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La sextech a-t-elle sa place hors des sexshops ?

La sextech investit tous les marchés, et s’impose surtout là où on s’y attend le moins.

En décembre 2022, l’enseigne discount Hema surprend son public en inaugurant une gamme de sextoys à bas prix. Imaginés en collaboration avec le fabricant EasyToys, ces jouets vendus entre 13 et 40€ n’avaient, a priori, rien à faire au milieu des carnets fantaisie et des décorations de Noël. Pourtant, la recette fonctionne : en moins de 48 heures, le site de la marque est en rupture de stock.

L’initiative fait parler d’elle, mais elle n’est en fait pas inédite. Depuis quelques années déjà, les enseignes Monoprix et Sephora ont, elles aussi, cédé à l’appel de la sextech. Entre les lubrifiants et les stimulateurs clitoridiens, les produits dédiés à la santé sexuelle peuvent rapporter gros : tous secteurs confondus, le marché représentait plus de 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2022. Selon une étude menée par le magazine Forbes, la sextech devrait peser plus de 122 milliards de dollars d’ici la fin de l’année 2024. La pandémie a largement questionné l’importance de la santé mentale et sexuelle, au point que les sextoys semblent désormais légitimes à trôner dans les rayons de certaines grandes surfaces.

Sextech sextoys Hema
© Amandine Jonniaux / JDG

La sextech fait sa pub : un marché comme les autres ?

Le sexe a depuis longtemps investi tous les pans de notre société. Pour vendre une voiture, des compléments alimentaires ou même un déodorant, il suffit d’appâter les consommateurs et consommatrices en leur faisant miroiter des corps fermes, désirables et désirants, souvent par le prisme du male gaze. Les attributs dits féminins notamment, font régulièrement l’objet d’une érotisation affichée à la vue de toutes et tous.

Pourtant, dès que cet érotisme est abordé frontalement, et qu’il est question de plaisir, le discours change. Il aura fallu attendre 2022 pour voir les marques de sextoys s’afficher timidement dans l’espace public. D’abord à New York, puis en France. Dans le métro parisien, les loveshops Passage du désir sont les premiers à dévoiler l’été dernier leur campagne Love Unlimited. Sans jamais montrer ni mentionner le moindre jouet sexuel, le fondateur de la marque Patrick Pruvot entend différencier une bonne fois pour toutes l’érotisme de la pornographie aux yeux du grand public : “Ce sont deux choses qui n’ont rien à voir. Notre objectif, c’est de faire changer les regards sur ces produits à destination des couples. Ce sont des objets normaux pour des gens normaux”.

Passage du désir campagne de publicité métro sextech
© Passage du Désir

Les enseignes semblent se passer le mot : au même moment, la marque allemande Amorélie débute elle aussi une campagne dans les souterrains de la capitale. Cette fois, les jouets érotiques sont présents sur les affiches, mais sont volontairement floutés. Plutôt que de parler de censure, Patrick Pruvot préfère évoquer le bon sens et la bienséance : “On ne va pas mettre des godemichets en plein métro, alors que des enfants pourraient les voir. C’est normal qu’il y ait des restrictions”.

Seul le géant suédois Lelo réussit à obtenir la validation de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) pour afficher frontalement ses jouets érotiques. Il faut dire que la marque est justement connue pour ses designs épurés et ses formes abstraites : même à la vue de tous, impossible de rapprocher un Sila 2 Cruise de sa fonction masturbatoire. Cette autorisation — une première en France — reste le fruit d’un travail de longue haleine, rappelle Amandine Ranson, Manager France de la marque : en refusant de cacher leur produit, Lelo entend “suggérer la masturbation féminine de manière élégante”, mais surtout remettre les sextoys au cœur du sujet.

Il faut dire que sur le plan légal, il n’existe pas de réelle interdiction autour des sextoys dans la publicité. L’alcool et les images explicites ou suggestives sont interdits, mais quid des jouets dont la forme, la couleur et le contexte ne permettent pas d’identifier leur fonction ? La demande est présente côté grand public, et les marques doivent désormais rivaliser d’imagination pour promouvoir leurs produits, sans offenser le regard de certains passants.

