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SpaceX a 20 ans : retour sur deux décennies de révolution de l’aérospatiale

Space Exploration Technologies Corp, ou SpaceX pour les intimes, souffle officiellement sa vingtième bougie aujourd’hui; une occasion de s’offrir un bref résumé du parcours d’une entreprise parmi les plus innovantes de la planète.

Il y a 20 ans jour pour jour, Elon Musk déposait officiellement l’acte de naissance de SpaceX auprès des autorités américaines. Une date qui, avec le recul, a marqué le début de deux décennies d’innovation tous azimuts qui ont transformé toute une industrie en profondeur; l’occasion de résumer très sommairement le parcours d’un mastodonte qui n’a pas fini de faire la pluie et le beau temps dans l’espace.

En 2002, le nom d’Elon Musk était encore loin d’être aussi connu qu’aujourd’hui. Mais il revendiquait déjà un CV bien garni. Il s’était déjà illustré en fondant Zip2 et X.com, l’une des premières banques en ligne. Elles lui ont respectivement rapporté 307 millions et 1,5 milliard de dollars lorsqu’il les a vendues à l’aube du nouveau millénaire.

Avec ce capital conséquent, Musk s’est rapidement lancé dans un autre projet qui lui tenait à cœur : la conquête de Mars, qui reste encore sa principale motivation aujourd’hui. Son premier projet en ce sens, baptisé Mars Oasis, consistait à développer un prototype de serre expérimentale qui permettrait de faire pousser des végétaux sur la Planète rouge.

Mais en poursuivant cet objectif, Musk s’est heurté à une dure réalité : au début des années 2000, cette industrie n’était tout simplement pas assez mature pour partir à la conquête de Mars. Plutôt que de patienter en attendant une révolution technologique, il s’est donc mis en tête d’y parvenir avec sa propre entreprise… et la suite appartient à l’histoire.

La naissance d’un futur géant

C’est ainsi que les bases de SpaceX ont été posées au cours du mois de mars 2002; Musk a déboursé environ 100 millions de dollars de sa propre poche pour créer officiellement l’entreprise le 6 mai 2002, suite au dépôt du dossier auprès des autorités compétentes en compagnie de ses premiers partenaires.

L’entrepreneur a ensuite passé de longs mois à chasser des financements et des employés de renom, comme l’ingénieur Tom Mueller qui a officié comme Chief Technical Officer jusqu’en 2020. Des ressources qui lui ont permis d’attaquer le développement du lanceur Falcon 1, une étape qui a marqué l’arrivée de SpaceX dans la cour des grands.

C’est ainsi qu’en 2006, la firme a décroché un contrat qui a considérablement accéléré ce processus de transformation à grande échelle de l’aérospatiale. SpaceX a été sélectionné par la NASA, l’agence spatiale américaine, qui lui a demandé de prouver la viabilité opérationnelle de son lanceur.

Une aventure qui a failli tourner court

Mais SpaceX a ensuite traversé une période cauchemardesque entre 2006 et 2008; l’aventure a bien failli tourner court lorsque les trois premiers lancements se sont tous soldés par des échecs spectaculaires. Une situation qui a mis l’entreprise et son fondateur dans une situation financière très compliquée, au point de frôler la banqueroute. Bloomberg explique même que Musk a presque été forcé de sacrifier Tesla pour garder SpaceX à flot.

Heureusement, la chance a fini par leur sourire. La dynamique s’est inversée en 2008 quand SpaceX a enfin réussi son quatrième vol, présenté à l’époque comme le lancement de la dernière chance. “Le destin nous a souri ce jour-là”, a-t-il concédé par la suite. Falcon 1 est ainsi devenu le tout premier lanceur privé de cette catégorie à atteindre l’orbite.

En récompense de ces succès retentissants, la NASA lui a accordé le tout premier contrat du programme Commercial Resupply Service qui vise à transporter du matériel jusqu’à l’ISS avant de rapatrier la capsule sur Terre. Un deal qui a aidé SpaceX à se sauver des griffes des créanciers…. et surtout de poser les bases d’un gigantesque changement de paradigme.

