À ce titre, nombre des thèmes et références employés dans ses précédents films se retrouvent dans Miss Peregrine et les Enfants Particuliers. Avec ce nouvel opus adapté du roman de Ransom Riggs, Tim Burton revient à ces premiers amours dans un pur conte burtonien. Le réalisateur signe un retour au fantastique et à ses thèmes de prédilections : l’enfance, la normalité contre l’étrangeté, ce qui distingue le rêve du réel, le macabre saupoudré de poésie et de mélancolie, etc.
Miss Peregrine et les Enfants Particuliers, dont la sortie est prévu le 5 octobre prochain, est donc l’occasion pour nous de revenir sur les influences qui ont nourri le cinéma Burtonien.
[nextpage title=”1-Tim Burton, une enfance californienne”]
Le réalisateur est né à Burbank, antichambre d’Hollywood selon ses dires, une banlieue où toutes les résidences sont peintes en couleurs pastel, les voitures semblables à celles du voisin et les jardins fraîchement tondus dans une routine savamment chronométrée.
Un enfer résidentiel qui inspirera le cinéaste pour l’une de ses toutes premières œuvres : Edward aux mains d’argent. Incapable de communiquer avec les autres habitants de cette banlieue, si ce n’est pour terroriser le fils du voisin avec une prétendue invasion extra-terrestre déferlant prochainement sur Terre (Mars Attack avant l’heure), Tim Burton verbalisera ce mutisme dans un dessin représentant un jeune homme avec des ciseaux à la place des mains.
De Burbank, Burton dira : « Il y avait quelque chose d’étrange qui planait dans cette ville. Les gens étaient amicaux, mais uniquement en surface. Comme s’ils étaient forcés à l’être ».
Une ville qui pourrait parfaitement correspondre au quartier où Edward trouve refuge après la mort de son créateur. Un film largement inspiré de sa vie au sein de cette banlieue US typique, dépeinte comme un environnement hostile et aseptisé, où cette normalité parfaite cache une nature dérangée.
Ses films mettent souvent en scène des êtres marginaux, hors norme, confrontés au monde réel, censé représenter le bien, mais dont la nature vile et intolérante ne tarde pas à apparaitre une fois confronté à leur anormalité. D’Edward aux mains d’argent en passant par Beetlejuice, L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Batman (les deux opus), Ed Wood, Charlie et la chocolaterie ou Miss Peregrine et les enfants particuliers.
C’est en voulant échapper à cet environnement hostile que Tim Burton trouvera asile dans les salles obscures et découvrira des films comme Frankenstein, Nosferatu, Godzilla ou ceux de la Hammer Film Production, qui marqueront à jamais son imaginaire.
Comme il l’expliquait à Télérama en 2012 :
« [Les films d’horreur et les séries B] ont façonné ma personnalité et ne m’ont jamais quitté. Même si je préfère m’en souvenir que les revoir. Le filtre de la mémoire peut leur donner de nouvelles formes passionnantes. Il y avait des cinémas merveilleux à Burbank, comme le Cornell, qui a disparu aujourd’hui, mais que je viens de recréer pour Frankenweenie. J’y passais ma vie. On y voyait trois films à la suite pour 50 cents, des choses comme Scream, Blacula, ou King Kong contre Godzilla. Je suis vraiment un enfant de cette culture de films d’horreur influencés par une esthétique très européenne. Ils étaient souvent l’œuvre de cinéastes émigrés dont l’imaginaire prenait racine dans des contes de fées ou des légendes folkloriques qui étaient, pour moi, du plus grand exotisme. »
La scène finale d’Edward aux mains d’argent, qui voit les habitants du quartier poursuivre le monstre jusque dans sa tanière, est inspirée d’une scène similaire présente dans Frankenstein.
Le cinéma d’horreur et d’épouvante sera son refuge, Vincent Price, acteur emblématique du genre, son idole. Tim Burton lui rendra hommage dans le court-métrage Vincent, pour lequel Prize interprétera le narrateur. Il lui confiera également son dernier rôle au cinéma, celui du de l’inventeur dans Edward aux mains d’argent, qui mourra avant d’avoir achevé sa créature.
Un rôle taillé sur mesure pour cet acteur que Burton a découvert dans les adaptations de nouvelles d’Edgar Allan Poe, son auteur préféré. La dernière strophe de son poème, Le Corbeau, est d’ailleurs citée à la fin du court-métrage Vincent.
[nextpage title=”2- De Nosferatu à Batman Returns, l’influence de l’expressionnisme allemand”]
L’expressionnisme est un courant artistique qui prend racines en Europe du Nord et plus particulièrement en Allemagne, au début du XXe. Il se retrouve dans plusieurs domaines allant de la littérature, à l’architecture, le théâtre, la peinture, la musique et bien sûr le cinéma. L’expressionnisme fut condamné sous le régime nazi qui le considérait comme un « art dégénéré ».
