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Quel avenir pour l’IA dans les jeux vidéo ?

En plus d’être très présente, l’IA soulève beaucoup de questions. Quel avenir a-t-elle dans le domaine des jeux vidéo et quels sont les enjeux de son utilisation ?

L’intelligence artificielle fascine et inquiète à la fois, bouleversant notre perception de la technologie et de ses capacités. John McCarthy, l’un des pionniers dans le domaine de l’IA, la décrivait au siècle dernier comme “la science et l’ingénierie de la fabrication de machines intelligentes”. Utilisé à tort et surtout à travers, le concept rassemble avant tout un ensemble d’algorithmes permettant d’imiter la pensée humaine, capable de créer, de se corriger, d’apprendre et d’anticiper une situation. Si l’usage de l’IA dans les algorithmes prédictifs et génératifs commence doucement à se frayer une place dans notre quotidien, le jeu vidéo n’est pas épargné par la vague.

Une IA, c’est quoi ?

Aujourd’hui, l’IA est utilisé comme terme fourre-tout qui englobe aussi bien de vraies propositions intelligentes que de simples mécanismes d’automatisme. Pourtant, l’intelligence artificielle va bien au-delà du système d’action réaction. On peut séparer le domaine en plusieurs champs d’action, avec d’un côté l’IA générative, de l’autre l’IA cognitive, et d’autres catégories encore. Toutes ces formes sont actuellement en vogue pour tout ce qu’elles apportent au secteur du divertissement. ChatGPT, Midjourney et Dall-E ne sont que des exemples des logiciels les plus utilisés et surtout les plus visibles.

Mais l’IA c’est aussi une immense partie immergée, qui s’insinue dans les programmes sous forme d’outils numériques s’adaptant aux activités humaines… comme le ferait un autre humain. Ce sont les recommandations personnalisées, les assistants vocaux, ou encore les logiciels de reconnaissance faciale. On ne peut plus citer toutes les utilisations de l’intelligence artificielle dans la vie de tous les jours, via des outils aussi invisibles qu’utiles.

La situation se corse dès lors qu’on parle d’art, le seul aspect du génie créatif que l’humain ne concède pas à son homologue artificiel. Les jeux vidéo, en tant que forme d’art numérique, n’échappent pas aux problématiques actuelles concernant l’éthique, mais aussi la pertinence de l’utilisation de l’IA en tant qu’outil créateur.

Pour le pire…

Lors de la Game Developers Conference en mars dernier, Ubisoft dévoilait ses Neo NPC (comprenez les personnages non joueurs d’un nouveau genre). Cette technologie entendait révolutionner la manière dont les joueurs interagissent avec leur entourage in-game en incluant des PNJ intelligents, capables de s’adapter au chapitre de l’histoire dans lequel ils se trouvent (dans le cas des mondes ouverts par exemple) ou encore d’adapter leur discours en fonction de la réponse du joueur (dans le cas des dialogues à choix multiples).

Pour se faire, le studio officialise un partenariat avec deux pointures dans le milieu, à savoir Nvidia et InworldAI. Mais il n’aura pas attendu cet évènement pour miser sur l’intelligence artificielle. Déjà en mars 2023, Ubisoft annonçait la création d’un outil nommé Ghostwriter (rédacteur fantôme) qui permettait de générer les dialogues des PNJ en fond sonore. On ne parle pas forcément de ceux qui sont importants pour les quêtes et l’histoire, mais surtout de ceux qui peuplent les mondes ouverts et vastes, qui les rendent plus humains et réalistes.

Ces deux outils d’IA générative ne sont pas les seules propositions à avoir vu le jour dans le secteur vidéoludique. Un jeu en particulier, s’est démarqué du lot, en étant presque entièrement conçu grâce à l’IA. Développé par le Finnois Jussi-Petteri Kemppainen, ce point and click futuriste aux allures de prototypes serait né de la synergie de deux outils d’IA générative d’images : MidJourney et Stable Diffusion, capable de créer de toutes pièces des visuels à partir de prompts textuels.

