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New Glenn : mais à quoi joue Blue Origin ?

L’entreprise de Jeff Bezos peine à avancer, alors qu’elle était censée s’imposer comme un acteur majeur de la nouvelle course à l’espace. Pourtant, ses représentants ont enchaîné les pronostics très ambitieux ces dernières semaines, et semblent convaincus que leur nouvelle fusée New Glenn va enfin décoller en 2024.

2024 promet d’être un grand cru pour l’aérospatiale. Ariane 6 semble enfin sur la bonne voie pour réaliser son vol inaugural l’année prochaine, le Centaur Vulcan d’ULA devrait décoller pour la première fois en janvier, et SpaceX va certainement pouvoir accélérer sur le développement de son énorme Starship. Et si l’on se fie aux déclarations de Blue Origin rapportées par Ars Technica, même l’entreprise de Jeff Bezos pourrait passer à la vitesse supérieure avec New Glenn, qui commençait à sortir du collimateur des experts après des années de difficultés techniques.

Au départ, Blue Origin était censé s’imposer comme un concurrent sérieux pour SpaceX et les autres cadors de l’aérospatiale américaine. Mais 23 ans après sa naissance, force est de constater que l’entreprise patine. À l’heure actuelle, ses plus grands succès tournent encore autour de New Shepard — un véhicule suborbital aux capacités limitées qui tient plus du gadget que du véritable lanceur opérationnel. À l’exception d’un vol particulièrement médiatisé qui a notamment embarqué Jeff Bezos lui-même pour un vol de tourisme aux portes de l’espace, le bilan de l’entreprise reste extrêmement limité. Surtout lorsqu’on le compare à celui de SpaceX, qui enchaîne les records à un rythme affolant.

Une fusée très attendue qui se fait désirer

Dans ce contexte, tout le monde attend impatiemment les grands débuts de New Glenn, le premier lanceur de Blue Origin qui sera capable d’atteindre l’orbite basse. On peut notamment citer la NASA qui compte beaucoup sur le futur fer de lance de l’entreprise. L’agence spatiale américaine compte s’en servir pour déployer du matériel sur Mars dans le cadre de la mission ESCAPADE, qui doit déployer un vaisseau contenant deux petits engins volants en orbite terrestre basse. Ils se dirigeront ensuite vers la Planète rouge afin d’étudier son atmosphère.

Amazon, la maison-mère de Blue Origin, compte aussi énormément sur le véhicule. C’est avec cet engin qu’elle veut déployer sa constellation Kuiper. Cette dernière est censée concurrencer l’offre Starlink de SpaceX, mais Amazon en est encore à des années-lumière pour le moment. La firme d’Elon Musk enchaîne les tirs un rythme affolant avec son indéboulonnable Falcon 9, pendant que Blue Origin n’a toujours pas réussi à atteindre l’orbite.

Mais voilà : plus de dix ans après le début de la phase de conception, qui a démarré en 2012, ce véhicule brille encore par son absence. Le vol inaugural devait enfin avoir lieu en 2020, mais il a finalement été repoussé à 2021, puis à 2022, et enfin à 2024. Or, à l’heure actuelle, le public n’a toujours rien eu à se mettre sous la dent. Aucune présentation des éléments de la fusée, aucun assemblage, aucun test de mise à feu statique… Autant dire que cette date semble toujours plus symbolique qu’autre chose, vu le passif de l’entreprise.

L’état-major de Blue Origin plus confiant que jamais

Et pourtant, les troupes de Blue Origin sont en train de se lancer dans une offensive particulièrement agressive en termes de communication. Depuis peu, les représentants de l’entreprise affichent ouvertement leur confiance — une dynamique qui tranche avec la relative discrétion dont ils ont fait preuve ces dernières années.

Cela a commencé mardi dernier avec une conférence qui s’est tenue à Orlando, aux États-Unis. Devant un parterre d’investisseurs et de hauts dignitaires, Lars Hoffman, vice-président des relations avec le gouvernement, a déclaré que sa firme était désormais « prête à passer à la vitesse supérieure ». « Nous commencerons à lancer New Glenn l’année prochaine », a-t-il martelé selon Ars Technica.

Il a notamment insisté sur le fait que la deadline des grands débuts de New Glenn, fixée à la fin de l’année prochaine, n’avait plus bougé depuis plus d’un an. Un signe plutôt encourageant, sachant que jusqu’à présent, Blue Origin a eu toutes les peines du monde à coller à son propre calendrier.

Plus concrètement, on observe aussi quelques progrès au niveau de l’infrastructure au sol, un autre élément crucial de tout programme spatial. Blue Origin est en train d’étendre ses installations de construction et d’assemblage et de test près du légendaire Kennedy Space Center de la NASA. Selon Hoffman, cela permettra notamment à l’entreprise d’augmenter la cadence des tests de ses moteurs, et en particulier de ses fameux moteurs methalox BE-4.

