Héritière directe de Demon’s Souls, véritable volet fondateur, la série Dark Souls s’était peu à peu éloignée de son modèle pour s’y replonger avec voracité dans ce troisième épisode. Conservant le système habituel des âmes à récolter, servant de monnaie et de points nécessaires à la montée en niveaux, le jeu de FromSoftware revient à un hub éloigné de tout, oasis charbonneux d’une paix qui n’a rien de rassurante. C’est à partir de ce point, sanctuaire du feu, que le joueur peut se téléporter comme d’habitude à chaque feu de camp qu’il aura activé, inscrits au cœur d’un monde quasiment d’un seul tenant. Point de rencontre de Demon et Dark Souls, cette intrication entre les deux logiques permet à cet épisode de revenir à ce qui faisait la force de la licence, ce retranchement dans un monde clos, un univers par delà les brumes de l’horreur, un cauchemar concentré sans époque ni repères.
Toujours derrière la carcasse d’un guerrier créé de toutes pièces, le joueur enchaîne exploration et boss – très inégaux – dans un but lui aussi troublé par la chaleur des braises. Balbutiante et enfermée dans un quasi mutisme, la série de FromSoftware n’a jamais réussi à se faire comprendre aisément du public. Racontée dans des wiki, des forums et des ouvrages d’éclaircissement, la trame générale n’est pas moins opaque dans ce dernier volet. S’il existe un souci réel d’ouverture avec enfin quelques PNJ qui semblent enchaîner des idées cohérentes vers un certain fil rouge, Dark Souls III est incompatible de nature avec toute personne qui aurait besoin d’un propos clair pour s’impliquer dans une aventure. D’une paresse incroyable, même après quatre épisodes, la série est entre le cryptique volontaire et l’indécence coupable, n’ayant jamais choisi son approche. Éparpiller des miettes en laissant espérer un festin est bien plus cruel et vain que de supprimer tout espoir et désir d’attraper un jour une quelconque consistance. L’âme du jeu ne se résume heureusement pas à cet aspect, et comme souvent, lorsque les mots font défauts, les images prennent la parole.
Déclinaison picturale de ce que pourrait susciter dans l’imaginaire l’évocation de l’épidémie de Peste Noire de la fin du Moyen-Age, Dark Souls III est un enchevêtrement de boue et de cadavres, recouvrant un mysticisme pervers et déréglé dans une folie de fin du monde. Un cadre mignonnet qui donne naissance à des structures ancrées dans une vision médiévale européenne, mais difformes, exagérées jusqu’au non-sens. Il serait temps que FromSoftware avoue le cambriolage de la maison de Miura et la disparition de planches de Berserk, mais le jeu dispose d’une identité visuelle forte, la plus basse des monstruosités enlaçant souvent une noblesse irradiante. Chaque zone foulée témoigne d’un passé torturé dont les créatures qui les hantent sont les gardiennes d’une ancienne gloire. C’est cette mélancolie qui titille les ventricules dans Dark Souls III, de façon encore plus poignante que dans les anciens épisodes : les environnements sont constellés de détails qui marquent l’esprit par leur signification latente, preuve d’un travail exceptionnel opéré sur l’univers.
Un moment particulier résume l’orientation de « fin de route » du jeu, un affrontement au départ anodin contre un boss qui se déroule dans une pièce jonchée de corps. Ce qui semblent être des guerriers tombés au combat viennent d’abord prêter main-forte au soldat, puis se battre contre cet ennemi redoutable dans une sorte de combat infini rejoué jusqu’à la mort. Le passé contre l’invasion d’un présent fataliste, souligné par l’une des rares compositions musicales douces de l’aventure s’ancre comme une vision. Un instant qui est le témoignage intelligent d’une thématique qui ne reste pas en fond de scène mais rayonne. Le joueur est déstabilisé, n’ose pas trahir cet adversaire lui aussi acculé, dans un contre-pied brillant, mais bien trop rare. C’est ce qui ressort de Dark Souls III, ce sentiment d’une maturité qui n’a pas su éclore d’une folie mais d’une sérénité tout juste épicée. Car Bloodborne est passé par là, avec sa fuite en avant, sa réinvention mythologique et son gameplay qui devenait la voie parfaite d’une évolution vers un sentiment de jeu plus grisant, la logique de « glissement » d’Armored Core appliquée à Dark Souls. Le jeu opère un retour en arrière intimidée, comme si le nom qu’il porte était finalement un mausolée inviolable.