Le résultat est bluffant. Non seulement les images sont belles, mais l’identité visuelle du jeu est clairement identifiable, alors même que l’univers créé n’existe qu’à partir de modèles déjà existants. Bien qu’il ait tout assemblé, le développeur n’aura fait appel à aucun artiste pour obtenir une direction graphique efficace. Par peur d’un grand remplacement numérique ou d’une accélération incontrôlable de l’intelligence artificielle, les critiques se multiplient, et les joueurs ne sont que peu réceptifs à la démarche.

Ubisoft en est le parfait exemple. À chaque nouvelle sortie d’un outil “révolutionnaire” (dans le vent de ce qui se fait au moment T), les commentaires négatifs arrivent par vagues, entre la haine pure et dure, la crainte et le dégoût. Force est de constater que le gamer ordinaire adule l’IA générative pour un usage personnel et créatif, mais l’a en horreur lorsqu’il s’agit d’un usage par les professionnels.

… et le meilleur ?

En réalité, l’IA est déjà partout dans les jeux vidéo. Sous forme d’outil d’assistance plutôt que comme générateur d’idées, l’intelligence artificielle passe inaperçue et est même plébiscitée pour sa pertinence et son efficacité. Elle s’immisce dans la modération des sites de communication, dans les chatbots ou encore dans les interfaces utilisateur des consoles et autres applications liées au gaming. 

Twitch, plateforme de diffusion en direct détenue par Amazon, est un des acteurs les plus présents dans la représentation du contenu vidéoludique sur Internet. Le service est majoritairement utilisé pour partager au grand public les passions de chacun, souvent dans le respect et la bienveillance. Mais Twitch ne fait pas exceptions aux comportements haineux et injurieux, la modération s’avère donc extrêmement importante pour préserver l’intégrité de chaque utilisateur.

En 2021, la plateforme dévoile un tout nouvel outil nommé “Détection d’utilisateurs suspects” basé sur l’intelligence artificielle. L’outil permet de lutter contre le cyberharcèlement en identifiant les comptes qui tentent de contourner les règles de bannissement, en créant de multiples comptes par exemple. La nouvelle n’avait pas provoqué autant d’émoi que n’importe quelle mise à jour de ChatGPT, et pourtant, l’outil est encore utilisé au quotidien.

Récemment, c’est la future PS5 Pro qui a fait parler d’elle et de son rapport à l’intelligence artificielle. D’après les rumeurs, la prochaine console de Sony, ou celle d’encore après, devrait intégrer un processeur dédié qui boosterait les performances de la console. La technologie d’upscaling IA, décrite comme un équivalent au DLSS de Nvidia, permettrait d’afficher des jeux en 4K et 120 fps. De même, la machine serait bientôt capable de vous jouer “à votre place” en utilisant des techniques d’analyse et de reproduction de vos comportements en jeu. Pour autant, tout ceci reste optionnel, et s’intègrera à l’écosystème PlayStation déjà très complet sans que l’intelligence ne devienne l’argument de vente principal de la console.

Ps5 Pro (1)
© ConceptCreator – LetsgoDigital

Décriée dès lors qu’elle s’attaque aux domaines artistiques, l’IA parvient à être banalisée, voire encensée dans des cas où elle tend à être invisibilisée. Que l’intelligence artificielle fascine est plutôt logique, mais le fait est qu’elle préoccupe également. De manière générale, on constate que toutes les innovations inquiètent avant d’être acceptées.