Une annonce tout sauf anodine, sachant que le développement de ce dernier a aussi été particulièrement tumultueux. La conception a pris beaucoup plus de temps que prévu, et les tests préliminaires ont été entachés de quelques couacs mémorables. On se rappelle notamment de l’explosion survenue lors d’un test à la fin du mois de juin. Toutes ces déconvenues ont joué un rôle non négligeable dans les retards de New Glenn.

Les formules employées par Hoffman suggèrent que cet élément crucial du futur lanceur est enfin prêt, ou presque. Mais l’entreprise reste toujours aussi discrète sur les détails techniques du processus. Pour en avoir le cœur net, il faudra donc attendre le mois de janvier, date du premier vol de la toute nouvelle fusée Vulcan Centaur d’ULA. Cette dernière est également équipée de ce moteur. Si ce baptême de l’air se déroule sans problème, il s’agira sans conteste d’un signe très encourageant pour la suite des opérations de Blue Origin… mais mieux vaut ne pas mettre la charrue avant les bœufs.

Le dernier temps fort de l’allocution d’Hoffman concernait la question de la récupération. Pour rappel, New Glenn est conçu pour être un lanceur partiellement réutilisable, au même titre que le Falcon 9 de SpaceX. Mais si tout le monde cherche à se conformer à ce nouveau paradigme, c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. À l’heure actuelle, l’entreprise de Musk est la seule à avoir intégré la récupération partielle des lanceurs à sa routine opérationnelle. Et la plupart des concurrents qui travaillent sur des technologies similaires rencontrent des difficultés techniques majeures. Pourtant, Hoffman a affirmé sans trembler du menton que Blue Origin comptait bien récupérer le booster de New Glenn… dès le tout premier vol de la fusée.

Pour couronner le tout, même le grand manitou en personne s’est joint à cette nouvelle campagne de communication très agressive. Dans le dernier épisode du célèbre podcast de Lex Friedman, Jeff Bezos a passé plus d’une demi-heure à vanter les mérites de New Glenn et à assurer que son entreprise allait mettre un sérieux coup d’accélérateur pour finaliser le lanceur le plus vite possible.

Vrais progrès ou nouvel écran de fumée ?

Vous l’aurez compris : Blue Origin affiche un degré de confiance très important en ce moment. Certes, c’est plus encourageant que le quasi-silence radio auquel nous avions été habitués ces dernières années. Mais on ne peut s’empêcher d’être extrêmement dubitatif par rapport à la capacité de l’entreprise à joindre les actes à la parole.

Pour résumer, Blue Origin compte lancer une fusée de calibre moyen-lourd du premier coup, avec deux engins scientifiques importants à son bord, et même récupérer le booster dès le premier vol — le tout dans moins d’un an. Pas besoin d’être un expert de l’aérospatiale pour comprendre qu’il s’agit d’un programme extrêmement ambitieux. Surtout quand on sait qu’une fusée New Glenn entièrement assemblée ne s’est toujours pas dressée sur le pas de tir et qu’aucun test de mise à feu intégré n’a été réalisé à ce jour.

Pour référence, environ neuf mois se sont écoulés entre le premier assemblage complet du Falcon 9 de SpaceX sur le pas de tir et son premier vol réussi. Mais l’entreprise d’Elon Musk dispose de ressources nettement plus importantes. Et à ce stade, elle avait déjà validé plusieurs étapes cruciales que Blue Origin n’a même pas commencé à aborder, comme les tests intégrés des différents étages du lanceur.

Même constat pour la récupération du booster. Il a fallu plus de deux ans à SpaceX pour récupérer son premier booster entre les premières tentatives de 2013 et le premier succès en décembre 2015.

Dans ce contexte, la confiance énorme de Blue Origin est pour le moins étonnante. Certes, il n’est pas exclu que l’entreprise de Bezos ait fait de gros progrès en coulisses. Mais avant d’avoir vu un lanceur New Glenn entièrement assemblé sur le pas de tir, il sera assez difficile d’accorder beaucoup de crédit à ces pronostics incroyablement ambitieux, pour ne pas dire totalement irréalistes.

Ces annonces ont certainement pour objectif de faire bonne figure auprès des investisseurs, partenaires et clients. Mais dans l’immédiat, elles risquent plutôt d’avoir l’effet inverse. Elles renforcent l’idée que Blue Origin a eu les yeux plus gros que le ventre, et qu’un vent de panique commence à souffler sur une entreprise dont les deadlines approchent à grands pas alors que les résultats ne suivent pas.

Il conviendra donc de suivre très attentivement les progrès de Blue Origin sur les prochains mois. Qui sait ; peut-être que l’enthousiasme récent de l’entreprise est justifié, et qu’elle nous fera mentir en enchaînant les démonstrations très impressionnantes. Les paris sont ouverts. Nous vous donnons donc rendez-vous l’année prochaine pour voir si l’écurie du fondateur d’Amazon arrivera à atteindre ses objectifs, ou si elle va continuer d’accumuler un retard toujours plus important par rapport aux chefs de file du New Space.

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