Le premier lancement de la fusée Falcon 1, le 14 juillet 2009, quelques minutes avant le crash qui donnera bien des migraines à SpaceX. © SpaceX

Le nouveau chouchou de la NASA

Car à partir de ce moment, SpaceX a commencé à s’imposer comme l’un des partenaires commerciaux privilégiés de la NASA. Un statut qui détonnait à cette époque où les agences étaient encore les plaques tournantes indiscutables de l’aérospatiale. Traditionnellement, à l’exception de quelques acteurs privés au statut particulier comme ULA, les titans historiques de la défense comme Northrop Grumman ou Lockheed Martin étaient les seuls à signer des contrats titanesques de ce type avec les agences, en grande partie à cause de leur expertise sur la propulsion des missiles.

Cette coopération a représenté une véritable oasis dont SpaceX, exsangue à l’époque, avait le plus grand besoin. L’entreprise a ainsi pu monter en puissance grâce à cette perfusion. Désormais installée dans son nouveau QG à Hawthorne, l’entreprise a ainsi attaqué le développement de son désormais célèbre Falcon 9 (un lanceur plus lourd qui est toujours en activité aujourd’hui) et de la capsule Dragon pour le transport de matériel dans un premier temps, puis d’humains par la suite.

SpaceX, chef de file du New Space

Et ce duo de choc n’a pas tardé à s’illustrer. Après un premier vol de test à l’été 2010, le lanceur Falcon 9 s’est élancé pour la première fois en décembre 2015 pour une vraie preuve de concept, toujours dans le cadre d’un autre contrat avec la NASA. Cette fois, il s’agissait du programme Commercial Orbital Transportation Services.

L’engin a décollé sans encombre, s’est stabilisé en orbite, puis est redescendu vers la Terre où les restes ont été récupérés par les équipes de SpaceX. La firme est ainsi devenue la première entreprise privée au monde à cocher ces trois cases lors d’un même vol. Tout juste deux ans plus tard, en 2012, le lanceur Falcon 9 a transformé l’essai en devenant le tout premier engin entièrement privé à rejoindre l’ISS dans le cadre d’une mission de ravitaillement commandée par la NASA.

Un nouveau succès qui a marqué l’ouverture d’un nouveau chapitre de l’aérospatiale; on parle désormais de New Space, un terme qui désigne l’émergence de tout un écosystème privé dans cette industrie auparavant dominée par les agences gouvernementales et

Un lanceur Falcon 9. © SpaceX

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la créature d’Elon Musk a pris son nouveau rôle très à cœur. C’est à partir de cette date que la firme a entamé une phase de croissance extrêmement rapide. Elle a commencé à enchaîner les missions importantes avec une régularité impressionnante. Et il ne s’agit pas que de voyages vers l’ISS, qui font presque partie de la routine aujourd’hui.

En 2013, elle est par exemple devenue la première entreprise privée à envoyer un satellite en orbite géostationnaire. Elle a aussi participé au déploiement d’engins scientifiques de premier plan, comme le Deep Space Climate Observatory en 2015. Mais Musk et ses troupes étaient loin de se satisfaire de ces succès et voyaient déjà plus loin.

L’émergence d’un nouveau paradigme

Forts de leur nouveau statut de chouchou de la NASA et des ressources financières qui vont avec, ils ont enfin pu accélérer sur un projet de longue date qui allait redéfinir l’aérospatiale jusque dans ses fondements : le recyclage de ses lanceurs. En janvier 2015, SpaceX a lancé une série de tests pour permettre au 1er étage du Falcon 9 de se reposer directement sur Terre à la verticale après le lancement, ouvrant ainsi la porte à sa réutilisation.

Les débuts ont été compliqués; au début, SpaceX a dû faire face à de nombreux échecs consécutifs. Pendant plusieurs mois, nous avons vu plusieurs lanceurs partir en fumée, faute de parvenir à réaliser cette manœuvre très délicate. La consécration est finalement arrivée le 22 décembre 2015, lorsque ce fameux premier étage a enfin atterri en un seul morceau après avoir atteint l’orbite – une grande première.