L’intelligence artificielle prête à l’emploi

En ce qui concerne les jeux vidéo, ce qui tracasse le plus les consommateurs reste le statut des développeurs au sein de l’industrie. Le secteur connait des temps troubles. Depuis 2022, les studios, éditeurs et constructeurs licencient leurs employés à tour de bras, accusant le coup d’une pandémie prolifique et d’un retour à la normale brutal. L’année passée, ce sont 10 500 postes qui ont été supprimés, tandis que 2024 enregistre d’ores et déjà 10 000 licenciés en moins de 6 mois. La tendance s’accélère et cela n’augure rien de bon pour le futur de l’activité professionnelle vidéoludique. 

La menace ombrageuse de la terrible intelligence artificielle est une épée de Damoclès supplémentaire au-dessus de la tête des développeurs. Plus rapide, moins couteuse et n’étant pas soumise aux droits sociaux, la technologie ne compte que sur la bonne foi et le bon vouloir des entreprises pour ne pas remplacer les humains dans les tâches les plus pénibles et/ou créatives, ou encore celles qui demandent le plus d’investissement financier.

La SAG-AFTRA (Screen Actors Guild‐American Federation of Television and Radio Artists) s’est d’ailleurs emparée du sujet il y a quelques mois à peine. L’association qui défend historiquement le personnel issu du monde de l’audiovisuel a profité des revendications à Hollywood pour aborder l’utilisation de l’IA dans les jeux vidéo. Son but n’a jamais été d’interdire l’intelligence artificielle, mais plutôt de réguler son usage pour que les acteurs de motion capture ou de doublage pour les jeux vidéo travaillent dans un cadre sain, sans peur de se faire voler leur image/voix/carrière.

Légiférer plutôt que réprimer, c’est l’option qu’a choisi la SAG-AFTRA et c’est celle qui a mené l’association à passer un sans précédent avec Réplica. L’entreprise a l’autorisation de créer des doubles vocaux des acteurs syndiqués et de les fournir aux studios de jeux vidéo, dans un cadre “juste et équitable” pour les comédiens de doublage, qui pourront enfin en tirer les bénéfices financiers. Dans ce contexte, les entreprises faisant appel aux talents via Replica, et donc en passant par la protection de la SAG-AFTRA, savent que les clones numériques et vocaux se baseront sur de véritables personnes, ayant donné leur accord pour l’utilisation de leur image, et que chaque usage sera contrôlé.

L’accord n’a pas été bien reçu par tous les adhérents au mouvement, mais il a au moins eu le mérite de poser les bases d’une régulation. La SAG-AFTRA a préféré se joindre au mouvement de la transition plutôt que de nager à contre-courant d’un phénomène technologique qui s’implante déjà partout sans que nous le voyons.

La législation peut-elle assurer l’avenir de l’IA ?

Les organisations et entreprises n’attendent pas que le grand public se décide sur le sort de l’intelligence artificielle pour s’en emparer de toutes les manières possibles – plus ou moins éthiques. Il est donc plus que nécessaire d’avoir une législation qui réponde à toutes les questions que l’on se pose légitimement sur la manière dont les IA fonctionnent et surtout ce dont elles se nourrissent.

Aujourd’hui, même les IA génératives les plus poussées passent par des banques de données extrêmement fournies pour assembler des images, des couleurs, des formes ou des idées, et ainsi rebâtir quelque chose de nouveau à partir de beaucoup de choses existantes. Qui créditer alors quand Midjourney nous produit une image à partir d’un prompt, qui va aller piocher dans des banques de données où se trouvent des milliers d’œuvres d’artistes bien réels ? Si cette question est encore épineuse, celle des clones vocaux utilisés par Replica aura au moins l’avantage d’avoir une réponse claire, et ce grâce à l’accord trouvé par la SAG-AFTRA.

C’est un pas crucial vers une adoption plus éthique de cette technologie dans des industries aussi larges que celles du jeu vidéo. Cependant, la question de l’impact de l’IA sur l’emploi et la créativité humaine demeure. Il est essentiel de continuer à légiférer et à débattre sur ces enjeux pour trouver un équilibre. L’avenir de l’IA dépendra de notre capacité à l’intégrer de manière responsable et équitable.

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