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Le retour de la jauge de magie offre malgré tout un raffinement supplémentaire, liée à la mise en avant des compétences – attaques spéciales liées soit à une arme, soit à un bouclier – mais aussi aux sorts. Pompant copieusement dans les Focus Points, équivalents des points de magie, ces Weapon Arts sont une porte de sortie à à une mauvaise passe et demandent donc d’avoir l’oeil rivé à la barre de FP afin de bénéficier au besoin de ce sursaut. Une mécanique qui dynamise les affrontements par l’adjonction d’une diversité bienvenue et d’un basculement soudain du style de combat. Le joueur doit s’adapter à ce qui s’apparente à une nouvelle posture, à l’image de l’escrime ou du kendo, et donc savoir lire une situation donnée. Un perfectionnement technique malin qui s’accompagne de la présence d’une nouvelle fiole d’estus, destinée aux FP, qui empiète sur les flacons classiques. Avant de partir à l’aventure, il est nécessaire de définir le nombre de fioles de chacun des types embarquées sur un stock total. Au joueur de définir ses priorités en fonction de sa manière de jouer. Une liberté bienvenue qui démontre elle aussi une contraction par légère touches d’un système de jeu qui se corrompt, mais conserve du potentiel, ne demandant qu’à brûler. Il est d’autant plus dommage que ces petites ouvertures bien senties se composent d’éléments faisant leur retour en armure lourde, ou découlant d’un précédent système. Un manque d’imagination qui a épargné le domaine phare de Dark Souls III, son level design.
Sorti des premières zones de jeu, l’environnement de Dark Souls III est construit sur le schéma de la progression ressentie comme libre, tout en étant contrite dans des routes bien définies. Le problème d’une telle conception se trouve dans la réussite du maquillage : ici, les rides se voient, s’empruntent et dessinent de savants détours, mais sans jamais laisser penser à la présence d’un fond de teint. Logique, cohérente, ensemble de lignes d’un récit, la construction des différents lieux traversés par le joueur est un petit plaisir de pièges et d’expérimentation. Puisant sa force dans la descente, de hauts plateaux lumineux vers des marécages, de toits ensoleillés aux catacombes, Dark Souls III favorise l’observation. Les recoins sont autant d’armes viables à la fois pour le joueur et les ennemis, et il est régulier de pouvoir jeter un œil aux alentours en dénichant un point de vue surélevé. Une façon de préparer son cheminement et ses rencontres sans pour autant que les surprises, violentes et salées, disparaissent.
Lisible, la progression est également multiple, au gré des sentiers qui se croisent, s’évanouissent dans une caverne, perdant le joueur sur une pente glissante où il est facile de tomber nez-à-massue avec un boss bien trop fort pour son niveau. Un équilibre parfait d’évidence et de coups de bol qui donne à l’exploration la saveur excitante d’une expédition de cartographe. Le moteur de Bloodborne aide à bénéficier de ces petits moments de contemplation, comme devant une cathédrale surgie de nulle part au cœur d’une forêt, permettant à la jolie direction artistique de s’exprimer pleinement. Malgré tout, la qualité est fluctuante et si certains panoramas illuminent le regard, d’autres manquent de finesse. Un sentiment d’entre deux qui s’étend également du côté frame-rate/affichage, le jeu tenant ses 30 FPS la plupart du temps, mais au cœur d’un festival d’apparition soudaine d’éléments graphiques à deux mètres. Tout du moins sur cette version PS4. Un arrière-goût de pas assez qui auréole le jeu à tous ses niveaux. La série Dark Souls n’a jamais été une référence technique, ni un modèle d’évolution fofolle, mais Dark Souls III, malgré ses qualités souffre d’un Anor Lando dans la main.
Le travail de FromSoftware n’est pas décevant, les améliorations sont là sur quelques points, mais en tant que grosse synthèse aiguisée de la saga, le jeu semble rouler sur lui-même. Bloodborne avait tenté une approche différente, plus ou moins convaincante, Dark Souls III reste Dark Souls avec ses gimmicks et ses habitudes de vieux garçon. La question du meilleur – ou non – de la série ne se pose pas, il est dans une continuité, il n’invente pas beaucoup, et reste aussi attachant que ses aînés. C’est souvent le souci de jeux qui inspirent, se saisissent de cette originalité comme bannière et la porte sans se retourner. Dark Souls III est un jeu de grande qualité, saisissant d’humanité et d’intelligence de game design, mais a perdu de sa fougue.
Dark Souls III, disponible dès aujourd’hui sur PC, Xbox One et PS4 (testé sur PS4)
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