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J’ai vendu mon âme en bitcoins : On a parlé arnaque, crime et bitcoin avec Jake Adelstein

Retour en 2014. Le bitcoin est surtout connu des criminels technophiles, d’une brochette de libertariens et de quelques internautes passionnées d’informatique. Le frenchy Mark Karpélès est de cette dernière catégorie. À cette époque, Mt.Gox, le site japonais dont il a la gestion, est la première plateforme mondiale d’échange de la monnaie virtuelle (alors qu’il était dédié à l’origine au jeu de cartes Magic : The Gathering).

Et soudain, en moins de temps qu’il n’en faut pour le réaliser, 850 000 bitcoins, d’une valeur totale de 500 millions de dollars, disparaissent dans la nature. Est-ce un vol ? Une erreur interne ? Mark Karpélès est-il coupable ? Et surtout, où est passé l’argent ?

Ces questions, Jake Adelstein s’est penché dessus pour tenter d’y apporter des réponses. Journaliste américain vivant au Japon depuis une trentaine d’années, et véritable spécialiste des affaires criminelles et du système judiciaire de l’archipel nippone, Jake Adelstein s’est déjà illustré par le passé en dressant un portrait cru et sans détour du microcosme des yakuzas avec Tokyo Vice (2016) et Le dernier des yakuzas (2017).

Cette fois, c’est son enquête sur l’affaire Karpélès-Mt.Gox qu’il nous invite à découvrir dans un nouvel ouvrage coécrit avec Nathalie Stucky: J’ai vendu mon âme en bitcoins. Véritable plongée dans le monde de la monnaie virtuelle, ce livre de true crime montre que les promesses apportées par le bitcoin se sont rapidement confrontées à la froide réalité, et que les premières victimes ont été ceux qui y ont cru. J’ai vendu mon âme en bitcoin dépeint une galerie de protagonistes digne d’un film des frères Coen, avec son doux rêveur amoureux des bitcoins incapable de gérer correctement la manne financière que représente la monnaie virtuelle, un mathématicien qui fait progresser l’enquête plus rapidement que les autorités, et des agents du FBI qui profitent de l’affaire pour arrondir leur fin de mois.

Et au milieu de tout ça, un journaliste qui essaye de comprendre qui est coupable et où diable se sont envolés les bitcoins ? Une histoire à la narration bien ficelée, parfois drôle, et surtout prenante sur une monnaie virtuelle qui apparaît comme une chimère pour beaucoup, et qui s’est transformée en cauchemar pour certains. Et le meilleur pour nous en parler, c’est encore Jake Adelstein.

Jake Adelstein – Crédit : Michael Lionstar

JDG : Quand vous avez démarré votre enquête, vous n’y connaissiez rien au bitcoin, pourquoi ce sujet en particulier ?

Jake : L’enquête débute en 2014, j’écrivais pour le Daily Beast à l’époque, je m’occupais de couvrir à peu près tout ce qu’il se passait au Japon. Et peu de temps avant l’annonce de la banqueroute de Mt. Gox, j’apprends que l’équivalent d’un demi-milliard de dollars a disparu. Je me souviens m’être fait la réflexion : “500 millions de dollars, c’est quand même une p*tain de somme“.

Du coup pour en apprendre plus, j’ai demandé à mes amis et l’un d’entre eux ma dit : “Ah ouais, il y a une rencontre à Shibuya (Tokyo) à propos du Bitcoin. Et de fil en aiguille, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit que tout se passait à Mt. Gox et qu’il faisait partie de l’équipe qui essayait de sauver l’entreprise de la faillite. Il était assez dégoûté que l’affaire ait fuité.

L’intérêt de cette affaire est qu’elle reste dans mon domaine de compétence, la criminalité, mais qu’elle diffère par sa nature : un hold-up virtuel.

JDG : Au début de l’affaire, comment les Japonais percevaient le Bitcoin ? Et les banques japonaises ?

Jake : À l’époque, les Japonais n’en avaient clairement rien à f*utre du Bitcoin. Pour vous donner une idée, dans les victimes de la disparition des Bitcoins de Mt.Gox, seules 5 à 10% d’entre elles sont japonaises. Personne n’avait entendu parler du Bitcoin, tout ça c’était l’affaire des étrangers.

Quant aux banques du pays, elles ne voulaient surtout pas mettre le nez là-dedans. Le pire, c’est que Mark Karpélès a approché plusieurs fois la Financial Service Agency (le régulateur financier du pays) et ils ont plus ou moins répondu que ce qu’il faisait ne relevait pas de leur juridiction, ni domaine de compétence, et qu’il pouvait faire comme il l’entendait.

JDG : C’est toujours le cas ?

