De retour à Paris, il était donc impératif de combler le retard accumulé sur les trois derniers mois. Et après une vingtaine de jours de lecture intensive, on vous a fabricoté avec amour une liste de lecture automnale… certes bourrée de one shot, mais que voulez-vous, cette rentrée littéraire est particulièrement riche en œuvres originales. Ah et on vous a dit que cette sélection est une fois de plus complètement subjective ?
Mapple Squares (One Shot)
Mapple est une petite ville de Nebraska qui ressemble aux milliers d’autres qu’a su produire l’Amérique rurale tout au long du XXe siècle. Population locale ? Pas des masses. Activités ? Que d’chie. La confiserie qui faisait tourner la ville, à l’origine des sucreries Mapple Squares, a depuis longtemps fermé ses portes pour laisser sa place à un “institut médicalisé pour la détention d’aliénés mentaux mentaux à tendances criminelles.” Autant vous dire que l’heure n’est pas à la fête pour les deux agents du FBI dépêché sur place pour enquêter sur plusieurs disparitions. Ne vous méprenez pas, malgré son décor, Mapple Squares ne cherche pas à dresser un portrait de l’Amérique profonde, blindée de Rednecks amoureux du bacon et du Second Amendement. Non, pour son deuxième One Shot de la saga DoggyBags, le label 619 nous livre, à travers la plume de David Hasteda et le dessin de Ludovic Chesnot, un thriller sale, poisseux, violent et aux forts relents de pulp qui sait choper le lecteur aux tripes et ne plus le lâcher jusqu’à la fin. Et parce que rien n’empêche d’apprendre en s’amusant, Mapple Squares dispense aux lecteurs une petite leçon d’histoire sur les sectes les plus violentes qui ont sévi aux États-Unis.
Mapple Squares, par David Hasteda (scénario) et Ludovic Chesnot (dessin), chez Ankama sous le Label 619. Sorti le 31 août, 14,90 euros.
Shirtless Bear Fighter ( One Shot)
“Original ? Indéniablement. Épique ? Cela va de soi. Rafraîchissant ? À n’en point douter. Drôle ? … Complètement barré.” Autant de qualités que l’on peut trouver à la lecture de Shirtless Bear Fighter. Fils illégitime couché sur papier glacé des films d’action des années 80 et d’une palanquée de nanars, Shirtless Bear Fighter met en scène un homme. Nu comme un ver. Qui vit dans la forêt après avoir été élevé par des ours depuis sa plus tendre enfance. Qui après une trahison des ursidés a décidé de tous les exterminer jusqu’au dernier. Et autant vous dire qu’il est sacrément doué pour ça. Alors quand des ours se mettent à attaquer les grandes villes américaines, il lui faut peu de temps – et beaucoup de pancakes et de sirop d’érable – pour accepter de filer un coup de main au gouvernement. Mais qui a bien pu envoyer ces ours terroriser la population ? Un pulp aussi drôle que génial, imaginé par le duo Jody Leheup et Sebastian Girner, illustré et mis en scène par le coup de crayon dynamique de Nil Vendrell.
Shirtless Bear Fighter, par Jody Leheup, Sebastian Girner (scénario) et Nil Vendrell (dessin), chez Hi Comics. Sorti le 19 septembre, 17,90 euros.
The Wolf Among Us (Tome 1)
On vous a déjà parlé de Fables dans notre sélection du début de l’année, et de tout le bien que l’on en pense. L’arrivée du premier tome de The Wolf Among Us est donc la parfaite excuse pour se rouler à nouveau comme un sagouin dans l’univers de Bill Willingham. À la petite différence que ce nouveau spin-off s’inspire directement du jeu éponyme développé et publié par Telltale Games en 2013. Pour tous ceux qui n’auraient pas mis la main sur ce (très bon) point & click épisodique, The Wolf Among Us se place en préquelle de l’oeuvre de Bill Willigham, à une époque où Blanche-Neige n’est pas encore adjointe au maire. On y suit Bigby Wolf (le grand méchant loup devenu shérif de Fableville) dans son enquête après le meurtre odieux d’une Fable. Si l’intrigue se déroule comme une histoire policière somme toute classique, et ne dévie jamais vraiment du scénario du jeu, elle comporte suffisamment de rebondissements pour tenir le lecteur du début à la fin. “J’ai déjà fini The Wolf Among Us, ça va m’apporter quoi de lire le comics ?” entends-je certains s’exclamer au fond. Eh bien déjà la possibilité de découvrir le coup de crayon de 6 (!) dessinateurs pour presque autant de styles graphiques différents. Mais surtout de voir les scénaristes Matthew Sturges et Dave Justus approfondir le background des personnages, et de lever légèrement le voile sur l’arrivée des Fables dans le monde réel à l’époque coloniale américaine.
