programmes pour les différentes énigmes ou de remplacer de bêtes cadenas par des électroaimants, Epsilon Escape peut compter sur les talents de codeur et d’électronicien de Florent. Cet ancien employé du jeu vidéo code depuis très jeune. Il a participé à la conception de jeux sur PlayStation et GameBoy, jeux dans lesquels il voyait une notion d’artisanat qui ne le laissait pas indifférent. « On avait beau être dans le jeu vidéo, quand on recevait les cartouches c’était quand même quelque chose. Il y a une vraie satisfaction de recevoir le produit qu’on a aidé à créer de ses propres mains. »

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Et de ses mains, Florent s’en sert. Son bureau est recouvert de circuits imprimés et d’éléments électroniques voués à se retrouver dans les salles. Certaines énigmes du « Patient de la Chambre 8 » font appel à des panneaux de contrôles, des boutons, des écrans et de la connectique. Cette variété des éléments bloquants donne du corps à la salle. Elle participe grandement à l’immersion des participants et accentue l’impression d’être réellement enfermé dans la chambre d’un asile psychiatrique. Caroline décrit quant à elle des décors qui doivent non seulement participer à l’immersion, mais également à la façon dont les joueurs vont réfléchir pour passer les différents obstacles. « Pour ce qui est du décor, on est à mi-chemin entre un asile et l’image fantasmée qu’on se fait d’un asile. Ce qui est important, c’est que l’environnement et le design des énigmes fassent se dire aux joueurs : “Et si j’étais vraiment dans cette situation, qu’est-ce que je ferais ? ” »

Des envies, mais aussi de nombreuses contraintes

Un équilibre compliqué à obtenir dans le cadre d’une escape room franchisée. Ces salles se développant dans différentes villes sous la même enseigne répondent à des contraintes différentes en terme de design. Elles doivent être reproductibles, c’est-à-dire faciles à recréer, ce qui implique l’utilisation d’éléments simples et pas spécifiques à une région du globe (les escape games sont particulièrement populaires en Europe de l’Est et en Asie). D’après les fondateurs d’Epsilon Escape, escape game qui lui est indépendant, les enjeux ne sont pas les mêmes et cela peut brider la créativité quant à la création des décors et de la narration environnementale.

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D’autant que ce ne sont pas les seules astreintes auxquelles doivent se contraindre les concepteurs d’escape games. Ces derniers doivent notamment répondre à des normes dites « ERP » pour « Établissement recevant du public ». C’est pour cela que, par exemple, il n’est pas possible de faire ramper les joueurs dans un conduit d’aération pour leur faire résoudre une énigme. « Ce sont de vraies contraintes, explique Florent, toutes les salles doivent être conçues pour qu’elles puissent être faites par quelqu’un en fauteuil roulant. » Des règles qui vont à l’encontre des fantasmes les plus extravagants de Guillaume. « Évidemment, moi mon rêve, ça serait de pouvoir faire une escape room avec l’eau qui monte petit à petit. Ou avec le toit qui descend, comme dans Fort Boyard ! C’est quand même un loisir assez cher, on veut en mettre plein les yeux et que les gens en aient pour leur argent. »

En dehors de toutes les zones d’accueil du public, les éléments en pleine phase de fabrication jonchent le sol. Les outils sont disposés au centre des salles comme dans une maison que l’on est en train de retaper. « Au début, on trouve les locaux, on est tout content. Et puis après on se rend compte que de faire toute la décoration d’une salle, ça prend un temps fou, explique Guillaume. » La variété des éléments demande une logistique particulière. Au sous-sol se trouve notamment une salle indispensable : la salle des pièces de rechange. À l’intérieur, des pièces de rechange pour de nombreux éléments qui seront nécessairement détruits au passage d’une équipe. « On appelle ça des consommables, il faut les changer à chaque fois, précise Guillaume. » D’autres éléments, moins nombreux, car devant servir plusieurs fois, sont également rangés dans les étagères de la salle. On remarque notamment la même mallette, présente en de nombreux exemplaires. Cette dernière casse tout le temps forçant les propriétaires à en racheter régulièrement. Heureusement, Florent confie qu’il est sur le coup pour trouver une nouvelle solution plus créative, amusante et pérenne.

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La prochaine salle est évidemment en construction. Le thème est encore secret et même les game masters n’ont pas le droit de pénétrer à l’intérieur. Après tout, ils seront les premiers cobayes de Florent et de Guillaume. Le thème est encore inconnu, même si les game master m’ont confié avoir une petite idée de ce dont il s’agit. Ce qui est certain, c’est que l’histoire qui y sera racontée sera intimement liée à celle narrée dans le « Patient de la Chambre 8 ».

Merci encore aux équipes d’Epsilon Escape pour nous avoir accordé de leur temps !

Le site d’Epsilon Escape

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