Jake : Non, je pense que le Japon veut devenir la capitale asiatique de la cryptomonnaie. Alors que son économie est en déclin, le pays s’est rendu compte que les cryptomonnaies étaient quelque chose d’important et qu’il fallait absolument résoudre le problème posé par Mt.Gox et arrêter quelqu’un. Dans l’unique but de montrer que le gouvernement prenait la question du Bitcoin et de la cybercriminalité très au sérieux, que le pays était capable de tout contrôler et qu’il était donc sûr d’investir dans la cryptomonnaie au Japon.

L’actuel gouvernement de Shinzo Abe voit le Bitcoin comme une bonne chose pour le Japon, un moyen de faire rentrer de l’argent dans les caisses. Il faut dire que 30 % des échanges de Bitcoin se font en yens. Il n’y a pas encore si longtemps, des Japonais devenaient riches grâce au Bitcoin. Pour attirer de nouveaux investisseurs, du sang neuf dans le milieu des affaires, être un pays qui est parvenu à contrôler et réguler la cryptomonnaie est pour eux le meilleur moyen.

J’ai vendu mon âme en bitcoins, aux éditions Marchialy

JDG : J’ai vendu mon âme en Bitcoin dresse également un portrait au vitriole du système judiciaire japonais.

Jake : L’ironie, c’est que dans les jours qui précédaient l’impression du livre, l’arrestation de Carlos Gohn a eu lieu. J’ai appelé mon éditeur pour lui dire : ‘il faut qu’on en parle dans le livre’. C’est important car cela illustre parfaitement les défauts du système judiciaire japonais.

Gardez à l’esprit que le but original de cette enquête est de savoir qui avait volé les Bitcoins et de les récupérer. L’enquête des autorités japonaises est un échec total. Ils n’ont pas déterminé qui avait commis le vol, et le but de l’enquête a été complètement oublié. La SEULE raison pour laquelle Mark Karpélès a été arrêté trois fois de suite, c’est pour lui arracher des aveux. Il a été puni pour des motifs qui n’auraient même pas valu une arrestation à un PDG japonais. Les charges retenues contre lui sont bancales et aucune d’elles ne concerne les Bitcoins volés.

Dans un système judiciaire différent, je pense que cette affaire ne serait jamais allée au tribunal. Même aux États-Unis.

JDG : Au plus fort de Mt.Gox Mark Karpelès affirmait contrôler près de 80% des échanges mondiaux de bitcoin. Quelle est désormais sa relation avec cette cryptomonnaie ?

Jake : Il en a terminé. Il estime que la communauté autour du Bitcoin s’est complètement effondrée. Que les idéalistes du début ont laissé leur place aux personnes avides de bénéfices. Le but original du Bitcoin, qui consistait à permettre aux gens de faire facilement des transactions sans aucune ingérence des banques ou des gouvernements, a disparu. Attention, il n’est pas libertarien. Mais il ne voit aucun futur dans le bitcoin. Cela ne l’intéresse plus.

JDG : Malgré la chute de Mt.Gox, qui était le plus gros site d’échange du Bitcoin, la disparition de Silkroad et la hausse puis l’effondrement de la valeur du Bitcoin fin 2017, pensez-vous que les cryptomonnaies aient de l’avenir ?

Jake : Je pense honnêtement que le bitcoin a un futur. La monnaie a acquis en quelque sorte ses lettres de noblesse, elle est particulièrement bien conçue. En revanche, j’estime que les choses vont se compliquer lorsque les 21 millions de bitcoins seront en circulation (le nombre maximal d’unités pouvant être émises dans le monde) et que plus personne ne minera. Car je vois mal comment maintenir la sécurité de la monnaie sans toute la puissance informatique qui s’assure que la blockchain est intacte. Et je pense que personne ne sait ce qui va se passer à ce moment-là.

JDG : Pensez-vous que d’importantes multinationales comme les GAFA vont produire leur propre cryptomonnaie ?

Jake : C’est indéniable qu’ils vont essayer. Le problème, c’est que la confiance des citoyens envers ces éventuelles monnaies sera proportionnelle à celles qu’ils allouent aux multinationales. Le Bitcoin n’est pas une entreprise. Il n’y pas une instance dirigeante derrière. Aucune tête à faire tomber pour dévaluer la monnaie. Je pense que les gens ne veulent pas que la cryptomonnaie soit gérée par une unique personne, une entreprise ou un gouvernement. C’est là tout le charme du Bitcoin, il est au-delà des gouvernements.

J’ai vendu mon âme en bitcoins, Jake Adelstein (éditions Marchialy)

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3 commentaires
  1. “À l’époque, les Japonnais n’en avait clairement rien à f*utre du Bitcoin. Pour vous donnez une idée”

    Deux fautes à corriger s’il vous plait. “Japonais”, “vous donner”.

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