L’idée de faire un jeu autour de Kinect, il l’a eu lors du Gamercamp qui a eu lieu fin 2014 à Toronto. Là, il rencontrera Nick Kornek et Louis Sciannamblo du studio Rad Sandwitch. Ils se disent quand même que Kinect est une formidable technologie et qu’il est bien dommage qu’il n’y ait pas plus de bons jeux dessus. Des titres très amusants existent, mais aucun n’est suffisamment gros pour être réellement significatif.
« On s’est demandé comment on pouvait résoudre ce problème, comment on pouvait regrouper et exploiter les différents jeux Kinect qui existent. Dans une compilation par exemple. Je suis rentré de Toronto et j’ai commencé à faire des recherches pour trouver d’autres jeux Kinect qui sont comme les nôtres. C’est comme ça que j’ai trouvé Thomas. »
Nick parle de Thomas Altenburger, un développeur messin qui travaille actuellement au sein de son studio Flying Oak sur NeuroVoider, un shooter double stick sur PC. Nick le repère début 2015 grâce à Hoy, un petit jeu créé lors d’une game jam. Les règles de Hoy sont très simples. Deux joueurs se placent face à un écran équipé d’un Kinect. Des petits bonshommes bâtons s’affichent alors à l’écran et les joueurs doivent prendre ladite pose. Une fois en position, le joueur doit crier « Hoy ! » pour que Kinect valide le point. Résultat, les joueurs enchaînent les poses saccadées en criant « Hoy ! » à chaque fois, ce qui a pour effet de créer une sorte de danse russe un peu ridicule et épuisante, mais très amusante. Le titre est présenté plusieurs fois lors d’événements comme le Stunfest à Rennes où il rencontre toujours un certain succès auprès du public.
Toutefois, malgré l’apparent attrait d’un concept comme Hoy, Thomas confirme cette difficulté à faire fructifier des petits projets de jeux Kinect. Le programme ID@Xbox (dont nous avons rencontré le patron européen lors de la Paris Games Week) facilite les démarches nécessaires pour parvenir à être répertorié sur le Xbox Live, mais il ne résout pas tous les problèmes. Thomas et sa graphiste de l’époque, Laurence, s’inscrivent sur le programme début 2015 et se rendent vite compte, comme Nick Madonna, que la taille du projet allait poser problème.
« Hoy est un petit jeu, raconte Thomas, il aurait donc fallu le vendre à un prix très bas. Sauf que c’est impossible sur le Xbox Live où il existe un prix plancher, quelque chose comme 9 euros, je crois. Hors promo, impossible de passer sous ce prix. Il était donc impossible de vendre un jeu à 1 ou 2 euros. La proposition de compilation tombait donc très bien. »
La proposition de Nick Madonna arrive à peu près au même moment que la tentative de commercialisation de Hoy. Thomas n’était pas le seul à avoir été sollicité et 3 autres développeurs, chacun avec leur jeu, sont finalement impliqués dans le projet.
[nextpage title=”Le début du projet”]
« Ce qu’on a essayé de faire était le premier titre Kinect où plusieurs développeurs allient leurs forces, afin de créer un party game qui incluait les jeux multijoueur les plus amusants et inventifs qui soient, explique Nick. C’était ce que nous voulions faire et il n’y a jamais eu quelque chose de ce style avant. On cherchait à être les premiers et on cherchait à être les meilleurs. Et surtout, nous devions être les seuls indépendants qui travaillaient encore avec Kinect à ce moment-là. On voulait montrer aux autres développeurs que Kinect est cool et qu’il est possible de faire de très bonnes choses avec. »
Les jeux sont tous plus ou moins à un état d’avancement de « game jam » à ce moment-là. De nombreux développeurs, dont Thomas, doivent rendre leurs prototypes développés pour le premier Kinect compatibles avec la seconde version du périphérique. Il faut également finaliser les projets, faire les ajustements nécessaires et transformer ce qui n’était que des ébauches en mini-jeux terminés et peaufinés. L’équipe doit également créer le liant entre les différents jeux et certains développeurs sont affectés à la création du menu principal et des fonctionnalités générales pour en faire un titre cohérent. Thomas, par exemple, s’est occupé de programmer un album photo.
