Avant ses débuts en 1991, Sonic prend la forme d’un certain espoir, celui de donner à SEGA une image, reconnaissable et forte. Chez Nintendo d’en face, Mario s’est imposé depuis le premier Super Mario Bros. comme une icône représentative de la société, mascotte à l’aura grandissante qui deviendra inatteignable au fur des années. Mais au début des 90’s, le moustachu est encore accessible et SEGA organise donc un concours interne pour dénicher LE personnage qui disposera d’assez d’universalité et de charisme pour contrecarrer Nintendo, autour d’un concept de jeu de plateformes. Après de nombreux croquis et essais, plusieurs créatures retiennent l’attention, notamment un lapin et un tatou, qui sera lui réutilisé pour Mighty the Armadillo. C’est une sorte de mélange conceptuel des deux qui restera à la postérité, un hérisson mis au jour par le jeune Oshima Naoto qui avait déjà fourbi ses armes sur Phantasy Star, ainsi que les brillants Yasuhara Hirokazu et Naka Yuji, qui ont permis d’adapter le jeu à cette nouvelle mascotte.
Un visuel de héros accrocheur était l’élément fondamental, mais les idées de game design ont également modelé le choix final dans une relation interdépendante. Nommé dans un premier temps Segasonic, le petit hérisson s’orne d’un bleu d’abord clair – en l’honneur de SEGA – pour passer au bleu foncé à cause de problèmes de lisibilité dans un univers très coloré. Devenant par la suite Sonic pour davantage de simplicité, il intègre un jeu qui, contrairement à la série Super Mario Bros., privilégie la vitesse et les réflexes à la précision des sauts. D’où l’apparition du système d’anneaux, moins punitif, tout en restant un « collectible » important, à l’image des pièces de Mario. Avec ses niveaux plus tortueux, serpentant entre collines et laboratoires comme d’improbables pistes de bobsleigh, Sonic The Hedegehog va au fur et à mesure accoler à son nom une étiquette « cool », sur laquelle SEGA s’appuiera pendant une bonne partie de l’exploitation de sa licence. Aujourd’hui les choses ont bien changé et les partisans du « c’était mieux avant » ont gagné des sièges à l’Assemblée du bon goût. Retour sur les grandes phases de l’évolution de Sonic et comment le démon a réussi à s’en emparer pour accoucher de l’engeance Sonic Boom.
[nextpage title=”Sonic 2,3 et Knuckles : la chimère fantastique”]
Ayant trouvé un accord avec Yasuhara Hirokazu, il propose un poste à Naka qui accepte également l’offre généreuse de STI. Avec une bonne partie des créatifs derrière Sonic the Hedegehog et sous la supervision lointaine de SEGA Japon, le concept Sonic 2 débute alors. Malgré les tensions internes dues à des différences de vision du développement et à la barrière de la langue, le projet se maintient dans ses impératifs temporels contrairement au premier épisode. Le jeu sort mais n’apaise pas les dissensions, bien au contraire. Les équipes se scindent en deux parties, un groupe japonais, et un autre américain. La bande à Naka ne sort pas les chaînes de vélo, mais se concentre plutôt sur les Sonic principaux, tandis que leurs collègues occidentaux sur des projets tiers, donnant tout de même des coups de main, les ponts n’étant pas coupés pour autant. Vient alors Sonic 3 dans un premier temps, puis le révolutionnaire Sonic & Knuckles, devenu un jeu à part entière alors qu’il était un simple organe de Sonic 3. Une amputation sauvage dont sont responsables des contraintes de temps et de coûts de production qui donne lieu à un système renversant pour l’époque (16-bit). Il est possible de connecter les cartouches de Sonic 2 et Sonic 3 à cette dernière, afin de profiter des capacités du nouveau héros à la face d’échidné dans les anciens niveaux et de prendre le contrôle de Sonic et Tails au sein des stages de Sonic & Knuckles. Certaines modifications apparaissent d’ailleurs dans plusieurs zones, afin de s’adapter – plus ou moins – au comportement de chacun des personnages. Trinité tirant pleinement partie des capacités de la Megadrive, et ce malgré l’arrivée imminente de la Saturn lors de la sortie du dernier représentant 16 bits, Sonic 2, 3 et Knuckles est un ensemble d’une grande cohérence, poussant l’exploration, densifiant son système de jeu au fur et à mesure des épisodes. A tel point que la série devient, comme désiré, le visage de SEGA, contrant Mario et développant une communauté forte.
