La malédiction d’un jeu trop adulé
Parmi les consoles qui ont bousculé toutes les idées préconçues des game designers de Nintendo dans son histoire, la Nintendo 64 est un gros morceau. La puissance qu’a apportée cette machine à l’époque a posé la même question à toutes les grandes licences du constructeur : « comment retranscrire en 3D un game design qui a été conçu et pensé depuis toujours pour la 2D ? » Deux jeux en particulier s’en sont sortis avec brio. Il y a d’abord eu Super Mario 64 en 1996 qui a complètement revu sa structure de progression en optant pour un hub central et a adapté son level design pour adoucir au mieux les effets trompeurs de la troisième dimension. Et puis il y a eu The Legend of Zelda : Ocarina of Time en 1998. Le jeu, encore considéré par certains comme le meilleur jeu de tous les temps, a eu un impact si fort, une réponse si positive de la part de la critique et du public, que jusqu’en 2011 et la sortie de Skyward Sword, l’idée de changer cette structure alternant exploration de donjons et quête dans un vaste monde n’a même pas effleuré l’esprit de Nintendo.
Néanmoins, pour la série, cette réussite était une lame à double tranchant, car pour chaque Zelda calqué sur ce modèle, la comparaison avec Ocarina of Time était inévitable. À force de reproduire le concept ad nauseam, en ne changeant la nature de la saga qu’à la marge, la licence est entrée dans une routine certes confortable, mais de plus en plus fade. Comme ce plat que l’on aime, mais qu’on vous sert et ressert, encore et encore. En parallèle, pendant que Nintendo s’enfermait dans ses traditions, d’autres éditeurs ont démontré qu’il était possible de faire de l’aventure autrement, que ce soit Capcom avec Okami (PS2, 2006) ou Bethesda avec sa série des Elder Scrolls (dont le dernier opus, Skyrim, est sorti sur PC/Xbox 360/PS3 en 2011).
Eiji Aonuma, l’illustre producteur devenu le principal artisan de la saga après la sortie d’Ocarina of Time le reconnaît lui-même : rien n’a vraiment changé depuis cet épisode et une remise en question était nécessaire. En mars 2016, il expliquait ainsi au magazine japonais Famitsu que « la base de la recette magique a toujours été Ocarina of Time ». Travaillant encore sur un Breath of the Wild maintes fois repoussé, il prétendait ainsi que « cette fois, le changement de saveur sera le même que de celui qui consiste à passer de la cuisine japonaise à la cuisine occidentale » et que lui et son équipe « [seront] capables de faire quelque chose « d’aussi nouveau » qu’Ocarina of Time à l’époque.
En début de semaine, nous avons reçu la Switch (dont vous pouvez lire nos impressions après trois jours d’utilisation) avec The Legend of Zelda : Breath of the Wild et je pense pouvoir affirmer qu’après cinq heures de jeu que Aonuma a réussi sa mission. Le jeu n’a plus grand-chose à voir avec ses prédécesseurs. Après 21 ans, Nintendo a enfin réussi à se débarrasser du spectre d’Ocarina of Time. Et ça fait un bien fou.
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Ceux qui se plaignaient des traditionnels sidekicks envahissants des précédents épisodes vont être ravis : le jeu vous fout une paix royale et vous lâche dans la nature quitte à ce que vous subissiez une ou deux morts traumatisantes pour vous apprendre par la manière forte qu’il vaut mieux être prudent dans les vastes étendues d’Hyrule. Chose osée, la grande majorité de vos gadgets (bombes, aimant, pouvoir de glace et stase temporelle) vous sont donnés dès la première heure de jeu ! Ce qui fait que dès le début, le joueur se retrouve exposé à une très grande variété de puzzles et de possibilités de les résoudre. Un comble pour une série qui s’est toujours basé sur le principe d’un problème pour une solution unique. Il m’est par exemple régulièrement arrivé de « gruger » le jeu en résolvant une situation problématique grâce à une solution qui me paraissait logique. Je voyais très bien la manière « naturelle » de procéder, mais la mienne fonctionnait tout aussi bien. Ainsi, la liberté n’est pas présente uniquement dans l’immense monde ouvert qui est proposé, mais aussi directement dans le game design du jeu.
