Passer au contenu

Interview des développeurs de Road 96 et Deathloop suite aux Pégases 2022

Lors des Pégases 2022, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec le studio Digixart, à l’origine du jeu Road 96, et Arkane Lyon derrière le jeu Deathloop. Interview.

Le 10 mars se tenaient les Pégases 2022, une cérémonie de remise de prix récompensant les studios et jeux vidéo français. Alors que nous vous avons déjà communiqué les résultats, vous avez sûrement remarqué que deux jeux ont dominé cette édition : Road 96 et Deathloop. Entre jeu indé et AAA, ces deux titres ont véritablement su transporter les joueurs dans des univers au-delà du divertissement.

Puisque nous avons eu la chance de nous entretenir avec les deux studios, voici quelques confessions sur la cérémonie, mais aussi sur le développement de ces deux jeux au succès international. Pour représenter Digixart, c’est Alicia Magistrello, animatrice 3D, qui nous a confié son ressenti après la cérémonie.

alicia magistrello digixart road 96 interview pegases 2022
Crédits : François BARDEL

Tout d’abord bravo à vous et à toute l’équipe pour vos 5 prix et 6 nominations sur 19 catégories. Parmi ces récompenses, y en a-t-il une qui vous a le plus touchée ?

Je pense vraiment que c’est le meilleur jeu vidéo indépendant. On s’y attendait le moins parce que c’est la plus grosse catégorie pour nous mine de rien. C’est plus de pression, on ne pensait pas que c’était dans nos limites.

Road 96, c’est un jeu qui est vraiment axé sur l’originalité de la narration, donc le prix de l’excellence narrative est-ce qu’il est aussi symbolique pour vous ?

Oui, c’est vraiment une belle récompense parce qu’on a fait des choix narratifs qui sont assez osés. Commencer une histoire par n’importe quel endroit c’est assez compliqué à gérer. On est très heureux d’avoir été récompensés pour ça parce qu’au final, ça montre que [notre travail] paye et que les joueurs ont envie aussi d’expérimenter des histoires de manière différente d’une narration linéaire. Du coup, ça nous conforte dans l’idée qu’on a pris une bonne décision.

Que vous comptez reprendre pour d’autres jeux par la suite ?

Pour l’instant on ne sait pas trop, parce qu’on essaye beaucoup de choses différentes. Même si on a été récompensés pour ça, c’est très long à produire, plus long que la plupart des jeux narratifs parce que au final le joueur lambda a expérimenté environ 50% du jeu, même pas, et c’est un coût de production assez énorme.

Ce soir vous inaugurez une des deux catégories qui ont été ajoutées cette année, c’est le prix de la meilleure accessibilité. Est-ce que c’est un aspect que vous aviez trouvé primordial à mettre au cœur du jeu ?

Je ne suis pas forcément la meilleure personne pour en parler parce que je ne suis pas game designer, mais effectivement le jeu a été pensé directement dans le level design pour que ce soit accessible à tout le monde. Par exemple, quand il y a des feedbacks de couleurs, il y a toujours des feedbacks de symboles pour aider les personnes qui ne voient pas les couleurs correctement. De la même manière, dès qu’il y a un feedback on essaye d’en mettre plusieurs pour que ce soit visuel, sonore ou sensitif au niveau de la manette.

Ce n’était pas un aftershot. On a essayé de le penser pour que tout le monde puisse faire [le jeu]. Il n’y a pas non plus de décision chronométrée dans le jeu, c’est vraiment pensé pour que chaque joueur puisse expérimenter Road 96 à son rythme et avoir les décisions qu’il a eu envie de faire et pas qu’il a eu parce qu’il n’a pas réussi à le faire.

Donc il y a beaucoup moins de frustration aussi ?