The Wolf Among Us, tome 1, par Matthew Sturges, Dave Justus (scénario), Steve Sadowski, Eric Nguyen, Shawn McManus, Andrew Pepoy, Travis Moore et Christopher Mitten (dessin), chez Urban Comics. Sorti le 6 juillet, 19 euros.
Negalyod (One Shot)
Confidence pour confidence, ce n’est pas le scénario de Negalyod qui a retenu notre attention. Récit d’anticipation assez classique, ce dernier conte les péripéties de Jarri, un berger devenu révolutionnaire par la force des choses qui va participer au renversement du régime autoritaire qui domine un monde futuriste. L’attrape-rétine de Negalyod est incontestablement le dessin de Vincent Perriot (qui officie aussi comme scénariste). Sa patte n’est pas sans rappeler celle de Moebius, avec des vastes paysages qui invitent au dépaysement, ou des villes à l’architecture complexe qui cherchent à perdre le lecteur. Un “hommage” sublimé par le travail de la coloriste Florence Breton, qui maîtrise à la perfection le nuancier de chaque couleur. On se surprend donc à se laisser guider par ces cases superbement travaillées et mises en scène le long des 200 pages qui composent Negalyod, sans réellement faire attention à la trame principale. Les enjeux de Jarri sont bien mignons, mais nous, on préfère clairement profiter du panorama.
Negalyod, par Vincent Perriot (scénario et dessin) et Florence Breton (couleur), chez Casterman. Sorti le 5 septembre, 25 euros.
Apocalyptigirl (One Shot)
Lancé au début de l’année, Paperback continue d’étoffer son catalogue. Après Mech Academy et Magnus, le label dédié aux comics de Casterman mise une nouvelle fois sur une oeuvre de science-fiction. Mais ici, pas question de combat de robots géants avec des kaijus, ou d’androïdes dépressifs devenus incontrôlables. Non au risque de vous choquer, Apocalyptigirl prend place sur une Terre post-apocalyptique. Le comics met en scène Aria, une jeune femme qui tente de survivre tant bien que mal au milieu des ruines et des bandes de mutants vindicatifs. Accompagnée de son chat Réglisse, elle essaye de remettre à neuf un vieux mecha de combat. Il lui arrive parfois de penser aux raisons qui ont poussé l’humanité à s’autodétruire. Il est surtout question d’une mystérieuse et incroyable énergie, le Photon Magistral, qui a permis aux hommes d’acquérir un niveau technologique et une puissance inimaginable, et bien entendu toutes les dérives qui vont avec. Comme pour Negalyod, ce n’est pas l’intrigue imaginée par Andrew MacLean qui fait la force de Apocalyptigirl (même si elle connaît un rebondissement bienvenu dans les dernières pages), mais la direction artistique choisie par l’auteur américain biclassé dessinateur. Les aplats de couleurs mêlés à un coup de crayon semi-réaliste, et à l’originalité de la mise en scène, donnent un résultat graphique somme toute intéressant et appréciable.
Apocalyptigirl, par Andrew MacLean, chez Paperback. Sorti le 29 août, 14 euros.
Motor Girl (One Shot)
Après nous avoir régalés avec Stranger in Paradise ou Echo, Terry Moore revient, et se surpasse, avec Motor Girl. Dans ce one shot, l’auteur américain s’amuse de la fine frontière qui sépare la réalité de l’imaginaire tout en livrant un récit poignant, et profondément humain. Malgré sa petite vie tranquille dans une casse automobile perdue au fin fond du désert américain, Samantha est loin d’avoir eu une existence de tout repos. Triple vétéran de la guerre en Irak, elle a été tour à tour blessée, capturée et torturée lors de son dernier séjour sur place. Pour tenir, elle s’est inventé Mike, un ami imaginaire personnifié par un gorille de 2m de haut. Ami qu’elle a ramené avec elle sur le territoire de l’Oncle Sam, et avec qui elle converse régulièrement. Sauf que tout change lorsque la nation du feu attaque une poignée d’extraterrestres font leur apparition dans les environs. Samantha et Mike se demandent alors s’ils sont rentrés en contact avec une autre forme de vie, ou si ces petits hommes verts ne sont que le fruit de l’imagination de la jeune femme. D’autant que des agents du gouvernement commencent à rôder en ville. Sous couvert d’une histoire mâtinée de SF, Terry Moore montre surtout la longue et difficile reconstruction d’une femme touchée par de profonds traumatismes. Poignant, qu’on vous disait.