Mais ce n’est pas tout ! Les fragments de cœurs aussi sont passés à la trappe ! Ils ont été avantageusement remplacés par un système d’emblème que vous gagnez en remportant des épreuves dans des « sanctuaires » répartis sur tout le royaume. En échange de quatre de ces emblèmes, vous aurez le choix entre augmenter votre barre de vie d’un cœur ou votre barre d’endurance d’un segment. Et croyez-moi, comme cette fichue barre d’endurance sert à peu près à tout dans le jeu (grimper, sprinter, nager, planer, pousser des choses lourdes) le choix sera cornélien. Ces sanctuaires seront d’autant plus importants qu’une fois découverts, ils vous serviront également de point de téléportation, ce qui est pratique pour retourner rapidement dans une zone déjà visitée. Vous serez également en quête des tours d’observation, car à l’instar d’un Assassin’s Creed, elles vous donneront la carte de la région qui détaille la topologie des lieux. Ce qui, dans un jeu qui compte autant sur l’escalade et l’optimisation des trajets, est particulièrement important.
The Legend of Zelda : Breath of Fresh Air
La structure générale a été affinée par rapport à ce qu’on a pu voir dans les opus précédents. Plutôt que de passer d’un donjon à l’autre avec, si on était chanceux, quelques quêtes pour faire un peu de liant, ici c’est plutôt la question de « comment vais-je bien pouvoir faire pour arriver là-bas en un seul morceau ? » qui se pose. La carte est massive, certaines zones sont vraiment dangereuses, les morts bêtes fréquentes – Oups ! J’ai glissé dans le torrent gelé et je suis mort d’hypothermie ! – et les ressources souvent difficiles à trouver. On se retrouve ainsi à faire un petit crochet parce qu’on a vu une colline qui nous permettra d’avoir un beau panorama sur la région et en profiter pour chercher un camp de monstres à détrousser parce qu’on est clairement en pénurie de flèches.
Notez également qu’on ne possède plus de monture unique, mais qu’il faudra capturer ses chevaux soi-même, leur donner un nom, les débourrer, les faire prendre en charge par des tenants de haras (!) pour qu’il leur mette une selle et qu’il puisse les rapatrier dans un relais au besoin. Pourquoi a-t-on besoin de les déplacer d’un relais à un autre ? Parce que si la téléportation de Link est bien pratique pour retourner à d’anciens lieux, vos bourrins ne peuvent pas en bénéficier. Et n’essayez même pas de le siffler alors que vous êtes à des kilomètres, il ne débarquera pas comme par enchantement comme Épona le faisait dans Ocarina of Time. Non, dans Breath of the Wild, l’adage “qui voyage loin ménage sa monture” prend tout son sens. Quand vous devrez traverser de longues distances dans des contrées encore inexplorées, vous devrez démarrer d’un relais, avec votre canasson et vous savez que vous risquez de partir pour un long moment. Vous vous attacherez à lui et vous en prendrez soin, car comme vous, votre cheval peut tout à fait trépasser sous les coups.
Vous voyez qu’il ne reste plus grand-chose de « Zelda » dans ce Zelda. Même l’aspect scénaristique a été modifié. Nintendo a enfin passé le pas du doublage – mieux vaux tard que jamais – ce qui est une première pour la série et le jeu bénéficie même d’une VF. Sans entrer dans le détail de l’histoire, Link n’est plus la coquille vide que l’on a souvent connue. Il ne s’agit plus d’incarner ce petit fermier/enfant/apprenti forgeron qui se réveille un matin et se découvre une destinée héroïque : ce Link là, possède un passé lourd. Alors certes, après avoir passé un siècle en hibernation, il est devenu amnésique et vous pourriez objecter à raison qu’on passe d’un cliché à un autre. Ce qui est super intéressant par contre, c’est que la moitié d’Hyrule semble le connaître.
C’est par le témoignages des autres et des bribes de souvenirs que le vécu de Link se dévoilera. Le jeu s’appuiera énormément sur des flash-back et sur des réminiscences qui se déclencheront à la vue d’un élément familier. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que vous ne pouvez pas nommer votre personnage dans ce jeu. Vous jouez Link et Link a une histoire. La saga sort ainsi de sa léthargie scénaristique dans laquelle elle a plus ou moins toujours été plongée – à l’exception peut-être de Majora’s Mask. L’univers est également plutôt osé, car outre l’aspect médiéval fantastique complètement attendu, le côté technologie est aussi extrêmement présent. Ce qui n’est pas inédit dans un Zelda, mais jamais dans de telles proportions. Le jeu propose quelques aspects contemporains amusants, comme l’utilisation de cette fameuse tablette tactile à tout faire et sur laquelle vous ferez littéralement des mises à jour et des ajouts d’application.
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