L’entreprise japonaise acquiert dans la foulée, et pour plusieurs années, une aura de jeunesse branchée, surfant avec intelligence sur une mode de gentille rébellion. Pensé comme tel, avec ses baskets et son sourire narquois, Sonic incarne à la fois une époque et un style. Rapides, originaux dans leurs localisations et leur conception, les Sonic 16 bits sont issus d’une vraie dynamique de création qui prendra un coup d’arrêt au passage à la 3D – avant Sonic Adventure – avec le très méconnu et très annulé Sonic X-Trem. Un cataclysme qui voit Naka Yuji changer d’approche.
[nextpage title=”Sonic X-treme : Hamlet chez les hérissons”]
L’équipe continue de se heurter à des soucis, cette fois-ci humains, avec une mauvaise gestion qui cause des erreurs de communications et une organisation problématique au niveau technique avec un moteur qui supporte mal le passage du PC à la Saturn. D’autant que deux versions de ce dernier sont utilisés pour des passages différents. La branche américaine de SEGA, à force de marcher sur du verre pilé depuis plusieurs mois, commence un tantinet à s’énerver et demande à un studio externe, Point of View, de bosser sur ce qui s’appelle désormais Sonic X-Treme sans tenir au courant les têtes pensantes de STI, le technical lead Ofer Alon, et bien entendu Chris Senn. Ce qui, une fois révélé n’apaise pas trop trop les tensions internes. Histoire de voir de ses propres yeux le typhon chez SEGA US, une délégation de SEGA Japon, incluant le directeur d’époque Nakayama Hayao, rend visite à STI. Suite à un enchaînement malheureux de circonstances, c’est le travail désastreux de POV qui lui est montré et non les récents efforts, payants, de Alon. Les rares survivants au coup de colère de Nakayama se rendent à l’évidence, les options sont en voie de disparition. Afin de porter correctement le jeu sur Saturn, une demande est faite à SEGA Japon de récupérer le moteur de Nights, développé par l’équipe de Naka. STI débute donc sa dernière ligne droite miraculeuse avant que le karma les rattrape, Naka ayant appris l’utilisation du moteur de sa team. Menaçant de démissionner, il gagne sa prise d’otage et SEGA Japon interdit à STI de se servir ce cette bouée de sauvetage.
Les maudits sont de fait forcés de revenir des semaines en arrière et reprennent la conception d’un moteur appelé Project Condor. Il deviendra celui animant Sonic-Xtreme, basé sur la technologie existante du second auparavant réservé aux arènes de boss. Mais la deadline se fait de plus en plus pressante. Chris Coffin, le nouveau lead programer placé à ce poste après la “chute” de Alon suite à la visite de Nakayama, se transforme en héros de guerre. Il dresse des sacs de sable et fait front pendant de longues semaines en travaillant au maximum de ses capacités, dormant sur place. En août 1996, il tombe gravement malade et doit quitter son poste s’il veut rester ne serait-ce en bonne santé, au moins vivant. Un coup dur de plus au projet qui ratera donc les fêtes de fin d’année, ce qui signe sa fin. Malgré l’ombre du burn out, Chris Senn et Ofer Alon essayent dans un dernier accès de motivation de finaliser leur moteur dans l’espoir d’une possible sortie PC, mais rien n’y fera. Avec Alon sur le départ, Sonic X-Treme s’éteint pour de bon et la Saturn n’aura de fait jamais son Sonic exclusif pouvant asseoir sa légitimité et son aura SEGA.
C’est très logiquement Nights qui prend sa place, gorgé de style SEGA, offrant une aventure originale et une réalisation honorant la machine. Malgré tout, l’éditeur/constructeur ne peut se passer de la présence de sa bestiole bleue et se rabat sur le portage d’un certain Sonic 3D : Flickie’s Island/Blast destiné à la base à être uniquement édité sur MegaDrive, en 3D isométrique. Amélioré visuellement, orné de quelques effets supplémentaires et de quelques niveaux bonus via une véritable 3D, il prend la place meurtrie de Sonic X-Treme en ce mois de novembre 1996. Les restes de ce projet bossu seront dispersés aux quatre vents, au-dessus d’une mer de haine et de doutes. Une petite idée d’un rendu possible peut s’apercevoir dans ce qui sert de “menu interactif” à la compilation Sonic Jam, parue en 1997 sur Saturn, regroupant les épisodes 1,2,3 et Knuckles accompagnés de quelques bonus. Mais, malgré la disparition du corps, restent des traces sous formes d’images floues et de vidéos pas beaucoup plus fines, ainsi qu’une mise en commun de diverses ressources ayant conduit à la récupération d’une version jouable de Sonic X-Treme, plus ou moins stable. Bien évidemment loin d’être officielle. Une pareille annulation n’a pas été sans conséquence pour une Saturn, qui, privée de sa mascotte et d’un potentiel réel de s’imposer dans le jeu de plateformes 3D, a souffert de sa concurrence déjà problématique avec la Psone. Certes Nights a réussi à sauver les meubles avec ses petits bras, mais – et cela se vérifie encore davantage désormais – une nouvelle machine sans jeux aisément reconnaissables et liés à une sorte de passif émotionnel du joueur peine à décoller.
