Jouer sur la nostalgie des joueurs est-il la meilleure manière de récolter des fonds sur Kickstarter ? On est en droit de le croire quand on regarde les derniers grands succès de la plateforme. La promesse d’un « nouveau » Megaman ? 3,8 millions de dollars. La promesse d’un « nouveau » Castlevania ? 2,4 millions et toujours en cours. Un « nouveau » Banjo et Kazooie ? 1,6 million de livres sterling et toujours en campagne.
Je pourrais continuer longtemps à énumérer les exemples de ces créateurs de jeux qui arrivent devant la plateforme de financement participatif et qui y voient une sorte de panacée pour ressusciter leurs vieilles gloires. Il faut les comprendre : Kickstarter permet de recréer une certaine époque bénie du jeu vidéo. Une époque où les éditeurs les laissaient encore un peu tranquilles. Une époque où les pulsions créatrices étaient peut-être plus fortes, y compris au sein des plus grandes entreprises du jeu vidéo. Une époque où il ne fallait pas trois personnes à plein temps pour animer un personnage.
Les valeurs sûres et les suites à gogo que doit produire l’industrie AAA pour compenser les coûts de plus en plus forts, obstacles à la rentabilité, poussent les créateurs vers l’indépendance. Le crowdfunding devient alors une solution assez évidente pour mettre en place des projets. Ce procédé devrait être un tremplin formidable pour les projets les plus fous (et parfois, comme pour l’Oculus Rift, c’est même le cas). Au lieu de ça, ces créateurs se retrouvent piégés par un autre diktat, celui de la nostalgie. Et c’est très certainement ce qui a fait le plus mal à Broken Age, la volonté de faire un jeu de 90, en 2015.
[nextpage title=”Clics partout, réflexion nulle part”]
Sortir un point and click dont la logique des énigmes est le plus souvent absurde (ce qui peut être un parti pris intéressant), sans aucun système d’indices, sans aucun moyen d’épargner au joueur de cliquer partout pour trouver comment avancer dans le scénario, n’est plus amusant ; du tout.
Broken Age a été pensé comme si aucun jeu d’aventure de ce type n’était sorti depuis Grim Fandango en 1998. Sauf que Machinarium a démontré qu’il était possible de faire un système d’indices complètement intégré et qui ne donne pas l’impression au joueur de tricher (il faut gagner à un mini-jeu pour débloquer l’indice). The Walking Dead et son système de surbrillance malin ont démontré qu’il était possible de trouver un juste milieu entre les éléments qui brillent à l’écran et aucun signe d’interaction du tout. Virtue’s Last Reward a démontré qu’il était possible de distiller des indices en fonction des éléments qui ont été touchés par le joueur. Plus celui-ci reste bloqué et plus les personnages secondaires donnent des indices précis.
Broken Age est malheureusement archaïque dans sa conception. Il fait multiplier au joueur les allers et retours, et fait fulminer devant des solutions évidentes, mais que le joueur ne peut pas appliquer pour des raisons triviales. Il sera impossible d’obtenir la collaboration d’un personnage (même si la vie d’un membre de sa famille est en jeu) sans lui apporter l’objet qu’il demande. Cette action vous permettra en général d’obtenir un autre bibelot qu’il faudra donner à quelqu’un d’autre, et ainsi de suite, jusqu’à ce que mort cérébrale s’en suive.
Ce côté « vieille école » aurait pourtant pu être pardonné par des énigmes bien pensées, récompensant l’esprit logique du joueur. Cela n’est pas possible à cause de l’univers décalé du titre. Une histoire haletante, dont la conclusion aurait pu être à la hauteur de celle de l’acte 1, aurait également pu rendre l’expérience gratifiante dans son ensemble. La fin est malheureusement anticlimatique et peu inspirée.
Le jeu aurait même pu complètement assumer ses énigmes à 4 mains que l’on rencontre parfois (il faudra récolter des informations en incarnant le personnage B, puis repasser au personnage A pour les utiliser et résoudre une énigme), mais comme les deux personnages ne se croisent jamais, ces éclairs de génie causés par le design des puzzles ne sont jamais justifiés dans le scénario. Désolé Tim Schafer, mais faire dire au protagoniste « Ah ah ! J’ai eu une sacrée intuition ! » et lui faire faire un clin d’œil au joueur n’est pas une explication suffisante quant au fait qu’il ait mystérieusement déchiffré un code incassable.
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