L’expressionnisme traduit la subjectivité de l’artiste dans une irréalité esthétique dont le but est de susciter une réaction émotionnelle chez le spectateur. Parmi les artistes les plus emblématiques de ce courant, nous retrouvons notamment Vincent Van Gogh, qui en fut le précurseur, ainsi que Edvard Munch et son célèbre tableau Le Cri. Ce n’est qu’à partir des années 20 que l’expressionnisme se fondra dans les codes cinématographiques.
Tim Burton lui emprunte son esthétique, ses monstres, l’omniprésence de la mort. Ses héros ont souvent le teint pâle et le corps délié (Johnny Depp dans ses œuvres de Sleepy Hollow, à Sweeny Todd en passant par Edward aux mains d’argent), ses héroïnes sont diaphanes, belles, aussi innocentes qu’étranges (de Winona Rider dans Edward aux mains d’argent ou Beetlejuice, à Christina Ricci dans Spleepy Hollow, Mia Wasikowska dans Alice aux pays des merveilles ou dernièrement Eva Green dans Miss Peregrine et les Enfants particuliers).
Cette imagerie spectrale typique du cinéma expressionniste est souvent opposée à l’enfance, très présente dans ses œuvres, et une certaine vision poétique, magique, colorée qui vient contrebalancer cet univers sombre. Ce n’est pas pour rien qu’Halloween, qui rassemble les thèmes de la mort et de l’enfance, est sa fête préférée.
Tim Burton: A German Expressionism Influence from Cinema Sem Lei on Vimeo.
Cette vidéo résume bien les références à ce cinéma de Friedrich Wilhelm Murnau (Nosferatu et ses ombres cauchemardesques – 1922, Faust – 1926), à Robert Wiene (Le Cabinet du docteur Caligari – 1919) en passant par Fritz Lang, dont le Metropolis (1927) a grandement inspiré Burton notamment pour créer l’univers visuel de Gotham City avec son chef op’ de l’époque Anton Furst, qui recevra l’oscar des meilleurs décors pour Batman en 1990.
[nextpage title=”3- Les films « burtoniens » d’inspiration expressionniste”]
Beetlejuice (1988), avec son héros au maquillage soutenu, son thème morbide (mais parodique) ses formes géométriques déglinguées.
Batman et Batman Returns (1989-1992).
Pour ses freaks, son ambiance lugubre, son univers graphique rappelant fortement Metropolis et Christopher Walken dans Returns dont le personnage se nomme Max Schreck, le nom du comédien qui interprétait Nosferatu.
Edward aux mains d’argent (1990), son film le plus personnel. Il emprunte énormément au cinéma expressionniste : son personnage principal, Edward, qui se réfère à Cesare du Cabinet du docteur Caligari, l’inventeur d’Edward, Vincent Prize, acteur des films d’épouvante de l’époque, et le château d’inspiration gothique.
L’Étrange Noël de Monsieur Jack (1993)
Les personnages squelettiques, les décors irréels qui font écho au film Le cabinet du docteur Caligari, les thèmes prédominants.
Spleepy Hollow (1999) : les monstres (le cavalier sans tête), les décors, l’ambiance lugubre, le gothique.
Avec Les Noces funèbres (2005), Burton revient avec un conte macabre en apparence, où le monde des vivants et celui des morts se fait face. L’expressionnisme y est très présent avec les arbres difformes, la forêt (très présente également dans ses œuvres), les personnages très pâles, à l’image de celui interprété par Johnny Depp, etc.
Sweeny Todd (2008)
On peut y voir une filiation entre Edward aux mains d’argent et le personnage de Sweeny Todd, expressionnistes tous les deux. L’ambiance morbide, aussi bien à l’étage, chez le barbier, qu’en bas, dans la boutique tenue par sa maîtresse, Mrs Lovett (Helena Bonham Carter).
Dark Shadow (2012)
Tout dans ce film respire l’expressionnisme. De cette adorable famille de vampires, à leur manoir gothique à souhait, en passant par les références au cinéma expressionniste, notamment avec Nosferatu.
Miss Peregrine et les Enfants Particuliers (2016)
Tim Burton signe un véritable retour aux sources de l’expressionnisme avec ce conte burtonien à souhait peuplé de freaks, de monstres (véritablement effrayants), à l’imagerie sombre et gothique toujours contrebalancé par l’humour noir, la présence d’enfants, même « particuliers », et des marginaux très attachants.
Presque 100 ans après ses débuts cinématographiques, Tim Burton est l’un des rares réalisateurs, si ce n’est le seul, à faire vivre l’expressionnisme à travers ses films. En rendant hommage aux œuvres qui ont marqué son imaginaire, Burton nous donne à voir le sien.
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