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[Test] Return Of The Obra Dinn, la mort qu’on voit danser

Ce fieffé coquin de Lucas Pope a encore rendu un jeu novateur pour son propre medium – celle d’un vaisseau où tout l’équipage a mystérieusement péri. À vous de résoudre cette sale histoire.

Oï mates ! Tout début du dix-neuvième siècle. Le fier vaisseau Obra Dinn fait des trucs de navire de fiction : il navigue sur les hautes mers, il hisse la grand-voile et il souque les artimuses. En 1802, il quitte Londres avec soixante personnes et des centaines de tonnes de cargaison à son bord. Six mois plus tard, plus personne n’a de nouvelles et le voilà déclaré abîmé en mer. Nous sommes en 1807, le revoilà retrouvé vide et à la dérive à Falmouth, à l’extrême-sud des Cornouailles. Donc étrangement pas bien loin de sa ville de départ. Que s’est-il passé ? Vous, expert en assurances et enquêteur de choc, allez tenter de résoudre ce mystère d’ampleur, équipé de deux outils.

Un manifeste contenant la liste des passagers, leurs fonctions et quelques notions indispensable de navigation, et une étrange montre à gousset qui vous fait revisiter les derniers instants d’un mort. C’est bien pratique, parce que les morts de l’Obra Dinn sont fort nombreux, et si d’aucuns aiment dire que les morts ne racontent rien, ils devraient plus jouer à Return Of The Obra Dinn (ou à regarder Ghost, par exemple). Déjà un lustre depuis Papers, Please de Lucas Pope. Souvenez-vous : ce bureaucratie-em-up vous permettait d’incarner un garde de poste-frontière en plein bloc (fictif, mais inspiré) de l’URSS.

Le « jeu indépendant » était encore une notion émergente, et Papers, Please brillait malgré une évidente économie de moyens, grâce à l’efficacité de son concept et à sa manière incroyable de narrer des choses, petites ou grandes. Et dans les deux jeux, on trouve l’incroyable dans un job peu reluisant. Après le bureau virtuel, Obra Dinn vous place dans le rôle de l’agent d’assurances qui doit comprendre qui est qui. Donc construire un grand tableau en liège métaphorique et relier les points : votre objectif principal est de pouvoir prendre la gravure géante du carnet et de dire qui est qui, et comment tout ce beau monde est mort. Un Cluedo qui aurait mangé Marie-Ange Nardi et Carmen Sandiego, donc.

La mer c’est dégueulasse, les gens canent dedans

Le concept est limpide. Vous allez visiter l’Obra Dinn, qui s’ouvrira progressivement à vous, au fur et à mesure des cadavres qui apparaissent. Un squelette, un coup de montre magique, et vous voilà spectateur des derniers instants de celui qui fût.

La mise en scène est littéralement figée, et est précédée d’un petit dialogue ou extrait audio riche en informations. Hélas, ils n’ont pas toujours la courtoisie de verser dans le « Diantre, je suis John Tartempion le capitaine, voilà que Bobby McTueur le second et Nick A. Voo le timonier viennent me faire la peau avec leurs haches », mais en bien plus naturel et subtil. On vous force à gambader durant la scène de crime une bonne minute sans rien pouvoir faire (sans doute le seul défaut incompréhensible du jeu) et c’est parti.

Vous devez croiser les infos visuelles, sonores. Chaque indice paye : les dialogues, les accents, la musique, les liens de parenté, un bruit, ce que vous entendez, ce que vous voyez mais aussi ce que vous ne voyez pas ou pas encore. Vous devez user de l’implicite, de l’explicite, de la déduction, de l’élimination et parfois d’un peu de hasard pour répondre aux mêmes questions : qui est cette personne, comment est-elle morte, et donc tuée par qui ou par quoi ?

Le tout premier meurtre visible est très prescriptif. Tout est clair, vous comprendrez tout en deux-deux. Et pourtant, c’est le dernier chapitre du journal de bord – l’histoire est à rebours, ou du moins dans le désordre, et bientôt elle se remettra lentement en place. Il y a soixante personnes à identifier, et pourtant le jeu baigne dans une fluidité exemplaire. On ne se sent jamais vraiment perdu ou confus – les éléments viennent progressivement, le puzzle s’imbrique petit à petit, même en misant parfois sur le moyen terme.

