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Science, déterminisme ou concept fourre-tout : que cache le multivers des super-héros ?

À la recherche de nouvelles thématiques pour abreuver leurs licences cinématographiques, Marvel, Sony et DC s’emparent de la question du multivers. Au-delà des promesses scénaristiques, cette idée qui trouve ses origines dans la science est l’occasion de questionner l’étoffe des héros. Et pour nous de s’interroger sur l’étoffe d’une bonne proposition du genre…

Nos choix définissent notre parcours, Marvel et DC s’engagent depuis quelques années sur la voie du multivers avec la ferme intention de tirer parti de ce concept, cette théorie scientifique qui leur permet en théorie de déployer leurs narrations à l’infini. What if ? vient de livrer sa deuxième saison, une nouvelle salve évoluant autour de mondes conditionnels, parallèles ou les deux. Narrée par The Watcher, allégorie à peine déguiser du spectateur qui découvre un catalogue riche de nouvelles histoires, la série d’animation est surtout l’occasion d’interroger la manière dont ce concept s’est en quelques années imposées comme une composante essentielle de la pop culture. Que ce soit avec ces productions plus modestes comme Everything Everywhere All At Once ou des blockbusters comme Doctor Strange in the multiverse of madness, d’où vient cette nouvelle obsession à Hollywood ?

***Article écrit à quatre mains par Julie Hay et Antoine Gautherie***

Nouvelles recettes et succès pluriels

Le multivers chez Marvel et DC ne date pas d’hier. Avant même que cette idée n’investisse les plus hautes sphères d’Hollywood, les héros de papier y étaient confrontés sous l’égide des deux principales écuries de super-héros. Pour offrir plus de liberté à leurs scénaristes et dessinateurs — qui devait s’assurer d’une cohérence avec les textes de leurs prédécesseurs — Marvel et DC se sont emparés de réalités alternatives. Les univers se superposent, plusieurs itérations du même personnage peuvent cohabiter sur les étagères des buralistes. La Maison des Idées choisie par exemple de faire évoluer ses personnages officiels sur la Terre 616 tandis sur la Terre 15, Peter Parker a fusionné avec un symbiote et est devenu un meurtrier. Deux versions de Spider-Man peuvent ainsi exister, sans que l’une doive laisser sa place à l’autre.

Iron Man Zombie What If
© Disney+

Un Captain America nazi, un Iron Man zombifié, le multivers était l’occasion pour les comics de réinventer leurs recettes, de plonger leurs héros dans de nouveaux genres. Maintenant que ces figures légendaires sont bien installées dans le panorama audiovisuel, la sortie d’Avengers : Endgame a marqué un tournant pour Marvel. Le multivers s’invite au cœur des productions cinématographiques. Dès la première saison de Loki, en 2021 sur Disney+, Marvel définit ce qui sera le nouveau moteur de sa narration : un monde constitué de plusieurs réalités, de plusieurs versions d’un même protagoniste.

Chez DC, les essais dans le genre sont moins francs. Alors même que l’idée devait être au cœur de nombreuses futures productions, The Flash aura finalement joué le rôle de conclusion et le multivers de porte de sortie. L’estampille doit se rendre à l’évidence, elle peine à convaincre et espère qu’un petit lifting sous la direction de James Gunn et Peter Safran lui permettra de conquérir les amateurs lassés par la firme au logo écarlate. De toutes ses explorations cinématographiques du concept, c’est encore l’animation qui s’en sort le mieux. Avec le diptyque — promis à une trilogie — Spider-Man : into the Spider-verse, Sony joue les bons élèves. En réinventant plusieurs théories scientifiques, pour raconter ses personnages autant que le monde qu’il met en scène, les films sont parvenus à faire éclore un divertissement à la hauteur de la promesse. Enfin !

Miles Morales Spider Man
© Sony Pictures

Que dit la science ?

