Encore plus que certains autres arts, le jeu vidéo est un excellent support pour raconter des histoires aussi originales que saisissantes. Certains développeurs en ont profité pour créer des univers radicalement opposés aux paradis de pixels bon enfants de franchises comme Pokémon. En voici quatre exemples particulièrement percutants.
Papers, Please
Lucas Pope n’a pas son pareil pour trouver des manières originales de raconter des histoires. L’un de ses deux titres phares, Papers, Please, en est un excellent exemple. Il place le joueur dans la peau d’un agent d’immigration à Arstotzka, un état totalitaire fictif partiellement inspiré par l’Allemagne de l’Est d’après-guerre.
L’objectif est simple : bien installé à son poste-frontière, le joueur doit faire le tri dans la longue file de personnes qui souhaitent entrer en Artstotzka sur la base des documents qu’ils présentent. Au niveau le plus superficiel, Papers, Please est donc une sorte de puzzle game administratif où l’on passe le plus clair de notre temps à vérifier la validité des pièces d’identité, permis et autres justificatifs pour déterminer qui aura le droit de franchir cette sinistre frontière. Rien de bien excitant à première vue.
Mais cette monotonie apparente est en fait la clé de voûte de la mise en scène diablement ingénieuse concoctée par Lucas Pope. Chaque document est une petite histoire de vie ; guerre, séparation, détresse, espoir et désillusions… Dialogue après dialogue, tampon après tampon, on voit se dessiner les contours d’une saisissante fresque sociale et politique sur l’autoritarisme qui explore des thèmes forts comme l’oppression, la résistance, ses dilemmes moraux et ses désillusions, ou encore les conséquences d’une bureaucratie toute-puissante et dépourvue d’humanité.
Le jeu a même fait l’objet d’une adaptation en court-métrage particulièrement réussie, glaçante et très bien jouée. Nous vous recommandons chaudement d’y consacrer une dizaine de minutes ; et si le résultat vous inspire, vous serez sans doute captivé par le jeu dont le film est inspiré.
Cerise sur le gâteau, il est souvent vendu pour une bouchée de pain lors des soldes Steam.
Beholder
Philosophiquement parlant, Beholder est l’un des plus proches parents de Papers, Please. Comme ce dernier, ce titre développé par Alawar Stargaze se situe dans un monde sinistre. Mais le décor est très différent, au lieu d’occuper un poste-frontière, le joueur est mis dans la peau du gérant d’un complexe d’appartements géré par un état autoritaire qui lui demande constamment de l’informer sur les moindres faits et gestes des locataires.
Cette idée originale est aussi un formidable vecteur de storytelling. Chaque séquence est truffée d’ambiguïté morale, et notre agent double malgré lui est constamment mis face à des décisions difficiles qui poussent à remettre en question tous les fondements des valeurs humaines. Faut-il privilégier une loyauté sans faille à cet état tout-puissant, quitte à jeter en pâture quelques pauvres hères qui ne demandaient qu’à vivre décemment dans cet enfer où toute notion de vie privée a disparu ? Faut-il absolument faire ce qui est juste, quitte à s’attirer les foudres de l’état ? Ou faut-il raisonner stratégiquement pour jouer sur les deux fronts à la fois, en prenant le risque d’en faire subir les conséquences à sa propre famille ? Au fil de l’intrigue, la ligne entre le bien et le mal se brouille de plus en plus, et ce flou artistique et éthique permanent fait de Beholder une expérience assez mémorable.
Orwell
Encore plus que Beholder, Orwell est un jeu entièrement centré sur l’information et la vie privée qui fait honneur à l’illustre auteur de 1984. Placé dans un univers plus moderne, le joueur incarne une version contemporaine du fameux Big Brother omniprésent dans l’œuvre du grand manitou de la fiction dystopique : un agent de surveillance gouvernemental chargé d’éplucher les réseaux sociaux, les fichiers et les conversations personnelles des citoyens en utilisant des outils informatiques sophistiqués.
Le cœur du gameplay réside dans le fait de décider lesquelles de ces informations intimes, souvent ambiguës, devront être exploitées par l’appareil d’état… et lesquelles feraient mieux de rester dans le domaine du privé.
On se retrouve donc avec un titre à mi-chemin entre le puzzle game et le jeu d’investigation qui met parfois le sens de la moralité du joueur à rude épreuve. Mais ce qui rend Orwell si intéressant, c’est qu’il explore des thématiques beaucoup plus modernes et concrètes pour les joueurs d’aujourd’hui, comme la fragmentation du concept de vie privée à l’époque des réseaux sociaux. Si vous souffrez d’une addiction caractérisée à ces plateformes, Orwell pourrait bien faire partie des remèdes qui vous aideront à en guérir !
We Happy Few
Là où Orwell est explicitement inspiré par 1984, We Happy Few va plutôt piocher dans l’œuvre d’Aldous Huxley. Comme dans Le meilleur des mondes, où la population est rendue docile à l’aide d’une drogue appelée soma, l’univers concocté par Compulsion Games repose sur une substance nommée Joy qui anesthésie les citoyens en les emprisonnant dans un état de béatitude débilitant.
Cette dernière sert de fil directeur à une intrigue captivante. Comme dans les trois titres au-dessus, le joueur doit constamment naviguer dans un océan de contradictions dérangeantes, d’humour noir et de dilemmes inconfortables sur fond de délire hallucinatoire. En termes de gameplay pur, le jeu souffre de quelques lacunes assez claires, surtout par rapport aux chefs-d’œuvre de cohérence que sont Papers, Please et Beholder. Mais il s’agit tout de même d’une expérience mémorable qui vaut largement le détour, à condition de l’acheter lors d’une promotion.
🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.