Motor Girl, par Terry Moore, chez Delcourt. Sorti le 22 août, 19,99 euros.
[nextpage title=”…. À foison”]Dévolution (One Shot)
Dans la fiction, l’humanité a souvent été en proie à des virus qui ont mis à mal son existence. Virus mortels, venus de l’espace ou créés par l’Homme. Virus qui zombifient, qui font muter la faune ou la flore. Qui décident ensuite de se soulever contre l’humanité. Virus qui font vieillir ou rajeunir. Bref, ce ne sont pas les maladies qui manquent et c’est toujours l’être humain qui finit par en souffrir. Pour Dévolution, Rick Remender imagine un virus capable de faire régresser génétiquement toutes les créatures terrestres. Dans le futur, la planète bleue est retournée à l’âge de pierre et l’humanité s’est pratiquement éteinte. Ne subsistent plus à la surface que des insectes géants (mangeurs d’hommes), des animaux sauvages (mangeurs d’hommes) et une palanquée de néandertaliens (mangeurs d’hommes). Seule une poignée d’humains ont réussi à garder leur intellect et se démènent pour survivre, au rang desquels Raja, l’héroïne principale. Sublimée par le trait brut et sombre de Jonathan Wayshack, l’aventure épique et violente de Raja l’amènera aux quatre coins des terres désolées pour y dénicher un vaccin. Et fuir une bande de nazis. Car quand il y a des emmerdes et de la désolation, les nazis ne sont jamais loin.
Dévolution, par Rick Remender (scénario) et Jonathan Wayshack (dessin), chez Glénat Comics. Sorti le 12 septembre, 17,50 euros.
The Dying and the Dead (Tome 1)
Au rayon des sociétés secrètes, on n’a que l’embarras du choix. Illuminatis, reptilien, Franc-Maçons, Patriotes (ceux de Metal Gear Solid 2, hein, pas le micro-parti de Florian Philippot), l’Homme est gouverné par tellement de sectes de l’ombre qu’on se demande s’il existe suffisamment de caves mal éclairées pour accueillir tout ce beau monde. Pourtant, pour The Dying and the Dead, Jonathan Hickman a trouvé le moyen d’inventer une nouvelle société secrète, remplie de demi-dieux immortels à la peau crayeuse, responsable de la création de la race humaine, rien que ça. Jim Canning les connait bien. Il a déjà eu à frayer avec eux. Durant la Seconde Guerre mondiale qui plus est. S’il pensait avoir laissé ça derrière lui, ce colonel vétéran va reprendre contact avec ce groupuscule lorsque la santé de sa femme est mise à mal par un cancer en phase terminale. Un service appelant un autre service, il va devoir réunir ses anciens soldats pour récupérer un mystérieux artefact. Une nouvelle fois en compagnie des talents d’artiste de Ryan Bodenheim, Jonathan Hickman livre un récit empli de mystère laissera plus de questions que de réponses au lecteur sans toutefois le perdre.
The Dying and the Dead, tome 1, par Jonathan Hickman (scénario) et Ryan Bodenheim (dessin), chez Glénat. Sorti le 19 septembre, 17,50 euros.
Kraken (One Shot)
Il y a dans Kraken des relents lovecraftiens. Que ce soit dans l’ambiance du récit, la psyché des personnages, et même le style graphique. Pourtant, l’intrigue ne puise nullement ses origines dans l’oeuvre de l’écrivain américain. Lauréat du prix du Meilleur album italien du festival Romics 2018, Kraken raconte l’histoire de Serge Dugary, vieux présentateur TV qui a connu la gloire avec des émissions de chasse au monstre, avant de sombrer dans l’alcoolisme et l’oubli. Un jour pourtant, il reçoit la visite du petit Damien, un garçon seul survivant d’un naufrage en mer. Ce dernier vient d’un petit village côtier qui peine à vivre, en raison d’une pêche de plus en plus infructueuse. L’enfant est persuadé qu’une créature monstrueuse est tapie au fond de l’océan, et qu’elle est responsable de tous les maux de son village. Après s’être laissé convaincre, le brave Serge va se rendre sur place pour mener l’enquête, mais il va vite se heurter aux peurs et à l’ignorance de la population locale, plus encline à trouver rapidement un bouc émissaire pour tenter de conjurer le sort. Emiliano Pagani aborde aussi bien l’obscurantisme, que la peur, et la culpabilité pour offrir au lecteur une histoire où les apparences sont souvent trompeuses. Une ambiance malaisante mise en exergue par le trait de Bruno Cannucciari dont les couleurs qui alternent entre nuances de gris et de vert.