Les adeptes de SF ne sont pas les seuls à avoir imaginé des mondes alternatifs. L’idée fascine également les scientifiques depuis des décennies. Ces expériences de pensée ont pris un nouveau tournant avec l’introduction de la physique quantique, et tout particulièrement avec la publication de la fameuse équation de Schrödinger en 1925. Il en existe deux variantes, dont une qui dépend du temps; elle décrit ce que l’on appelle des fonctions d’onde. Il s’agit de descriptions mathématiques des différents états quantiques d’un système. Ces fonctions sont en quelque sorte des manuels d’instructions pour les systèmes quantiques; elles indiquent la probabilité qu’un système (généralement une simple particule) présente certaines propriétés lorsqu’on le mesure.

Si on prend l’exemple d’une simple pièce lancée du bout du pouce, la fonction d’onde représente la probabilité d’obtenir pile ou face lorsqu’elle retombe dans la paume de la main du lanceur. La fonction d’onde représente ainsi la possibilité d’arriver à telle ou telle issue dans des conditions données.
Les travaux de Schrödinger ont fait l’effet d’une bombe dans la communauté scientifique. Aujourd’hui encore, les physiciens s’écharpent sur la question; ils ne sont pas d’accord sur les leçons qu’il faut en tirer, et chacun y est allé de sa propre interprétation Einstein, par exemple, était excessivement sceptique concernant cette description probabiliste du monde. Il privilégiait une approche plus déterministe, comme en témoigne sa célèbre tirade :  “Dieu ne joue pas aux dés”.

L’une des interprétations les plus populaires, incarnée par Niels Bohr et Werner Heisenberg, s’appelle l’Interprétation de Copenhague. Elle suggère qu’avant la mesure (quand la pièce est en l’air), les deux états quantiques du système existent en même temps, dans un état de superposition. Mais une fois qu’on mesure ce système, la fonction d’onde s’écroule et le système s’installe dans un état bien précis. Dans le cas de la pièce, on découvre si elle est tombée côté pile ou face, et l’autre issue disparaît pour toujours.

The Flash Barry Allen Et Son Double
© DC

On trouve aussi une autre interprétation, dite d’Everett, qui a probablement joué un rôle déterminant dans la façon dont on conçoit la notion de “multivers”. Et pour cause : on l’appelle aussi l’Interprétation des mondes multiples.

La différence la plus importante avec l’interprétation de Copenhague, c’est que la fonction d’onde ne s’écroule jamais. Cela implique qu’au lieu de se basculer d’un côté ou de l’autre au moment de la mesure, les différentes issues continuent d’exister chacune de leur côté; lorsqu’on découvre la pièce, la réalité se scinde en plusieurs branches qui correspondent chacune à une issue différente. Par conséquent, toutes les issues possibles d’un événement quantique arrivent simultanément, en parallèle. En d’autres termes, on obtient plusieurs univers parallèles totalement indépendants avec deux versions de nous-mêmes, une qui obtient pile et l’autre face.

Selon l’interprétation des mondes multiples, on a donc une immense collection d’univers parallèles qui correspondent chacun à une issue différente de tous les événements possibles. Pour les scénaristes et réalisateurs d’Hollywood, cette idée est une formidable opportunité de raconter leurs dieux vivants autrement, aussi bien ce qu’ils sont dans notre réalité que ce qu’ils pourraient être si les choses avaient tourné différemment.

Déterminisme et libre-arbitre

Quelle est l’étoffe d’un héro ? Ses aptitudes extraordinaires, ses capacités morales ou la somme de tout cela ? Lorsque Marvel, DC et Sony se penchent sur le concept de multivers, c’est en théorie pour mieux raconter leurs personnages, pour interroger leurs qualités de justiciers autant que de les remettre en question. La série Loki s’est d’ailleurs emparée de la théorie de Copenhague pour raconter la lutte du dieu de la malice et Sylvie pour la restauration du libre-arbitre.

