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SWOT a décollé : tout savoir sur la nouvelle sentinelle de l’eau sur Terre

Cet engin va révolutionner le regard de l’humanité sur les lacs et les rivières de notre Terre.

Aujourd’hui 12h46, le satellite SWOT, pour Surface Water Ocean Topography, a pris le chemin de l’orbite à bord d’un lanceur Falcon 9 de SpaceX. L’occasion de revenir rapidement sur les enjeux de cette mission aussi prestigieuse qu’unique dans laquelle la France a joué un rôle central. Visite guidée.

C’est quoi, SWOT, et à quoi va-t-il servir ?

SWOT, c’est d’abord le nom d’une grande mission commune organisée par la NASA et son équivalent français, le CNES. Mais c’est aussi le nom de l’acteur principal de cette mission. En l’occurrence, ce satellite à un milliard est une sentinelle consacrée exclusivement à l’étude topologique des eaux de surface.

Et le terme n’est pas choisi au hasard. À ce titre, il s’agit du successeur spirituel de TOPEX/Poseidon, une mission d’altimétrie lancée en 1992 qui a complètement révolutionné cette discipline. Pendant plus de 12 ans, elle a permis de mesurer le relief de la surface océanique avec une précision de l’ordre de quelques centimètres.

Et les équipes qui ont conçu SWOT espèrent bien qu’il apportera un progrès tout aussi important. Car malgré ses performances, TOPEX n’était tout simplement pas assez précis pour s’intéresser aux plus petits réservoirs qui jonchent la surface. Ce nouvel engin, en revanche, sera capable de travailler à une échelle bien plus réduite.

Il pourra étudier la topologie des lacs de plus de 250 m² et de la quasi-totalité de grandes rivières de plus de 50 à 100 mètres de large sur toute la planète. Au total, à chaque période de 21 jours (ce qui correspond à une rotation autour de la Terre,) il couvrira une surface d’eau d’environ un million de kilomètres carrés pour en mesurer la topologie !

Comment ça marche ?

En règle générale, les instruments de ce type fonctionnent sur le même principe. Une antenne commence par émettre un signal radar en direction d’une surface qui réfléchit ces ondes, comme l’eau.

Une partie du signal va ainsi être renvoyée directement vers l’instrument où il sera capté par un récepteur. À partir de là, le télescope n’a plus qu’à effectuer un calcul simple pour déterminer la hauteur du point d’eau visé, puisqu’on connaît la vitesse de l’onde et le temps qu’elle a mis pour faire l’aller-retour.

Chez SWOT, l’idée de base est plus ou moins la même; c’est toujours un altimètre radar qui utilise le tour de passe-passe décrit ci-dessus. Mais le processus présente une différence importante. En effet, SWOT est doté d’un équipement révolutionnaire : un interféromètre à large fauchée.

Grâce à son interféromètre à large fauchée, SWOT va proposer des relevés topographiques d’une précision inédite. © NASA / JPL-Caltech
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Ce terme alambiqué désigne un instrument muni non pas d’une, mais de deux antennes radar distinctes. Chacune va produire un signal légèrement différent au retour de l’onde. Cela permettra d’obtenir un signal extrêmement précis et surtout très propre; de quoi faciliter considérablement le traitement de la montagne de données qu’il ambitionne de produire.

Pascale Ultré-Guérard, directrice adjointe en charge de la stratégie du CNES, a tenu à insister sur ce dernier point. Car grâce à ce mode de fonctionnement, SWOT va pouvoir moissonner des données en quantité industrielle. Si l’on parle de large fauchée , c’est que le télescope ne se contentera pas d’échantillonner les lacs et les rivières point par point. A la place, il va passer deux en revue à environ 120 km d’écart.

Cela lui permettra de réaliser une interpolation, c’est-à-dire de calculer l’altitude entre ces deux points sur la base d’une estimation mathématique. En d’autres termes, cela permettra de “remplir les trous” pour obtenir une bande de mesure complète de 120 km. Et au fil de la rotation de la Terre, il pourra ainsi couvrir toute la surface du globe. De quoi produire une très grande quantité de relevés intéressants. “À lui tout seul, Swot fournira autant de données que six altimètres classiques“, indique Aurélien Ponte, chercheur à l’Ifremer.

Quels sont les enjeux scientifiques ?

C’est une mission excessivement importante à bien des égards. La première raison, c’est que cette échelle de 10 à 100 kilomètres (on parle de méso-échelle) est aujourd’hui très mal observée. Et il s’agit d’une lacune particulièrement importante. En effet, c’est à cette méso-échelle qu’une grande partie de l’énergie des eaux de surface est concentrée.

Cela signifie qu’une part très importante de la dynamique hydrologique se joue à cette échelle locale. En fournissant des informations à ce niveau, SWOT permettra d’extraire des informations cruciales. Il proposera par exemple une estimation du débit de presque tous les cours d’eau de la planète.

