Il serait ridicule de juger un livre sur chaque chapitre qui le compose, c’est pourquoi il n’était pas sage de juger Life is Strange avant sa conclusion. Avec la sortie de ce 5e épisode, il est enfin l’heure de faire le bilan des aventures de Caulfield et de Chloe Price. Aussi, je dois bien admettre que je suis loin d’être habité par le même enthousiasme que celui qui m’animait à l’issue du premier épisode.
En intégrant la mécanique de retour dans le temps à un système de jeu très fortement inspiré des titres de TellTale Games,
Dontnod a fait un choix qui semblait être une bonne idée aux premiers abords. Cette capacité permet de revenir sur ses décisions, de bien comprendre les conséquences immédiates des choix que l’on fait et également de rajouter quelques énigmes qui, bien que trop rares dans le jeu, ajoutent un véritable aspect ludique qui peut parfois manquer dans ce type d’expérience.
En expliquant au joueur qu’il peut revenir à tout moment sur les choix de Max (sauf durant certaines séquences qui sont, justement, parmi les plus mémorables de la saga), Dontnod donne une importance bien trop forte à cette notion. On en attend quelque chose, on veut que cela compte. Sauf que, à la fin, la dure réalité de l’illusion du choix frappe le joueur en pleine figure. Il n’y a jamais eu de choix. Il n’y a jamais de réelles répercussions.
The Walking Dead, de son côté, est antinomique à
Life is Strange d’un point de vue systémique. Non seulement il n’est pas possible de revenir sur ses choix, mais il faut parfois les faire sous la pression du temps, générée par des situations d’urgence extrême. Le résultat était bluffant. Le joueur ne pouvait plus agir par cynisme, ou pour voir « comment ça ferait si… » ; il jouait, point. Et même si, comme
Life is Strange, l’illusion du choix se fissurait assez rapidement (le personnage qu’on a sauvé au détriment d’un autre meurt également un peu plus tard dans le jeu, rendant nul un choix crucial précédent), l’implication émotionnelle, elle, est sauve. Qui ne s’est jamais inquiété pour Clementine ? La narration, de la rencontre entre Lee et Clementine jusqu’au terrible procès improvisé par l’étranger à la fin de l’épisode 5, conditionne le joueur à l’inéluctable et donne tout son poids à l’ensemble.
C’est là, que Life is Strange pêche par rapport à son illustre aîné.
Les choix que nous donne Dontnod ne sont plus réellement des choix. Ce sont des paris aveugles sur l’avenir, car il n’est jamais possible de connaître les conséquences lointaines d’une décision donnée. Ils ne sont basés ni sur notre bon sens, ni sur notre capacité à décider rapidement et à assumer ensuite. On reste dans cette posture du joueur spectateur, dictant à une Max Caulfield toute puissante, même si attachante, ce qu’elle doit faire. On ne s’inquiète jamais vraiment pour elle, il n’y a jamais vraiment de tension. Après tout, elle pourra toujours revenir dans le temps en cas de problème.
Bref, tout est désamorcé. Plus rien n’a d’importance, aspect qui est particulièrement flagrant à la fin de l’ultime épisode, quand tout ce qu’on a fait durant les quatre premiers semble complètement futile. Et quand le titre, à la toute fin, essaie de vous remettre un tout petit peu d’enjeux dans la balance, il le fait
dans un ultime dilemme placé si maladroitement qu’il finit de faire perdre le joueur, brisant au passage le peu de «
suspension consentie d’incrédulité » qu’il restait.
Le thème des voyages temporels peut vraiment être un excellent outil pour un jeu vidéo. Il est capable de mêler habilement construction narrative et ludique. Il ajoute une 5e dimension au jeu et permet au joueur d’explorer différentes lignes temporelles. Dans Life is Strange, le format épisodique n’est malheureusement pas très bien adapté aux retours dans le temps. Il aurait certainement fallu laisser des libertés au joueur, lui permettre d’explorer davantage les lignes temporelles, y compris en revenant loin dans le passé, dans les anciens épisodes, pour créer un véritable puzzle temporel à résoudre duquel auraient pu découler plusieurs fins différentes. Au final, dans Life is Strange, le joueur est trop libre pour qu’on puisse lui imposer un rythme de narration efficace et pas assez pour utiliser pleinement les pouvoirs temporels de Max.
[nextpage title=”De bonnes idées, quand même”]
Certes, le jeu propose également quelques phases de recherche et de résolutions d’énigmes parfois bien trouvées. Ces phases où l’on doit résoudre un problème donné en utilisant à bon escient le rembobinage s’intègrent également bien à la narration. Ainsi, la récompense pour en avoir trouvé la solution ne sera pas forcément l’accès à la suite de l’histoire, mais également des changements narratifs. Elles sont cependant trop peu nombreuses et certaines autres phases de gameplay sont quant à elles carrément ratées et mériteraient vraiment d’être supprimées. Durant l’aventure, vous serez par exemple confronté à une passionnante chasse à la bouteille vide dans une décharge ainsi qu’à une phase d’infiltration mémorablement mauvaise.
Life is Strange peut cependant revendiquer un univers assez unique pour un jeu vidéo et aborde des sujets tout à fait intéressants tels que le passage à l’âge adulte, le suicide, les familles brisées puis recomposées, le harcèlement ou la surveillance exacerbée de la société, entre autres.
Le tout est traité de manière mature, pas trop insistante et la plupart des personnages sont plutôt bien écrits.
On peut également saluer la bande-son particulièrement bien choisie. Les doublages sont convainquant et la direction artistique, « à la Juno », habille habilement les modestes ambitions techniques du jeu. Il y a quelques bonnes choses à retenir de Life is Strange, mais ces qualités ne parviennent pas à compenser les baisses de rythme terribles du jeu et l’approximation de la structure narrative du titre. Surtout sur la toute fin.
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