L’Ateliers des Sorciers
Qui n’aime pas les écoles de fiction ? Soul Eater, un tout petit peu Made In Abyss et plus précisément Mary et la fleur de sorcière et Little Witch Academia, il n’est pas facile de tenter ce lieu commun sans tomber dans la repompe d’Harry Potter. Intervient alors l’Atelier des Sorciers, la tentative de Kamome Shirahama, qui vise un public un peu plus jeune.
On y suit une variation du canevas qui dicte ces oeuvres : un personnage fan de magie, miroir du spectateur, qui veut intégrer cet univers alternatif et qui va progressivement s’y plonger. En l’occurrence Coco, gamine aux yeux émerveillés par une magie omniprésente mais inaccessible. Il faut bien amorcer une intrigue, et elle va involontairement percer le secret de cet univers : la magie est en fait une affaire de calligraphie, et tout le monde peut la pratiquer. Mais nul ne fait joujou avec des forces supérieures sans en payer le prix et elle va provoquer un drame dans sa famille. Il va falloir réparer les pots cassés, et un magicien de passage va la prendre sous son aile et l’emmener à l’atelier éponyme, un atelier où on apprend la magie et où on fait la rencontre d’autres jeunes sorcières aux caractères variés. Défiance ! Épreuves magiques ! Du mignon partout ! Le cahier des charges est bien là.
De toute évidence, L’Atelier des sorciers a pour coeur de construire un univers inédit et de donner un nouveau sens au mot « magie ». Il s’exécute sans broncher, trouve une série de codes « crédibles », s’y tient et nous emmène dans le processus. Le trait est le meilleur atout de ce premier tome : un souci du détail proche de l’enluminure, parfois un peu occidental – la mangaka a déjà travaillé sur des couvertures de Marvel et DC. C’est mignon, enchanteur (c’est le cas de le dire), et assez inoffensif. La série pourrait tenir la route un minimum, si elle conserve ce souci du détail. Un bel objet.
On The Frontier
Peut-être que, dans un futur proche, Tôru Izu sera un auteur incontournable. On The Frontier est, en tout cas, son oeuvre zéro – ou plus précisément, une collection d’oeuvres zéro. Des histoires de pompes, un homme avec huit doigts de pieds, des rails, une gamine beaucoup trop mature pour son âge, des garnements, l’URSS et des normes de sécurité pas au top : tout ce beau monde jouit sans entrave et tout ça se recoupe dans un recueil d’histoires courtes qui, on comprendra vite pourquoi, ont une certaine cohérence d’ensemble.
Ces récits sont lunaires et les textes sont du même acabit, on ne comprend pas toujours les intentions de l’auteur et les récits manquent parfois des connexions logiques (ce qui n’est pas un défaut en soi, mais a priori on n’est pas dans un manga d’horreur ou d’ero-guro) mais qu’importe : on capte. On reçoit. Les dialogues sont un peu désarticulés ? Comme les personnages, de petits vieux désabusés à des enfants trop en avance dans leur tête. On The Frontier est une sorte de porte d’entrée dans la tête de ce mangaka encore inconnu, et son style – de jolies mains et de jolis pieds, ça se souligne – vaguement proche de ce que fait Kanna Kii, a en commun une chaleur et un naturalisme communicatifs. C’est différent, un peu cliché, mais pas vraiment, un peu neuf, un peu vieux… et c’est un peu plus que « plein de choses », c’est l’imaginaire de Tôru Izu, qu’on conçoit très fan de littérature russe. On lui souhaite un destin bien meilleur que celui d’Anna Karenine.
Vatican Miracle Examiner
Peut-être avez-vous vu le récent L’apparition, de Xavier Giannoli. Et peut-être lisez-vous Black Butler chez Kana, un shojo classieux et assez prenant, sachant poser une ambiance glauque de temps en temps tout en se réappropriant l’Histoire et la culture populaire. Vatican Miracle Examiner, c’est le mix entre les deux. Le scénario de l’un et le style graphique de l’autre.
Au Salon Livre Paris, Komikku a clairement misé sur Vatican Miracle Examiner, en envoyant les employés en soutane (on pense à vous) devant bosser quatre jours parmi les bâtons d’encens (RIP). Cette promotion valait-elle la peine ? Oui, si vous appréciez déjà Black Butler, c’est un bon indice. Sinon, vous risquez de trouver cela un peu nanar, ce n’est pas notre cas ! On y suit le dur labeur de deux padre, Hiraga et Robert (ça ne s’invente pas) dans des enquêtes canoniques : ils doivent valider ou infirmer les phénomènes surnaturels qui, dans des cas rarissimes, peuvent être déclarés comme miracles. Tirée de roman à succès, déjà adaptée en anime, cette série est très libre dans son ton et son trait. Rond, élancé, lui aussi un peu shojo avec son armada de beaux gosses en habits de prêtres, mais aussi d’étudiants beaux gosses, de personnages secondaires beaux gosses, et quand même d’un ou deux personnages féminins (aux apparitions sporadiques mais : belles gosses). Un tout petit peu poussif dans sa construction – le duo ne peut pas faire deux pas et soulever une pierre sans trouver un truc à résoudre en dessous – ces Starsky et Hutch du Vatican ont un petit quelque chose de marrant et de flegmatique qui pourrait vous charmer.