Ce véritable exploit technologique a fait l’effet d’une bombe dans le milieu. Pour la toute première fois, une entreprise a apporté la preuve indiscutable que le fait de ramener des lanceurs au bercail pour les utiliser n’était pas qu’une lubie de milliardaire, mais une approche tout à fait pragmatique. Une conclusion confirmée deux ans plus tard, en 2017, quand SpaceX a réutilisé un lanceur Falcon 9 et l’a fait atterrir avec succès pour la deuxième fois de suite. Deux ans plus tard, ce sont les trois boosters de Falcon Heavy – une variante de Falcon 9 – qui ont atterri les uns après les autres. Et il ne s’agit que de quelques exemples dans une longue liste de succès acquis à la dure.

Ces nouvelles victoires retentissantes ont fait des envieux entre temps. De nombreux concurrents ont repensé toute leur feuille de route pour emboîter le pas à SpaceX et se conformer à ce nouveau standard. À tel point qu’aujourd’hui, les projets de lanceurs à usage unique – comme le SLS de la NASA ou Ariane 6 d’Arianespace – commencent déjà à ressembler à des dinosaures technologiques… alors qu’ils n’ont même pas encore pris place sur le pas de tir.

Et ce statut de chef de file s’est aussi ressenti dans les chiffres. Car en parallèle de ses expériences sur le recyclage des lanceurs, SpaceX a continué d’honorer de plus en plus de contrats pour le compte de la NASA, mais aussi d’opérateurs tiers.

Un acteur incontournable de l’aérospatiale mondiale

L’entreprise qui a failli finir au tapis suite à trois lancements ratés du Falcon I a désormais bien grandi; elle s’est transformée en un véritable mastodonte qui domine son sujet de la tête et des épaules, n’en déplaise à Blue Origin et consorts. En Mars 2018, SpaceX est ainsi officiellement devenu le premier opérateur de lancement au monde.

Depuis, Musk continue de consolider cette position. Il attaque à grands coups de contrats mirobolants et de missions à haut potentiel médiatique. On peut par exemple citer Inspiration4, une mission qui a emmené un quatuor de civils dans l’espace pendant trois jours, avec une minisérie Netflix à la clé.

SpaceX continue aussi de soigner ses rapports privilégiés avec la NASA. Une relation de confiance qui a encouragé la NASA à lui accorder des contrats toujours plus prestigieux sur la base de ses bonnes performances. Elle sera notamment chargée de construire le fameux Human Landing System. Pour rappel, il s’agit de la pièce maîtresse du programme Artemis qui doit ramener l’humain sur la Lune en 2025 au plus tôt; SpaceX en a hérité au terme d’une interminable joute judiciaire avec Blue Origin, l’écurie de Jeff Bezos.

En héritant du contrat pour l’alunisseur HLS, SpaceX s’est garanti une place au soleil lors de la mission Artemis 3 qui ramènera l’humain sur la Lune en 2026. © NASA

Un virage critique avant la dernière ligne droite

Aujourd’hui, la réutilisation fait désormais presque partie de la routine opérationnelle de SpaceX. Désormais confortablement installé sur son trône, la firme a donc commencé à boucler la boucle. Après de longues années à poser les bases technologiques de son programme, il a enfin pu aborder la partie la plus excitante la feuille de route : l’épopée vers l’ âme sœur originale de Musk, celle-là même dont les charmes ont motivé la création de l’entreprise 20 ans auparavant. La planète Mars.

Depuis quelques années, portée par ses progrès technologiques, la firme a pu accélérer considérablement sur le développement des engins qui permettront à SpaceX de passer, une fois encore, à la vitesse supérieure. La promesse de nouvelles missions toujours plus ambitieuses… avec la conquête de la Planète rouge comme objectif ultime.

