Durant la période Kamakura, qui peut être considérée comme une partie de l’ère médiévale japonaise, l’Archipel est attaqué par des armées Mongoles dans une tentative d’invasion. La première cible est l’île de Tsushima, relais entre le continent et le Japon. Equipé de lourdes armures, d’une flotte militaire efficace et surtout d’armes à poudre, les Mongols occupent rapidement le territoire. Ils vont pourtant être repoussés à cause de tensions internes dans leurs rangs et – pas de chance – de tempêtes qui feront chavirer leurs navires par deux fois. Ghost of Tsushima se déroule durant ces évènements, et oppose donc le jeune Jin Sakai, recueilli par son oncle le seigneur Shimura, au grand guerrier et empereur Kubilaï Khan.
Rarement adaptée en jeu vidéo, cette étape de la construction japonaise agit ici davantage en tant que décor que comme une chronique interactive de faits historiques précis. Car si Sucker Punch montre un profond respect pour les forces en présence, certains détails et les principales batailles, le studio prend toutefois de très grandes libertés sur le déroulé des évènements d’une part (mêlant en un seul assaut les invasions de 1274 et 1281) mais surtout sur le personnage de Khan uniquement perçu comme un antagoniste cruel. N’espérez donc pas revivre au plus près la résistance des samouraïs de Tsushima mais bien une lutte acharnée entre deux visions du monde avec un setting plus ou moins réel. Pour autant, ce flou dans les faits n’est pas du tout la preuve d’un manque de sérieux de Sucker Punch dont l’ensemble du travail opéré sur le jeu tend davantage à donner au joueur l’impression tenace de fouler un Japon médiéval certes fantasmé, mais vibrant.
Lame de fond
Bâti sur un terrain de jeu conséquent, Ghost of Tsushima est un enchaînement de panoramas rêvés aux accents souvent picturaux sans jamais tomber dans l’image d’Epinal. Mélange entre capture amoureuse de paysages japonais sauvages et recherche d’une cohérence dans l’enchaînement des différents biomes, les environnements renvoient à des visions sans cesse oscillantes, de la rêverie à la contemplation, de l’inquiétude d’un marais à peine éclairé à des collines immaculées. Cette direction artistique aux potards tournés à fond apparaît comme un choix pertinent tant elle participe à donner au récit un côté légendaire ; l’écriture en direct de la mythologie de Jin Sakai, le fantôme de Tsushima. Démarche similaire côté gameplay où se chevauchent volonté de coller aux mouvements “traditionnels” de Kenjutsu – notamment dans les postures et la saisie du tachi – et capacités plus proches du pouvoir magique que de la maîtrise d’un art du combat. Il est courant de passer d’une lecture fine de l’avancée de l’adversaire pour caler une parade, en fonction de son type (lancier, épéiste, brute, porteur de bouclier) à des coups ultra rapides mettant trois personnes au sol en une fraction de secondes.
Rien qui ne casse l’immersion, le joueur étant déjà préparé à une réalité proche du mythe, mais le système de postures à adapter en fonction de l’ennemi fonctionne si bien qu’il est un peu dommage d’avoir autant multiplié les moyens de dézinguer tout ce beau monde en clin d’oeil. Entre les kunaï, les bombes, les flèches enflammées, Jin devient vite une machine à tuer rendant petit à petit bien moins intenses les affrontements. Demeurent heureusement les duels, le plus souvent contre un ennemi unique ou un boss qui, à la fois dans leur mise en scène inspirée de Kurosawa et dans leur âpreté, rattrapent ce sentiment de puissance mal dosée. En marge de ces rixes en face à face, une approche plus lâche – ou jouissive suivant son caractère – se dessine dans la possibilité d’effectuer la majorité des missions de façon furtive via une relecture de Tenchu plutôt réussie sans être originale. Attirer l’attention avec une clochette, éliminer en cascade plusieurs gardes rapprochés, provoquer la panique en tirant sur des nids de frelons, les méthodes sont variées, mais, encore une fois, manquent cruellement d’idées neuves. Tout marche bien, ce n’est pas le noeud du problème. L’aspect formule appliquée à la lettre en est en revanche un.
Ouvert et contre tous
Il faut être clair, Ghost of Tsushima est l’extension de tout un pan de jeu en monde ouvert initié ces dernières années, ni plus, ni moins. Transposition de tout un ensemble de mécaniques trop connues, il semble être le fameux Assassin’s Creed dans le Japon médiéval que réclamaient en hurlant des fans pas très imaginatifs. Le jeu de Sucker Punch regarde droit dans les yeux AC Odyssey, copiant ses techniques de sabre avec une certaine malice, tout en retirant ce qui en faisait la lourdeur, à savoir le système de niveaux et la gestion de l’équipement. Voici donc un titre à la fois moderne et éculé qui semble toujours un peu dépassé parce qu’il se passe. Voir encore une IA aléatoire dès lors qu’il s’agit de repérer le joueur, subir des problèmes de transitions entre deux rebords en phase d’infiltration, observer le jeu qui fait surgir des flèches de nulle part parce que la zone traversée ne doit pas l’être à cet instant précis (on parle tout de même de monde ouvert) et donc causer la mort de Jin, déconnecte du jeu immédiatement. Ghost of Tsushima n’est pas le premier à enchaîner ces soucis, il ne sera pas le dernier, mais pour un projet de fin de génération, après autant d’exemples, il souffre malheureusement encore plus que les autres de ces accrocs.
La formule est déjà écrite, déjà épuisée et peu de choses participent à tenter de la ranimer. GoT tient sur son contexte et sur ce que ce dernier implique en terme de game design. C’est là qu’il pioche son style et ce qui lui donne une saveur particulière. Notamment les phases de créations de haïkus, paisibles, contrepoints malins avec la violence récurrente du récit et conçues avec une réelle sensibilité. Le fait de remplacer la classique boussole de quête par une orientation via le souffle du vent apporte aussi un supplément d’âme, une communion avec l’environnement allant de paire avec la gestion intelligente de la bande-son, extrêmement discrète lors des phases d’exploration. Finalement c’est lorsqu’il s’accroche avec fermeté à l’imaginaire du Japon médiéval que Ghost of Tsushima est le meilleur. Le monde ouvert, ses innombrables quêtes, ses libérations systématiques de camps, bref sa routine, apparaissent alors comme des fausses routes. C’est dans l’aridité, ses duels intenses et le rythme unique du temps qui passe que Tsushima aurait pu éclore. Il reste ici un bourgeon pris dans les premières glaces d’une mode gelant la créativité.
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