[nextpage title=”Sonic Adventure : le tournant”]
Une idée abandonnée en partie à cause d’autres projets menés parallèlement et surtout de la prise de conscience que la 32 bits maison risque de vite péricliter, en face d’une PS One qui prend toujours plus de place sur le marché. Le drapeau du Sonic pur jus revient donc flotter sans grande fierté au-dessus de la SonicTeam, qui va devoir s’atteler à la création d’un épisode entre-deux : logiquement en lice pour être adapté sur la prochaine machine de SEGA, il poursuit sa croissance sur Saturn, en attendant l’arrivée des premières stations de développement. Une fois les baskets et les épines posées sur ce qui se nomme Katana avant de changer d’appellation pour un « Dreamcast » tout de même moins impressionnant, ce nouveau Sonic doit conserver ses spécificités, à savoir la vitesse et la faculté à s’inscrire dans son époque, toujours tyrannisée par le « cool ». Les niveaux doivent donc être courts, colorés, et relativement aisés à lire pour le joueur, dans une optique de retour aux sources. A projet ambitieux, recherche disproportionnée, et une partie de l’équipe se rend en Amérique du Sud afin de collecter photos, impressions et idées pour donner une direction à l’univers du jeu. SEGA veut que ce passage à une console en avance sur son temps, à une 3D désormais de haute qualité, se fasse globalement. Si le jeu se modifie, ses personnages aussi. Chara-designer sur Ristar et Astal, Yuji Uekawa est en charge de tailler dans le gras et de créer des nouveaux acolytes. Si Sonic devient plus affirmé, moulé dans un corps symbolisant la vitesse, il doit rester encore très cartoon pour ne pas choquer outre mesure le public.
Un pari réussi pour les héros canoniques, mais à débattre pour les bizuts Big the Cat et E-102 qui, outre son nom de colorant, dispose d’un flingue. Car oui, dans l’optique d’ouvrir ce Sonic Adventure, certains des personnages disposent d’un gameplay original qui n’a plus rien à voir avec la série, notamment Big qui doit pêcher sa grenouille dans chacun des niveaux. Mais davantage que ce moment de questionnements sur l’obsession malsaine derrière ce choix de game design, ce qui est marque Sonic Adventure est un basculement orientant la franchise sur de nombreuses années. De moments de plateformes efficaces au contexte effacé deviennent des séquences s’orientant de plus en plus vers une exploration 3D avec une scénarisation poussée.
[nextpage title=”La difficile 3D”]
Malgré quelques épisodes plutôt réussis, notamment les Sonic Adventure, la 3D se voit davantage ici comme une option forcée par les événements que comme un véritable outil. D’autant que la volonté de SEGA de coller aux diverses séries d’animation, en utilisant des personnages désormais bavards et plus du tout définis par leur design pousse à intégrer des histoires un peu forcées. Le développement du background de Sonic est-il vraiment utile ? S’il avait été fait avec humour, mais en l’état il rajoute simplement des dialogues malheureux. Et cela jusqu’à Sonic Boom qui est sans doute la pire dégradation de la saga, tant il sublime les difficultés d’adaptation de la licence à un concept qui ne lui sied pas vraiment. Sans rentrer dans l’immensité des spin-off et dérivés, les divers Sonic de la série principale ont connu un regain de gloire avec les déclinaisons sur un plan horizontal que sont Sonic 4 et Sonic Generations, reprises des anciennes gloires 16 bits modernisés. Le gameplay s’est amélioré, les niveaux sont ingénieux, les nouveautés inscrites avec douceur et ces derniers fonctionnent. L’évolution de la franchise durant ces 25 années est symptomatique de la vague d’utilisation de la nostalgie pour proposer des jeux soit-disant légitimes. Sonic est affilié à SEGA, viscéralement. Il serait quasi impossible pour la société de s’en débarrasser dans les fougères. Mais en la gérant uniquement, soit pour ce qu’elle rappelle, soit comme un objet malléable qui accepte tout, SEGA lui retire justement une spécificité dont était naît son aura. Les codes de gameplay sont importants, les détourner, les faire évoluer est vital, mais pas les remplacer par d’autres quasiment indépendants, inspirés d’une certaine mode. Et c’est malheureusement là où se dirige Sonic depuis des années et ce malgré de récents épisodes de qualité. Pour ses 25 ans, le hérisson mérite de rappeler quelques instants pourquoi, à une époque, il a été le prescripteur et non celui qui cherche du regard quoi faire.
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