« Avec le groupe, on a commencé à faire des petites réunions pour savoir quel allait être le socle de base qui allait nous servir à assembler le puzzle sans difficulté, raconte Thomas. Et puis, on a commencé à bosser chacun de notre côté sur nos jeux et à assembler les morceaux. La production de NeuroVoider était déjà entamée et le travail sur The Best Party Ever me prenait entre un jour et un jour et demi par semaine durant trois mois. Après ça, Hoy était terminé et comme j’avais pris l’habitude de prendre du temps pour ça, j’avais proposé à Nick de continuer à bosser sur le reste. »
Les différents pôles progressent à des rythmes différents, mais les idées fusent et le pitch du jeu se dessine. L’équipe veut intégrer des éléments en FMV (Full Motion Video), d’autant que ça revient à la mode avec des titres grand public comme Need For Speed et Guitar Hero Live. Le FMV avait également de bonnes synergies avec Kinect, comme l’explique Nick.
« On avait une mascotte sous la forme d’un petit Kinect. Il savait qu’il était un petit Kinect, il savait qu’il n’était pas très cool… Mais il organisait une soirée sympa. On voulait même filmer une vraie fête et intégrer les joueurs à l’intérieur, comme si vous y étiez. Je pense qu’on était en train de faire quelque chose de pas mal ! Et de très stylisé aussi. »
Début mars 2015, fort des avancées du projet, Nick Madonna part avec son studio à la Game Developers Conference de San Francisco, principalement pour parler de ClusterPuck 99 au stand ID@Xbox, mais également de The Best Party Ever, tant qu’à faire. À ce moment-là, les retours des exécutifs de chez Microsoft sont très chaleureux. Il faut dire que des développeurs enthousiastes de travailler sur Kinect, ça ne se voit pas tous les jours, même au sein du programme ID@Xbox.
« On a discuté avec des personnes chez ID@Xbox afin de jauger leur intérêt pour Kinect et quels étaient leur plan pour le périphérique, détaille Nick. Ces personnes étaient vraiment enthousiastes, elles étaient intéressées, disaient que ça avait l’air cool surtout qu’ils n’avaient rien d’équivalent de prévu. C’est après ça qu’on a inscrit le projet sur ID@Xbox et il a été accepté. Tout le groupe a eu ses kits Xbox et on a réellement pu commencer le développement sur la machine à partir de là. »
« C’est par ID@Xbox qu’on a essayé de s’imposer auprès de Microsoft et d’essayer de parler aux bonnes personnes afin d’avoir les soutiens nécessaires. Parce qu’on utilisait Kinect ! On était une exclu console ! On a emprunté cette voie pour voir où ça pouvait nous emmener. »
[nextpage title=”Qui soutient encore Kinect en 2015 ?”]
« Vers la fin de l’été, Nick décide de se faire une petite rétrospective sur l’année pour savoir quel jeu Kinect est sorti, explique Thomas. Il voit qu’il y a deux jeux indépendants qui sont sortis et qu’ils se prennent des notes Metacritic assez affreuses… »
Même constat chez Nick.
« Il y a eu le jeu Fantasia qui était sorti, qui n’a pas très bien marché et puis après, c’était un énorme fossé jusqu’à une éventuelle nouvelle sortie Kinect. Certains jeux sont sortis dans la plus grande indifférence, la presse n’en a pas parlé. Et puis il y a eu l’E3, la gamescom, plein d’événements où Kinect n’était jamais cité. »
« On en a discuté et on n’était plus si sûr de savoir ce que le futur de Kinect allait être, raconte Nick. On a vu plein d’articles qui parlaient de la mort de Kinect… Tout le monde était très négatif sur Kinect. Ça nous faisait un peu mal de lire ça alors qu’on développait un jeu dessus. On ne voulait pas faire un jeu pour un périphérique qui allait devenir obsolète. »
The Best Party Ever est donc mis de côté temporairement, histoire de donner le temps à l’équipe de contacter Microsoft. Ils veulent obtenir une preuve que, malgré tout, le constructeur du périphérique allait les pousser à continuer de développer pour lui. Malheureusement, ça n’est pas le cas et Nick tombe sur un Microsoft aussi peu enthousiaste que le reste de l’industrie envers Kinect.