C’est ça. Après, dans les jeux narratifs c’est pas forcément « difficile » à faire, mais ça reste un domaine d’accessibilité. C’est vrai que c’est très frustrant de ne pas pouvoir faire quelque chose physiquement. Nous on ne voulait pas avoir ce genre d’expérience, on reste quand même un jeu assez positif. Il y a très peu de punitions dans le jeu et c’était vraiment un choix de design.

Enfin, s’il y avait une catégorie à créer aux Pégases, qu’est-ce que vous aimeriez que ce soit ?

Personnellement, comme je suis animatrice, je suis un peu déçue qu’il n’y ait pas de catégorie pour la mise en scène, le cadrage, etc. Je sais que ça ressemble plus à une catégorie de film ou de film d’animation, mais moi ça me manque un peu. Il y a beaucoup de catégories pour le level design, l’art, le son, mais c’est vrai que pour l’animation il n’y en a pas. Je sais aussi que l’année dernière il y avait aussi une catégorie pour le meilleur personnage, moi je trouve ça sympa. Ça m’a un peu manqué.

Road 96, la pépite indé de 2021, Deathloop l’AAA à succès

Aux côtés d’autres jeux, Road 96 a littéralement fait fureur. Avec sa narration atypique, le jeu a su conquérir le cœur de nombreux joueur sur PC et Nintendo Switch et prouve à la scène vidéoludique qu’un jeu n’a pas besoin d’un budget énorme pour fonctionner, juste de beaucoup de passion, de travail acharné et d’une vision du monde originale.

De l’autre côté du spectre, on retrouve Deathloop, un AAA qui nous a donné la migraine au fil des trailers, mais qui s’est révélé être un jeu d’aventure aussi divertissant que challengeant. Mettant en son cœur une histoire de boucle temporelle et de traque de mercenaires, Deathloop est devenu un hit planétaire lors de sa sortie sur PS5. Dinga Bakaba, game director chez Arkane Lyon, nous dévoile ses pensées sur le chemin parcouru par le studio.

deathloop dinga bakaba pegases 2022 interview
Crédits : François BARDEL

Tout d’abord, félicitations pour vos 5 prix. Qu’est-ce que ça signifie pour vous d’être présents ce soir et de dominer cette cérémonie aux côtés de Road 96 ?

C’est extrêmement gratifiant clairement. On a bossé très dur. Ce qui est d’autant plus gratifiant c’est que pour une fois on joue « à la maison ». Arkane étant un peu une grosse boite on fait des jeux avec une portée internationale. On a été quelques fois récompensés à l’extérieur, quelques fois aussi en France, mais à chaque fois que c’est en France voilà c’est spécial parce que moi je suis parisien, j’ai grandi ici.

C’est aussi gratifiant pour l’équipe, on est très content. On est fier d’avoir eu [les Pégases] qu’on a eu. Le game design c’est important pour nous, on est un studio « design driven ». Pour la direction artistique et la création d’univers, c’est toute la vie de Sébastien [Mitton]. Et s’il y a en a bien un qui m’a agréablement surpris c’est bien le prix du public. J’étais trop content, et on est vraiment ravis.

Vous avez effectivement un beau palmarès avec les prix de l’excellence visuelle, du meilleur game design, meilleur univers de jeu, meilleur jeu vidéo et prix du public. Lequel vous a personnellement le plus touché ?

C’est clairement le prix du public. On fait tout ça pour eux donc d’avoir la communauté qui a voté pour nous, qui nous a plébiscités c’est vraiment super valorisant. Surtout pour Deathloop parce que c’est une proposition assez originale et atypique. Il y avait une sacrée prise de risque qui est finalement assez rare dans les jeux AAA donc [on est ravi] du fait que cette originalité ait été saluée.

C’était drôle, surtout après toute une campagne marketing où les gens sortaient de chacun de nos trailers en disant « mais c’est quoi ce truc ? Qu’est-ce que c’est que ce machin chelou ? ». Mais, les gens ont mis la main dessus et ont fini par dire « ah d’accord c’est ça qu’ils faisaient ! Ah oui je comprends pourquoi ils ont eu du mal à expliquer, en fait c’est cool ! ». Nos chers amis les brand managers étaient en sueur tout le long [de la campagne] on va pas se mentir, mais c’est parce qu’on voulait cette découverte.

