Histoire de se garder le meilleur pour la fin, on va s’intéresser directement à ce qui fâche, à savoir la forme de Before the Storm. Le titre de Deck Nine se présente comme un point & click aux allures de film interactif dont l’intrigue tient sur trois épisodes et se déroule plusieurs années avant celle de Life is Strange. On s’intéresse ici à la vie de Chloe Price, abandonnée par Max après son départ pour Seattle, ado rebelle et solitaire qui se lie d’amitié avec Rachel Amber, étudiante brillante et ultra populaire dont la disparition sera le fil rouge de Life is Strange.
Si clone qu’il t’embête
On se rend rapidement compte que la formule de ce dernier a été appliquée pratiquement à la lettre par Deck Nine pour Before the Storm. Le joueur retrouve donc la part belle faite aux dialogues et aux relations avec les divers personnages, le tout saupoudré de nombreuses interactions avec les éléments des différents décors. Et… c’est tout, en fait. Le gameplay de Before The Storm est minimaliste. Le problème est que ce minimum de mécanique de jeu est encore perfectible. Le jeu souffre de trop d’interactions qui parfois permettent à Chloe de débloquer une nouvelle option de dialogues, mais restent bien souvent inutiles. Quant aux rares énigmes proposées, elles tiennent plus de la collecte d’objets que du déchiffrage du sens de la vie.
Pour ce qui est des dialogues à choix multiples, rien à redire au niveau du doublage. Malgré un changement de voix pour Chloe, qui risque de choquer les plus tatillons, le jeu des divers acteurs est particulièrement bon et convaincant. On reproche cependant à certains choix d’être trop vagues sur la réplique à venir, surtout quand ces derniers se veulent “décisifs” dans la continuité de l’histoire. Il est toujours rageant de voir un “peut-être” se transformer en “oui définitif”, quand ce n’est pas un “je ne sais pas” qui devient une tirade de 5 minutes.
Ayant opté pour Chloe Price comme personnage principal, et afin de se démarquer de ce que proposait DONTNOD avec Life is Strange, Deck Nine se débarrasse de la possibilité de remonter dans le temps pour corriger un choix. Si cette disparition est censée donner une dimension plus définitive à nos actions, elle reste mal exploitée. En effet, les choix du joueur n’ont finalement que peu de conséquences sur le reste de l’intrigue, changeant simplement une cinématique çà et là. Soyons francs, le joueur n’est jamais vraiment stressé par un choix cornélien.
Pour coller à la personnalité de Chloe, les développeurs ont mis en place les défis d’insolence. Cette option de dialogue, qui se déroule en plusieurs rounds chronométrés, permet à la jeune rebelle de convaincre son interlocuteur à grand coup d’arguments-chocs et parfois d’insultes. Vous devez faire attention aux mots employés par votre adversaire pour dénicher un indice sur la prochaine réplique à choisir. Mis en avant dans le premier épisode, les défis d’insolence se font beaucoup plus rares dans les deux suivants. À croire que les développeurs se sont finalement rendu compte que cette mécanique n’était pas aussi gamechanger que la fonction Rewind en son temps.
Autant en emporte le vent de la narration
Passons rapidement sur le moteur graphique vieillissant et les textures baveuses, pour nous pencher sur l’autre gros défaut du jeu, la narration. Attention, on ne parle pas ici du propos, mais bel et bien de la manière dont est construite l’intrigue. Tout au long de l’histoire, on sent que les développeurs ont eu des choses à dire, mais qu’ils n’ont pas eu l’espace pour le faire.
En résulte un jeu dont le rythme est bancal, avec des péripéties parfois bourrées au pied, voire tronquées (c’est en tout cas l’impression que donne le dernier tiers de l’épisode final). Pire, Before the Storm se permet des longueurs purement inutiles (mon dieu la scène de la table dans l’épisode 2).
Le traitement des personnages secondaires est lui aussi inégal. D’un côté, on découvre avec plaisir et intérêt le passif de David, le beau-père autoritaire de Chloe haï par cette dernière dans Life is Strange, de Frank, l’énigmatique dealer de l’adolescente, ou encore de Rachel, dont sa personnalité est plus complexe que sa réputation aurait pu le laisser penser. De l’autre, on s’agace de voir des personnages importants dans Life is Strange, n’avoir qu’une brève apparition qui tient plus du caméo plutôt que d’un réel développement (coucou Nathan Prescott, c’est gentil d’être passé). La faute, une fois encore, à un nombre d’épisodes trop réduit.
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Une belle fable adolescente
Mais la véritable prouesse de Deck Nine est d’avoir su livrer une superbe et émouvante fable sur l’adolescence, et la découverte de soi, qui n’a pas à pâlir face à celle de DONTNOD. Un travail d’écriture renforcé par l’abandon de la dimension fantastique propre au premier opus.
Comme on vous le disait en début d’article, le jeu suit le quotidien de Chloe Price. Depuis le départ de Max, son amie d’enfance partie vivre à Seattle, l’adolescente rebelle s’ennuie en solitaire à Arcadia Bay, et n’a pour ambition que de défier l’autorité et crier sa rage à la face du monde. Lors d’un concert underground, elle rencontre Rachel Amber, étudiante brillante de l’université de Blackwell, à l’apparence sage, soit tout l’opposé de Chloe. Nait alors une amitié improbable qui va se transformer au fil du temps (et des choix du joueur) en relation amoureuse, au fur et à mesure que les deux amies dévoilent les différentes facettes de leur personnalité. Car sous son attitude rebelle, Chloe dissimule une touchante fragilité, exacerbée par sa solitude et le deuil de son père.
D’autant que choisir Chloe comme personnage principal permet à Deck Nine de ne pas tomber dans la redite, tant la personnalité extravagante de l’héroïne diffère de celle de Max Caulfield. On en veut pour preuve les tags cachés. Là où Max, plus réservée, se plaçait en témoin de l’évolution du monde en photographiant diverses saynètes dans Life is Strange, Chloe se refuse à rester passive et n’a pas peur d’user du feutre noir pour laisser sa marque sur le monde.
Plus que ce scénario niais de prime abord, ce sont les thèmes abordés qui font mouche. Que ce soit sur la sexualité, la perception de l’autre, l’autoperception, le besoin de se rebeller, l’impression d’être dépassé par les évènements, la solitude, l’envie de s’affirmer, le jeu prend un malin plaisir à multiplier les scènes qui renvoient à notre propre expérience.
On se surprend à apprécier une partie de jeu de plateau (scène un poil longue cela dit), à vouloir buller jusqu’à la fin d’une chanson sans continuer l’histoire – la bande-originale est une fois de plus superbe – ou à s’attacher des personnages dont on connait pourtant le destin tragique à l’avance.
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