« On a contacté Microsoft, explique Nick, sans rentrer dans les détails de ce qu’ils nous ont dit, ils nous ont fait comprendre qu’il valait mieux arrêter. Que c’était dans l’intérêt de tout le monde de simplement annuler le projet pour plein de raisons. On s’est alors demandé ce qu’on pouvait faire pour le jeu avec l’équipe, et il n’y avait vraiment pas de bonnes réponses à ça. Aucune bonne solution. On s’est simplement heurtés à la réalité de ce qu’on était en train de développer. »
Ce retour froid de Microsoft finit de tuer le projet dans l’œuf qui est alors au stade de l’alpha. Les jeux sont plus ou moins jouables et fonctionnent tous sur une base de code commune. Certains développeurs en manque de volonté et qui avaient plus de mal à remplir leur part de travail se sont cependant trouvés soulagés de voir que le jeu était abandonné. Chose plutôt normale dans un projet collaboratif comme celui-là.
Et maintenant ? Eh bien, The Best Party ever n’existera pas, ou du moins pas sous cette forme. Thomas possède toujours une version tout à fait fonctionnelle de Hoy. Il continuera certainement à la présenter lors d’événements comme le Stunfest jusqu’à trouver un autre moyen de le rendre viable commercialement parlant. La problématique reste cependant la même et s’applique à tous les jeux de The Best Party Ever : comment exploiter ces jeux qui ont été construits autour d’un accessoire si particulier ? Accessoire dont le public ne veut plus et qui ne fonctionne pratiquement que sur une seule et unique console ?
Les médias, les développeurs, tous n’ont maintenant plus qu’une expression à la bouche : « réalité virtuelle ». Le temps de Kinect — s’il est seulement venu un jour — est passé et il sera extrêmement compliqué d’attirer de nouveau l’attention du public sur le motion gaming. Nintendo n’a jamais réussi à recapitaliser sur l’invraisemblable succès de la Wii et Sony, malgré son PS Move très fonctionnel, ne s’est jamais donné les moyens de ses ambitions. Même s’ils ne doivent plus être très nombreux, l’avenir est très sombre pour ces projets qui se sont construits autour de Kinect, surtout depuis que la Xbox One n’est plus vendue avec. Car bien que l’accessoire soit disponible à l’achat et rendu compatible sur PC par Microsoft, comment espérer vendre un jeu si le périphérique sur lequel il se base n’est possédé par personne ?
« On s’est posé la question de ce qu’on pouvait faire avec tout le temps et l’énergie qu’on avait mis dans le projet. J’avais réservé le nom de domaine Kinect.party, on s’est dit qu’on pouvait y mettre une sorte de post mortem, ou du code, ou quelques parts jouables du jeu. Mais à cause des accords avec Microsoft, on risque de ne même pas pouvoir partager tout ça. »
Microsoft a peut-être trop perfectionné une technologie qui était déjà obsolète au moment de la sortie de la Xbox One. Peut-être que le destin de The Best Party Ever aurait été différent si Microsoft s’était tenu à sa politique initiale pour la Xbox One, celle qui demandait une utilisation obligatoire de Kinect et d’une connexion à internet. Kinect, sans un mot, est maintenant discrètement caché sous le tapis. Après tout, il faut faire de la place pour le « next big thing », l’HoloLens qui, on l’espère pour ceux qui développeront dessus, ne subira peut-être pas le même destin.
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