Pour contourner la censure et s’imposer auprès d’un public pas encore totalement acquis à sa cause, la sextech ne se contente plus de mettre en avant le plaisir procuré par les sextoys. Ces derniers s’accompagnent désormais d’un écosystème complet, allant du lubrifiant aux lingettes intimes, en passant par les huiles de massage et les préservatifs. Une nouvelle approche logique, analyse Cécile Gasnault, directrice de marque pour l’entreprise Smile Makers : “Quand on a une approche de la stimulation qui est uniquement centrée sur la zone génitale, ça n’embrasse pas du tout ce qu’est réellement la sexualité. C’est très limitant de se concentrer uniquement sur les organes sexuels, et ça participe à cette vision étriquée que le sexe a encore dans la société”.

Sextech sextoys smile makers
© Amandine Jonniaux / JDG

Cette approche plus globale du marché de la sexualité n’est pas seulement philanthrope : le secteur a beau avoir explosé ces dernières années, l’hypocrisie qui l’entoure reste palpable. Les jouets et autres produits de développement intime font vendre, mais les entrepreneurs et entrepreneuses de la sextech peinent encore à obtenir le financement de leurs projets. Parmi les exemples les plus médiatisés, on peut notamment citer la marque Lora Di Carlo, qui en 2019 se voit récompensée, puis bannie du CES de Las Vegas pour avoir présenté Osé, un stimulateur clitoridien jugé “immoral, obscène, indécent, profane”. Le coup médiatique profite à l’entreprise américaine, qui s’offre le soutien de l’actrice Cara Delevingne et une résonance mondiale. Reste qu’au début de l’année 2023, Lora Di Carlo finit par mettre la clé sous la porte, et disparaît de la circulation.

Des sextoys dans les supermarchés

Hema n’est pas la première enseigne à oser sortir les jouets sexuels de leur environnement naturel. Il y a deux décennies déjà, la créatrice de mode Sonia Rykiel vendait son iconique canard vibrant au sous-sol de sa boutique du boulevard Saint-Germain. Au début des années 2010, c’est le fabricant Smile Makers qui fait le choix délibéré de bouder les sexshops pour se concentrer uniquement sur les réseaux de distribution grand public. Une décision “extrêmement compliquée” la première année, confesse Cécile Gasnault : “On a eu énormément de résistance. En 2012, les marques qu’on contactait ne comprenaient même pas pourquoi on leur parlait à elles plutôt qu’à des sexshops”.

Corner Monoprix x Passage du désir
© Passage du Désir / Monoprix

À force de discussions et de pédagogie, les positions évoluent. Monoprix est l’une des premières enseignes à accepter de vendre des produits de la marque en France à partir de 2015. La chaîne de supermarchés urbaine ne s’arrêtera d’ailleurs pas là, puisque dans la foulée, elle équipe plusieurs de ses magasins de corners Passage du Désir. En 2021, c’est Sephora qui passe le cap. La rumeur enflait déjà depuis quelques années, le géant de la beauté intègre finalement Smile Makers à son rayon bien-être, dix ans après les premières négociations entre les deux entreprises. Les mentalités ont évolué, et les sextoys deviennent des produits (presque) comme les autres.

Smile Makers chez Sephora
© Journal du Geek

Smile Makers n’est pas la seule marque à vouloir s’imposer sur le marché grand public. Depuis 2022, la marque française MyLubie se retrouve aussi chez Monoprix, aux Galeries Lafayettes et même sur le store en ligne de Blissim (ex-Birchbox), qui compte désormais un rayon dédié au plaisir féminin. Même le géant de la grande distribution Carrefour s’y met, en signant un partenariat avec Dorcel pour commercialiser sur son site des sextoys et autres produits intimes.

Les marques de luxe n’échappent d’ailleurs pas au phénomène. Lelo projette aussi de s’implanter sur les circuits de distribution grand public. “Il y a un intérêt financier évidemment, mais c’est surtout une façon de démocratiser la libération sexuelle derrière”, analyse Amandine Ranson.