Comme dans Papers, Please, toute l’interface consiste à « relier les points ». Donc à naviguer entre souvenirs, le carnet de bord, et cette photo de classe géante qui se clarifie au fil du temps. Et la chose est bien pensée : système de signets, un portait ne se “défloute” que quand vous pouvez être certains d’avoir assez d’éléments pour l’identifier.

Et les groupes d’informations, les « sorts » (quoi, comment, par qui/quoi) ne se valident que par groupes de trois combinaisons correctes. Bref, il va falloir enquêter, mobiliser ses méninges, et ça rend Return Of The Obra Dinn peu ouvert aux âmes moins patientes ou moins… ouvertes… à des jeux plus cérébraux. Le moindre détail, distillé avec malice, peut finir par payer. Ce jeu, comme The Witness, mise sur votre intelligence et votre sagacité, et quand vous comprenez quelque chose, à vous ce grand moment de satisfaction et de sérénité.

Bon, ben, la croisière est gâchée

Tout ceci est fluide, révèle ses cartes à un rythme peu routinier (dès le deuxième chapitre rencontré, on vous demande d’absorber bien plus d’éléments à croiser plus tard et comprendre rétroactivement des choses, etc). Lucas Pope déploie un talent pour raconter, maîtriser son récit, et l’habiller. Il embrasse ce statut d’homme-orchestre, mais sans don d’ubiquité tout faire tout seul ne permet pas une grande ambition graphique.

Dans Papers Please, cette pauvreté – à défaut de meilleur mot – correspondait bien à l’âpreté du jeu. Sur l’Obra Dinn, c’est une licence artistique. On voit tout comme dans un vieux Macintosh, et l’on peut sélectionner une demi-douzaine de vieilles machines et couleurs de rendu. C’est déjà saisissant, mais ça devient dantesque quand chaque souvenir morbide se picore comme un tableau de la Renaissance où tout est figé, et pourtant si dynamique. Un concept graphique saisissant, un paradoxe finement relevé, tout ceci est épatant.

Quitte à aligner des gentillesses, le soud desgin est au top. Tant mieux, il est souvent important, à l’instar du doublage. Difficile d’être laudatif sur la musique, très porté sur les trompettes qui vous hurlent à la figure, c’est un peu lassant, surtout lors des séquences où l’on se balade comme une âme damnée en attendant d’enfin pouvoir prendre des notes. Pouet pouet pouet pouuUUuÊÊT yohoho une bouteille de rhum..Et quitte à filer la comparaison avec Papers, Please, Obra Dinn est traduit en français à la sortie. Bloody jolly, mates.

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Notre avis

Return Of The Obra Dinn est un tour de force artistique, un Cluedo géant où tout pas en avant est un fantastique fuel pour la satisfaction et l’âme du joueur. Parce qu’en attendant, Lucas Pope, en quatre ans, il vous fait ENCORE un jeu novateur et parfaitement ficelé tout en faisant progresser le medium. Tranquille. Moins un pour les pOueT PoUet assourdissants histoire de chipoter un minimum et voila - Obra Dinn est recommandé d’office pour toute personne vivante n’ayant pas peur de se confronter à un minimum de challenge.
Note : 8  /  10

Les plus

  • Concept et exécution au top
  • Sound design aussi
  • Direction artistique impeccable
  • Raconter beaucoup avec peu, raconter progressivement, raconter cohérent
  • Dur mais juste : un jeu qui mise sur l’intelligence du joueur

Les moins

  • Par définition, plus on avance dans le jeu, plus la force brute est permise
  • Pas toujours à 100% clair ou intuitif (jongler entre les souvenirs, argh)
  • PuEEeÊTtttt
1 commentaire
  1. Mon avis perso… après 1h30 de jeu c’est la loose totale. Des morts partout, et leurs souvenirs, repartis sur plusieurs chapitres de l’histoire. La tâche parait gargantuesque, il y a tellement de pistes et possibilités que je me sens dépassé. Mon expérience se résume à: se déplacer au hasard,essayer de noter les noms que j’entends, les détails que je vois, puis regarder le livre afin d’essayer d’établir des rapprochement foireux. Plutôt que fin limier, c’est l’impression d’être complètement stupide qui prédomine. Bref, je déteste cet excellent jeu pour les quelques euros qu’il m’a fait dépenser et surtout pour m’avoir fait perdre le peu d’estime de moi qu’il me restait. 
    😤

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