Ces données permettront de faire le lien entre ces mécanismes et la circulation océanique à grande échelle. Par extension, cela renseignera les chercheurs sur le rôle de ces transferts d’énergie dans les cycles biogéochimiques qui définissent la vie sur Terre, comme le fameux cycle du carbone.

Il permettra également de mieux comprendre la dynamique des échanges entre les différents bassins versants. Il offrira aussi des informations déterminantes sur les mécanismes en jeu à l’interface des fleuves, des rivières et des mers. Mais surtout, il permettra d’évaluer les ressources en eau disponibles à l’échelle de toute la planète (navigation, irrigation, eau potable, énergie hydroélectrique…).

Au bout du compte, ce satellite dispose d’un potentiel très important pour des tas d’applications aussi importantes que variées; et la plupart d’entre elles restent encore à inventer.

Selon les responsables de la mission, cela signifie aussi qu’il faudra informer les chercheurs. Car si les océanologues ont l’habitude de travailler avec des cartes, ce n’est pas le cas des hydrologues; pour ces derniers, SWOT sera une véritable baguette magique. Il leur permettra d’étudier des liens fonctionnels dont ils ne pouvaient que rêver jusqu’à présent. Pour les opérateurs, tout l’enjeu sera donc de rendre les données aussi accessibles et faciles à exploiter que possible, notamment grâce à un gros travail de prétraitement des données.

Et la France dans tout ça ?

Le lancement de SWOT est aussi une excellente nouvelle pour le rayonnement scientifique et académique de la France. Pour rappel, il s’agit d’une mission d’envergure qui a nécessité des années de collaboration rapprochée avec la NASA. Et l’Hexagone ne se contente pas de poser sur la photo aux côtés de l’Oncle Sam, loin de là; notre pays a hérité d’un rôle structurant dans le programme.

Le Centre National d’Études Spatiales a joué un rôle central dans le développement de la mission SWOT. © CNES

En effet, le chef du projet Thierry Laffont a tenu à rappeler que le CNES a hérité de certaines prérogatives importantes. Cela commence par la gestion du satellite en lui-même, qui représente déjà une lourde responsabilité. Elle en a aussi assuré l’assemblage à partir des pièces fournies par la NASA. C’est également l’institution française qui a pris en charge l’étape ô combien importante de la certification du matériel.

La France et le CNES ont aussi hérité d’un rôle déterminant dans la conception de l’instrument principal, le fameux interféromètre baptisé KaRIn (pour Ka-band Radar Interferometer). Les États-Unis souhaitaient ardemment garder le monopole sur cet élément clé. Mais au terme de longues et âpres négociations, la France a obtenu la conception du module radar de l’instrument; c’est Thales Alenia Space qui a conçu le cœur battant de cette mission. Et il s’agit d’un vrai bijou de technologie; il représente un énorme pas en avant en termes de gestion du signal et du bruit. Chaque succès du SWOT sera donc aussi une grande réussite pour l’ingénierie française.

Quels sont les autres enjeux ?

Nous avons parfois tendance à l’oublier, mais l’eau est un élément excessivement important dans le paysage géopolitique mondial. Certains des bassins versants les plus importants sont partagés par plusieurs pays; cela peut donner lieu à des tensions politiques significatives. Et cela ne va pas s’arranger avec la montée en puissance du réchauffement climatique.

En permettant à toutes les institutions scientifiques de mieux maîtriser les ressources en eau, ce satellite pourrait donc aussi hériter d’un rôle presque diplomatique; comme toujours dès qu’on parle d’eau, avec SWOT, les enjeux sont aussi éminemment géopolitiques.

Comment suivre le lancement ?

Le lancement était initialement prévu pour le jeudi 15 décembre, depuis la base de Vandenberg aux Etats-Unis. Mais suite à un souci d’humidité au niveau des moteurs-fusées Merlin du lanceur Falcon 9, le lancement a dû être reporté. Fort heureusement, une autre fenêtre de tir était disponible dès le lendemain; le CNES et la NASA ont procédé au tir le 16 décembre à 12h47.

Avant cette échéance, ils ont dû déterminer l’origine de cette humidité. Heureusement, il s’agissait simplement d’eau résiduelle liée au passage d’une petite tempête. SWOT a donc pu partir à la date prévue. Mais ce n’était pas une garantie. “Si c’est quelque chose d’autre que de l’eau, nous aurons besoin de suspendre le lancement pour remplacer ces moteurs et s’assurer de leur fiabilité“, déclarait Julianna Scheiman, présidente de la division Satellites civils chez SpaceX. Le lancement a été diffusé sur la chaîne YouTube de la NASA (ci-dessous).

[Article mis à jour le 16/12/22 pour intégrer le succès du lancement]

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