Pour éviter qu’une guerre du multivers n’éclate, que les différentes réalités ne se disputent la suprématie, le TVA a annihilé toutes les fonctions d’ondes pour écrire d’une seule plume l’histoire du multivers. La pièce tourne, mais une seule issue s’offre à son lanceur. Les dés sont pipés. Loki, qui a toujours entretenu son ambiguïté, est ainsi destiné à mourir des mains de Thanos. D’abord motivé par son égoïsme, le personnage va néanmoins briser les carcans du TVA pour finalement se sacrifier et préserver le libre arbitre. Il devient un héros et détient les branches temporelles entre ses mains, pour assurer la survie de tous ces univers.

Loki Saison 2 Final
© Disney+

Après avoir questionné le moindre mal, mis en scène un antagoniste persuadé que le sacrifice de certains est nécessaire pour le bien commun, le MCU semblait vouloir mettre le déterminisme au cœur de sa démarche narrative. Néanmoins, peu de séries et des films ont réussi dans leur entreprise. Il faut plutôt faire un tour du côté de Sony pour découvrir une solide proposition dans le domaine. Spider-Man : Across the Spider-verse n’est pas seulement une aventure ludique et fourmillante d’idées, c’est aussi et surtout un parcours à l’échelle humaine.

Les scénaristes ont compris que leurs personnages doivent toujours être à l’épicentre de tout. Ils ont posé les jalons d’un affrontement dantesque, qui doit intervenir avec le troisième et dernier opus promis à une sortie sur nos écrans cette année. Miles Morales va devoir se battre contre son destin, contre ce que l’avenir lui réserve. Les règles du multivers veulent que chaque incarnation de Spider-Man soit frappée par le deuil. Un commissaire dont il est proche doit mourir, pour acter sa naissance de justicier. Dans le même temps, la narration du second film confrontait Miles Morales à l’anomalie qu’il représente, lui qui était destiné à devenir le Prowler.

Une tentative risquée

Pour DC, Marvel et Sony Pictures, ces explorations du multivers sont pourtant assez risquées. Alors que les licences doivent déjà assurer une cohérence entre toutes les productions, elles déploient de nouvelles intrigues parallèles qui doivent se répondre entre elles. L’on peut par exemple citer The Flash, qui convoquait le Batman de Michael Keaton ainsi que celui de Ben Affleck. Le final avait aussi été l’occasion pour les spectateurs de retrouver George Clooney, dans la peau du milliardaire philanthrope. Dans cette même réalité, Aquaman apparaissait dans un caniveau, ivre, mais toujours campé par Jason Momoa. Avec des interprètes différents, d’autres pas, le multivers semble surtout être une occasion de faire naître un micmac narratif dont il sera difficile de s’extirper.

The Flash Multivers
© DC

Dans le même temps, cette thématique pourrait donner des idées de résurrection aux scénaristes et producteurs. En difficulté depuis la disparition de ses idoles, la Maison des idées va-t-elle se résoudre à faire revenir Iron Man, Captain America et Black Widow ? Au risque d’entacher le chemin parcouru… Une chose est certaine, DC a décidé de laisser ce concept de côté pour reprendre tout depuis le début. Marvel parait de son côté plutôt pressé de mettre ce volet au cœur de ses prochains films Avengers. Il pourrait être à l’origine de son salut, lui offrant une occasion en or de rebooter partiellement son univers comme le fera DC sous l’égide de James Gunn et Peter Safran. L’idée s’est récemment invité dans les colonnes de plusieurs médias américains, qui voient une remise à zéro comme la seule solution aux nombreux problèmes que doit affronter l’entreprise.

Doctor Strange In The Multiverse Of Madness
© Marvel

Quant à Sony, l’apogée de ce long travail narratif pour faire éclore les aventures de Miles Morales va bientôt toucher à sa fin, Spider-Man beyond the Spider-Verse doit sortir cette année au cinéma. La saga d’animation est dans la dernière ligne droite, et ne doit pas s’écrouler si près du but. Jusqu’à ce que l’histoire nous prouve le contraire, elle reste ce que le multivers a fait de mieux au cinéma, aux côtés de certaines solides propositions comme Everything Everywhere All At Once.

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