C’est un cheminement qui est important pour la découverte du jeu ?

Je suis vraiment mauvais élève là-dessus, mais je déteste les trailers, je déteste qu’on me gâche une œuvre. Quand je vais au cinéma et qu’il y a les bandes-annonces qui passent j’essaye de lancer une conversation. Donc on a eu tous ces débats pour comprendre comment est-ce qu’on peut intriguer sans révéler. La petite épiphanie qui est [la compréhension du système de Deathloop] est très importante parce que c’est aussi le cheminement émotionnel du personnage principal.

Il est lui aussi dans une situation complètement alambiquée et qui découvre petit à petit les règles de cette île, de ce monde, et qui au bout d’un moment prend sa confiance et affronte l’adversité. Caler l’expérience du joueur sur celle du protagoniste c’était important et ça n’aurait pas été possible sans un petit peu de confusion au démarrage. Que le public ait suivi ce cheminement c’est extrêmement gratifiant.

Les pégases récompensent principalement des studios et jeux vidéo français. Vous à Arkane, vous avez une équipe plutôt cosmopolite et développez des jeux à portée internationale du fait que vous apparteniez à Bethesda. Diriez-vous que Deathloop c’est quand même un produit de savoir-faire français ?

C’est quelque chose qui va dans le sens de ce que j’ai dit dans mon discours sur la diversité, pour moi, on n’en perd pas son identité parce qu’on se mélange, au contraire on s’enrichit. Deathloop est-ce que c’est un jeu qui n’aurait pu être fait qu’en France ? Je ne sais pas, mais fait par ces gens-là, oui. L’équipe narration était composée quasiment que d’anglophones, avec Pawel qui est polonais, et les autres Américains, etc. C’est une grande richesse, après nous on amène une façon de faire, des intentions.

Donc la diversité est primordiale selon vous ?

Je vais même aller jusqu’à dire que ce qui est important c’est qu’il y a du savoir-faire, des gens qui savent faire des jeux vidéo d’où qu’ils viennent et où qu’ils aillent quand ils s’en vont. On est fier d’attirer ces talents-là, qui viennent d’un petit peu partout. D’autant plus qu’on appartient à un groupe américain, cette fois-ci on avait une collaboration avec PlayStation, et malgré tout ça on garde notre identité et on l’enrichit.

Si je peux me permettre, à côté dans la vraie vie, je donne des cours de Capoeira aussi, et il y a une des phrases qu’on dit qui est : il faut être comme le caméléon, être capable de changer de couleur mais de garder son essence.

La question de la fin : s’il y avait une catégorie à créer aux Pégases, qu’est-ce que vous aimeriez que ce soit ?

J’aimerais qu’il y ait une catégorie liée à la technologie. C’est très bien de récompenser la partie « émergée de l’iceberg », la direction artistique, le gameplay, etc. Mais c’est impossible sans technologie, sinon ça resterait des croquis et des notes. Alors je comprends que ça ne soit pas si simple que ça à mettre en place, il faut des gens qui soient capables de faire cette évaluation technique.

Évidemment, on ne met pas notre code source à disposition de tout le monde pour que des experts aillent le regarder. Mais, par exemple, il y a des studios indés qui avec très peu de moyens arrivent à faire des choses incroyables. On a vu The Forgotten City qui a été récompensé [meilleur jeu vidéo étranger] et qui est un jeu que je trouve incroyable sous tous points de vue. Nous on est un petit peu plus gros mais on fait notre moteur maison, donc on a pas mal de programmeurs et d’ingénieurs qui se retrouvent rarement nominés dans ce genre de choses et qui le mériteraient.

🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Mode