Cela implique notamment de construire un tout nouveau véhicule spatial, mais aussi un modèle de moteur-fusée de dernière génération pour propulser un énorme lanceur. En l’occurrence, il s’agit respectivement du Starship, du moteur Raptor et du lanceur Super Heavy; un trio autrefois affectueusement surnommé “Big F******* Rocket” pour des raisons évidentes.

SpaceX espère que le Starship sera le fer de lance de la conquête martienne. © SpaceX

Mais il reste du travail avant d’attaquer la dernière ligne droite. Le développement du lanceur avance, mais il a pris un retard considérable. C’est en partie lié aux déboires du moteur Raptor, dont le développement continue de causer mille tracas aux ingénieurs de SpaceX.

Le développement du Starship, ce mastodonte capable d’embarguer une charge utile phénoménale de 150 tonnes, a aussi pris un retard important. Celui-ci est en partie dû aux réticences de la FAA, l’organe régulateur de l’administration fédérale en charge de l’aéronautique. Cette agence doit produire un rapport environnemental que SpaceX attend avec impatience, car il est indispensable à l’obtention de la licence qui permettra de continuer les tests du Starship sur la base de Boca Chica.

Mais la firme semble arriver au bout de ses peines, et les premiers vols commencent tout doucement à se préciser après des années de suspense insoutenable. Désormais, il ne reste qu’à patienter en attendant le verdict de la FAA; une fois cette échéance passée, SpaceX pourra aborder la dernière ligne droite vers Mars.

Celle-si s’annonce très longue et jonchée d’obstacles, mais connaissant le tempérament de fonçeur du PDG, il ne faut pas compter sur l’entreprise pour ralentir la cadence. “Je pense qu’on progresse dans cette direction… mais pas aussi vite que j’aimerais“, condédait-il à l’occasion de la Space Development Conference en 2015.

Vers l’infini et l’au-delà ?

Elon Musk est un milliardaire résolument clivant. Il est indiscutable que son enthousiasme parfois mal dosé, ses prises de position très tranchées et son goût pour la controverse ne lui ont pas toujours rendu service. En revanche, il faut bien admettre que Space X doit beaucoup à son amour du risque et sa volonté d’avancer coûte que coûte – pour le meilleur comme pour le pire.

Et lorsqu’on revient sur le parcours de ce géant de l’aérospatiale, il est indiscutable que sa montée en puissance a provoqué un véritable électrochoc dans toute l’industrie; le bébé d’Elon Musk est aujourd’hui le fer de lance d’une révolution technologique dont la portée dépasse largement les problèmes d’ingénierie.

Même si de nombreux aspects de son projet de colonie martienne peinent encore à convaincre, Elon Musk ne changera d’objectif pour rien au monde. © SpaceX

Car aujourd’hui, chacun s’accorde à dire que l’espace va bientôt représenter une zone d’intérêt majeur, et plus seulement pour la science. Nous assistons en ce moment à l’émergence d’une nouvelle espace : une espace touristique, commerciale, industrielle qui aura bientôt des conséquences encore plus directes sur la vie des terriens.

Les enjeux seront donc énormes sur les années à venir, car la plus grande partie de cette histoire reste encore à écrire. Non pas celle de SpaceX, mais bien celle de notre civilisation. Et il sera intéressant d’observer quel rôle Elon Musk et son entreprise joueront dans cette transition.

Son projet de faire de l’humanité une espèce multiplanétaire donnera-t-il raison à ses fans inconditionnels qui voient en lui un véritable prophète ? Ou faut-il s’inquiéter de la montée en puissance d’un milliardaire que ses détracteurs estiment dangereusement névrosé ? La réponse se trouve probablement quelque part entre les deux. Mais ce qui est sûr, c’est que nous n’avons certainement pas fini d’entendre parler de SpaceX.

Fondamentalement, le futur est immensément plus intéressant et excitant si nous devenons une espèce multiplanétaire“, concédait-il lors d’un congrès. “Il s’agit de croire dans le futur, de penser qu’il sera mieux que le passé. Et je n’imagine rien de plus excitant que d’aller là-haut parmi les étoiles. Voilà pourquoi je fais tout ça.

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