Faut-il abandonner les sexshops ?

L’arrivée des sextoys dans les enseignes grand public n’a pas fait que déplacer l’industrie des jouets pour adultes, elle l’a aussi transformée. Exit les formes explicites, la sextech arbore désormais des lignes épurées, des designs abstraits et des couleurs pastel. Difficile de dire si la grande distribution est la raison ou la conséquence de ce changement sémantique. Dans tous les cas, il était temps que le marché s’intéresse à la sexualité non pénétrative et au plaisir clitoridien, en rappelant à toutes et à tous que posséder un sextoy n’a rien d’anormal.

Le design participe aussi à la normalisation de nos produits”, rappelle Cécile Gasnault. “On voulait des objets que les gens soient à l’aise de laisser sur leur table de chevet ou dans leur salle de bain, comme un produit de tous les jours. C’est personnel et intime, ça ne veut pas dire qu’on doit raconter les détails de sa vie sexuelle à tout le monde, mais il n’y a pas de raison à en faire quelque chose de stigmatisant”.

Sextoy HEMA
© HEMA

Séparer les sextoys de leur héritage pornographique n’est pourtant pas une initiative nouvelle. La naissance du lovestore Passage du Désir en 2009 avait déjà amorcé la tendance, mais force est de constater que la santé et le bien-être sexuels connaissent un nouvel élan depuis le début de la pandémie… quitte parfois à confiner à l’injonction, en oubliant le plaisir pur se concentrer sur une approche holistique, et fatalement plus sérieuse du sexe. “C’est un sujet joyeux”, tempère Cécile Gasnault, “On n’est pas obligé d’en faire quelque chose de super sérieux ou stressant. Les sextoys, ce sont surtout un moyen vers une fin. Des outils qu’on peut utiliser ou non pour rendre sa vie sexuelle plus excitante, mieux se connaître, s’explorer… Mais ils ne sont pas obligatoires”.

Si les grandes surfaces ont tout intérêt à vendre des produits de bien-être sexuel, les sexshops n’ont a priori rien à craindre de l’ouverture du marché, analyse Patrick Pruvot : “Les gens viennent chez nous parce qu’ils vont avoir plus de choix, et surtout du conseil. On vend des produits de plus en plus technologiques et souvent chers, c’est normal que les clients et les clientes aient envie de discuter avec nos vendeurs”.

En réalité, l’arrivée de la sextech dans la grande distribution est salutaire pour tout le monde. Côté clients, il est désormais possible de trouver des objets de bien-être intimes sans avoir à passer la porte d’un sexshop. “C’est un signe évident de démocratisation, et c’est une bonne chose”, assure Patrick Pruvot. Toutefois, les loveshops ont encore de beaux jours devant eux. À l’heure où le prix de certains sextoys dépasse les 250€, les clients réclament de plus en plus les conseils d’un conseiller de vente spécialisé. Plutôt que de les voir comme des concurrents, il faut plutôt penser les sexshops et la grande distribution comme deux offres complémentaires, toutes les deux dédiées à la normalisation du bien-être sexuel, et c’est finalement le principal.

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2 commentaires
  1. Je m’amuse déjà et j’imagine attendre au SAV et de tomber sur quelqu’un devant moi expliquer que son jouet ne marche pas comme il faut…

    Il y a 15 jours j’étais chez Etam avec ma compagne, et devant moi une gamine d’à peine 14 ans avec sa mère en train de passer à la caisse avec au moins 25 articles pour la gamine et pas les plus sages… J’ai laissé un espace plus grand j’étais gêné. J’effectuais un retour produit pendant que ma compagne en essayait d’autres.

    Je deviens vieux, je pense

  2. Que les sextoys investissent le marché grand public est plutôt une bonne nouvelle. Cela signifie qu’on sort du plaisir tabou. En revanche, la mauvaise qualité des plastiques, des batteries et des chargeurs de certaines marques devrait inquiéter les consommateurs.
    Mais peut-être est-on encore trop dans la gêne sur ces sujets pour appeler à une écosexualité grand public. Gageons que ce sera la prochaine étape à investir pour la sextech.

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