Les éditions Kommiku mettent la gomme. Leur catalogue devient aussi fourni qu’épatant : les superbes Somali, L’Enfant et le maudit, des tas d’oeuvres alternatives comme La petite fille aux allumettes… et parfois des tours de force éditoriaux, à l’instar de Destins Parallèles de Daisuke Imai, sorti fin février… histoire de romance en trois tomes mais à suivre sous deux séries de mangas et deux points de vue, comme un duo de jeux Pokémon.
Éclat(s) d’Âme
Grâce au manga, être LGBT au Japon, c’est être un peu moins invisible. Ce sont déjà les éditions Akata qui ont importé Le Mari de mon frère, une série en cinq tomes, sur l’amitié naissante entre un japonais lambda et son beau-frère, unis par le décès du mari de ce dernier. La rencontre entre un homme ayant vaguement fait semblant d’ignorer l’homosexualité de son frère et un bear canadien a donné un petit pamphlet de tolérance, didactique, démonstratif et feel-good.
Son auteur, Gengoroh Tagame, est un auteur notoire de bara, porno gay entre bonhommes. Ici, on change de point de vue avec la mangaka Yuhki Kamatani. Dans Éclat(s) d’Âme, on change de trait, on change de ton pour la dramaturgie et surtout on change de personnages : son héros, Tasuku, est encore dans le placard. Deux jours avant les vacances d’été, il se fait surprendre avec du porno gay sur son portable. Angoisse et tourments intérieurs vont le mener dans un club de discussion cosy, une sorte de Breakfast Club dont le lieu a été retapé par les membres. Il va pouvoir y faire de nouvelles rencontres, lâcher les mots qui font mal, et essayer de comprendre qui est « l’hôte », cette femme qui apparaît et disparaît à loisir, entre deux sauts de ninjas depuis le toit de la bâtisse. On vous interrompt tout de suite : la piste fantomatique est à écarter, ou alors elle est collective : tout le monde la voit et en parle.
Éclat(s) d’Âme fait mal. Il est plus direct : son personnage y est tout de suite victime d’homophobie. L’auteure – de genre neutre – sait nous emmener dans la psyché de son personnage, et on a mal avec lui. La question du coming out est évoquée au travers de plusieurs personnages au coeur de problèmes dont tout le monde n’a pas forcément conscience. Ici, la mise en scène brille : éclatée, diffuse, parfois trompeuse et laissant dans l’expectative, ce titre français est bien choisi. Un démarrage particulièrement lumineux qui contraste avec le propos, où on ne force pas les bons sentiments. On ouvre ce manga, on s’y sent accepté, justement.
Versus Fighting Story
Voilà un petit objet qui ne se prend pas au sérieux, et il a pour caractéristique de sortir du lot : c’est l’un des « manfras », mangas faits par des Français, lancés par Glenat cette année. On ne peut pas faire plus français que Versus Fighting Story – des « Saperlipopette », des « Sacrebleu », La Défense, Avignon, le festival Stunfest où commence l’intrigue, puisque Versus Fighting Story tente d’aborder le sujet du jeu vidéo compétitif et d’en faire un manga shonen – un sujet qui intéresserait moins un mangaka japonais.
Son personnage principal, parfaitement insupportable, se prend une raclée publique sur Street Fighter et se lance dans la voie de la rédemption, évoluant parmi une palette de personnages hauts en couleur. Disons-le, ce premier essai a quelques défauts : des soucis de rythme, des soucis d’exposition surtout, et une difficulté de se réellement faire office de porte d’entrée pour le néophyte du versus fighting… et donc un petit coté incompréhensible, rempli d’anglicismes et de termes techniques.
Si vous êtes un profane, demandez-vous si vous aimez le genre shonen. Avec ses personnages très clichetons, cette intrigue se confronte à une éternelle problématique du e-sport : comment le rendre awesome sans forcer ? Ici, en décidant de plonger dans le troisième degré et de ne pas en sortir. Versus Fighting Story a aussi la qualité d’agir en forme de capsule temporelle, de faire intervenir de véritables icônes du milieu et de parler de la folie médiatique autour du genre. C’est bizarre, très porté sur la dérision, mais plein de passion et d’amour.
BONUS ! La virginité passé 30 ans
Il n’y a aucun piège. C’est comme le titre l’indique. Si, en France, il est inhabituel de dépasser la trentaine toujours vierge (eh non, on ne devient pas un sorcier, c’est une fake news) c’est le cas d’un quart des Japonais mâles. Si vous avez lu Ladyboy VS Yakuzas, vous connaissez ce trait… atypique, qui fait penser à Fluide Glacial, quelque part pas loin de Litteul Kévin. Les personnages sont hideux à l’extérieur comme à l’intérieur, ils pètent beaucoup, ils sont irrécupérables et c’est un bordel monstre dans leur tête. Un puceau facho, un puceau otaku, un puceau surdiplomé, un puceau tyrannique.
On a ici le portrait de huit personnes introverties, que la société japonaise a broyé et qui, dans la plupart des cas, sont incapable de faire preuve de recul sur eux-mêmes et devraient « mourir puceaux ». C’est incroyablement baddant, et on ne recommande peut-être pas cette lecture si vous êtes un otaku pas au top dans votre vie – on pourrait y reconnaître les mêmes schémas et les mêmes soucis. C’est radical, froid, pas tendre du tout, mais le reflet d’une réalité que le Japon veut cacher. Pas le plus sexy des mangas, mais un vrai cri d’alarme détonnant et journalistique. Côté féminin, on peut aussi relire My Lesbian Experience With Loneliness en anglais chez Seven Seas, avec un style aux antipodes.
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