Kraken, par Emiliano Pagani (scénario) et Bruno Cannucciari (dessin), chez Soleil. Sorti le 12 septembre, 17,95 euros.
Un gentil orc sauvage (One Shot)
Difficile de ne pas voir le scénario d’Un gentil orc sauvage comme un écho au contexte migratoire actuel. D’ailleurs, son auteur Théo Grosjean ne le cache même pas. On assiste ainsi au périple d’Oscar, un jeune orc civilisé contraint de fuir son pays après qu’il soit tombé au mains des extrémistes (à savoir, les orcs qui refusent de s’habiller et qui ne vivent que pour la violence). Cela tombe bien, le royaume des gobelins est sûr et surtout frontalier avec celui des orcs. Le problème, c’est qu’il est régi par un gouvernement plutôt conservateur et peu enclin à ouvrir ses frontières aux étrangers. Oscar va donc devoir éviter les patrouilles d’orcs sauvages puis frayer avec des passeurs véreux dans l’espoir de mettre un pied dans ce havre de paix. Mais une fois sur place, les choses ne seront pas roses pour autant puisqu’il devra fuir les autorités locales et composer avec le racisme des habitants. Le lecteur s’attache aux protagonistes et c’est bien là que s’opère toute la magie de Théo Grosjean. En effet, en offrant une humanité à des créatures issues de la fantasy, l’auteur lyonnais prouve, volontairement ou non, que l’homme est capable de compassion, mais que les sociétés occidentales ont tendance à oublier l’humanité des véritables êtres humains qui ne cherchent qu’à fuir la guerre et la misère.
Un gentil orc sauvage, par Théo Grosjean, chez Delcourt. Sorti le 29 août, 16,95 euros.
Sheriff of Babylon (One Shot)
Avant d’être un thriller dans un Irak post-Saddam Hussein encore déchiré par la guerre, Sheriff of Babylon met en avant la question de la place de tout un chacun dans un monde post-11 septembre. Que cherche Christopher, ancien policier américain qui s’est engagé aux côtés de l’armée pour entraîner la future police de l’Irak libre ? Que veut-il prouver en enquêtant sur l’assassinat de l’une de ses recrues dont il ne se souvient même pas ? Et que dire de Saffya, américano-irakienne, ayant fui la dictature de Saddam en allant se réfugier aux États-Unis avant de revenir pour établir un nouveau gouvernement loin de l’influence de l’ancien régime ou de l’envahisseur américain ? Quid des projets de Nassir, membre de la police de Saddam avant de retourner sa veste lors de la chute du dictateur ? Autant de personnages, pour autant de facettes d’un pays ravagé par la guerre, la dictature et la religion. Mais outre son intrigue prenante et ses protagonistes traumatisés, mais néanmoins humains, c’est le manque de patriotisme aveugle, si cher à Hollywood lorsqu’il s’agit d’aborder le sujet, qui fait l’une des forces de Sheriff of Babylon. Ancien agent de la C.I.A. ayant servi sept ans en Irak, avant de devenir scénariste, Tom King cherche surtout à pousser le lecteur à s’interroger sur le sens de cette guerre. L’autre avantage de Sheriff of Babylon est sans aucun doute le talent artistique de Mitch Gerads, qui à travers son trait précis a su donner un charisme incroyable aux différents personnages, et une mise en scène qui ne tombe jamais dans l’exagération.
Sheriff of Babylon, par Tom King (scénario) et Mitch Gerads (dessin), chez Urban Comics. Sorti le 7 septembre, 28 euros.
Les mauvaises herbes (One Shot)
Les mauvaises herbes présente un nouveau visage de la Seconde Guerre mondiale, plus méconnu du grand public, mais tout aussi effrayant et horrible. En effet, l’auteure sud-coréenne Keum Suk Gendry-Kim place le lecteur comme témoin de l’existence de Sun, une Coréenne de seize ans qui durant la guerre est vendue par ses parents adoptifs comme esclave sexuelle pour l’armée japonaise déployée en Chine. C’est toute la vie de la jeune femme qui nous est présentée, de ses débuts comme bonne à tout faire, à son retour en Corée du Sud après soixante ans d’absences, en passant par son statut de “femme de réconfort” durant le second conflit mondial. À travers son héroïne principale, Keum Suk Gendry-Kim cherche surtout à nous montrer l’abnégation et le courage dont peuvent faire preuve les femmes face à l’adversité et aux horreurs commises par les hommes.
Les mauvaises herbes, par Keum Suk Gendry-Kim, chez Delcourt. Sorti le 26 septembre, 30 euros.
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