Le problème récurrent des jeux en monde ouvert est ce sentiment latent de vide, de montagnes et de vallées posées là sans raison et d’une absence d’histoire vraiment anxiogène. Les terres foulées semblent sortir de nulle part, aucune trace d’un contexte particulier et la vie y surgit par bribes, dénuée de liens avec son environnement – urbain y compris. Quelques exceptions font face à cette diagonale du vide ludique, notamment la série The Elder Scrolls, qui avec Skyrim avait affirmé la maîtrise de création d’un monde vivant par Bethesda.
Depuis 4 ans, personne n’était venu titiller les vikings velus dans leurs terres farouchement gardées. C’est pourtant ce qu’est parvenu à réaliser CD Projekt, dont l’Environmental Designer Jonas Mattson avait déjà posé les jalons d’une compétition bon enfant en affirmant que Skyrim était trop « simple » dans sa logique de monde ouvert. Un challenge entre le respect et la volonté de faire date qui émane de chaque centimètre carré de The Witcher 3. Sans parler de performance graphique, ou de 60 FPS (sur PC), le jeu est une immense réussite sur un point précis, la construction des environnements. La crédibilité d’un monde généré de toutes pièces passe avant tout par un écosystème logique. Une implantation de végétation en fonction du terrain, des transitions d’essences d’arbres entre futaie et forêt, des plantes endémiques, des constructions en rapport avec les matériaux alentours et surtout une adaptation des ruines, des légendes, des comportements de la population avec l’histoire d’un lieu. Sur ce point, The Witcher 3 est une leçon. Comme les moments de grâce d’un Castlevania : Lords of Shadow où le joueur pouvait ressentir la peur des vampires par la simple atmosphère d’un village aux volets clos, le travail remarquable sur l’ambiance participe à rendre prégnant l’univers du jeu. Il plonge dans l’esprit d’un moyen-âge européen fantasmé, où le fantastique habitait l’inexpliqué. Ici, comme dans un Mushishi sous stéroïdes, Geralt évolue entre le monde complexe des humains et celui bien plus sauvage d’une nature implacable.
Tout l’intérêt du jeu est de proposer des croisements de ces univers, quand le mystique influe sur la vie des hommes et peut affaiblir autant des maisonnées que des dynasties. Les rois et les paysans ont donc besoin d’un Geralt vieillissant, qui doit se séparer entre des quêtes « principales » et des activités annexes. À l’image encore une fois de Skyrim, les deux sont souvent indissociables, tant l’écriture et la conception sont la plupart du temps sur un pied d’égalité. Mais le tour de force de The Witcher 3 est de casser certaines barrières pour proposer des entrelacs surprenants. Le fil rouge d’une grande partie du jeu est la recherche de la jeune Ciri, sorte de road movie chez Andersen, impliquant de recueillir des éléments sur sa localisation. À temps difficiles caractères difficiles et il faut rendre quelques services aux locaux pour obtenir certaines informations. Ce qui peut être considéré comme des quêtes prioritaires, nécessaires à faire progresser l’histoire. La subtilité réside dans la façon dont elles sont couplées à des enquêtes, elles définies comme secondaires, mais qui permettent de rajouter des éléments très importants dans la compréhension du scénario ou de faire le lien entre deux quêtes principales.
De fait, ces interconnexions amènent une densité étonnante, ne donnant jamais le sentiment de devoir suivre une seule piste balisée pour faire progresser l’aventure. Une notion du simple appendice comme élément important qui s’articule totalement avec le souci de CD Projekt de bien faire comprendre au joueur l’importance de ses choix, même du moindre d’entre eux. L’impact des décisions prises peut survenir n’importe quand, dans des proportions plus ou moins grandes. Condamner un village en voulant bien faire, passer pour un meurtrier sur un malentendu, certaines conséquences peuvent survenir des dizaines d’heures plus tard et ne sont quasiment jamais dépositaires d’une moralité. Rien n’est foncièrement bon ou mauvais dans les choix effectués, tout dépend d’une humeur sur le moment, de ce que le joueur pense juste. À la différence d’un Mass Effect par exemple, les conséquences obligent le joueur à assumer et ne sont pas des embranchements assez visibles. Un système brillant qui est l’autre pilier de la cohérence de l’univers proposé. Les chasses elles sont moins portées sur la discussion – bien qu’elles puissent également déboucher sur des quêtes annexes de longue haleine – mais permettent de rôder les compétences à l’arme blanche de Geralt.
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Un système intéressant qui souffre en revanche d’une I.A ennemie pas folichonne, ces derniers ayant une propension à se retirer dès que le joueur s’éloigne un peu. Ce qui donne souvent droit à un coup gratuit dans le dos si l’on sait exploiter ce pattern. En tant que mercenaire solitaire, Geralt doit aussi se débrouiller pour se concocter un arsenal fonctionnel à tout moment, notamment des buffs importants contre certaines créatures. Cela passe par des potions diverses issues de recettes trouvées dans des coffres, sacs, quêtes. Nécessitant des matières premières récupérés elles aussi dans l’environnement, ces breuvages demandent de passer quelques secondes dans l’inventaire pour être créé via un système on ne peut plus simple. Une des seules choses aisées d’un inventaire pas du tout pratique et vite bordélique, qui rend fou lors des passages chez le forgeron. Les joueurs PC pourront sans doute rapidement bénéficier de mods améliorant la gestion des objets. Des problèmes récurrents de jeu en monde ouvert qui s’accompagnent de bugs du moteur physique, de quelques soucis de quête, mais en l’état rien qui ne vienne gâcher l’expérience. Profond, d’une richesse folle dans ses quêtes et ses personnages, écrit avec brio, The Witcher 3 parvient à donner ce supplément de vie qui manquait à Skyrim. Moins immersif pour cause de héros caractérisé, il s’impose par l’univers le mieux dépeint depuis Morrowind. Et ce n’est pas rien.
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