Dire qu’un film traitant des attentats terroristes des Jeux Olympiques de 1972 au cinéma est inédit serait mensonger, le plus connu étant le Munich de Steven Spielberg (2005). Mais l’angle choisi par 5 Septembre a le mérite d’être original et de valoir le coup d’œil, puisqu’il s’attarde cette fois sur le point de vue d’une chaîne de télévision, prise dans la déferlante provoquée par la prise d’otages d’athlètes israéliens, en plein JO, par des membres de l’organisation terroriste palestinienne “Septembre Noir”. Le film ne s’attarde pas sur les victimes ni sur les motivations des preneurs d’otage, il se cantonne exclusivement à une plongée en immersion auprès des journalistes mobilisés par l’événement.
Présente à quelques mètres du village olympique, la chaîne américaine ABC (plus exactement le département sportif, ABC Sports) décide de bousculer sa programmation, consacrée au suivi des épreuves de boxe et d’athlétisme, pour couvrir la tragédie en direct live, devant une audience record. On parle de centaines de millions de téléspectateurs, plus précisément de plus d’1 milliard à avoir eu les yeux rivés sur leur écran de téléviseur. Une première historique et malheureuse, qui bousculera le monde des médias, “notamment en termes d’infrastructure de diffusion”, comme l’a glissé à nos confrères de l’AFP le réalisateur suisse Tim Fehlbaum, à qui on doit les films La Colonie et Hell. Un angle choisi qui aura forcément un écho particulier pour nous en France, avec un renvoi évident à la prise d’otages, Porte de Vincennes, du magasin Hyper Cacher le 9 janvier 2015 et à la couverture médiatique qui s’en était suivi.
Un film authentique, fort, immersif
Pour comprendre les enjeux de 5 Septembre, il faut saluer le travail de reconstitution historique fait par Fehlbaum et ses équipes. L’ambiance, le grain de l’image, les décors, les moyens techniques utilisés (caméras utilisant des pellicules 16 mm, téléphones sur ligne fixe, bricolage perpétuel pour monter et diffuser des journaux) : un gros travail de recherche a été effectué pour le film et de nombreuses images d’archives d’ABC ont été utilisés, afin de nous plonger au maximum dans les années 70 et dans les conditions de l’époque. Même chose pour le contexte.
Au moment des JO de Munich 1972, l’Allemagne continue son opération séduction à l’international. Le pays veut faire de ses Jeux Olympiques un moment de rassemblement, de rédemption et un message de paix. L’événement est tout aussi retentissant que l’Allemagne se donne les moyens pour, avec le suivi des épreuves, retransmises pour la première fois de l’histoire en direct à la télévision. La chaîne américaine ABC se concentre sur la compétition, avec une répartition classique pour un média de ce type : une équipe de jour et une autre de nuit.
Congratulations to #September5Movie on receiving an Academy Award nomination for Best Original Screenplay! #Oscars pic.twitter.com/CuS8QIjWfg
— Paramount Pictures (@ParamountPics) January 23, 2025
C’est à travers cette dernière que l’on va vivre la couverture de la prise d’otages, notamment par le biais d’un jeune producteur plein d’ambition et désireux de prouver sa valeur auprès de sa hiérarchie, Geoffrey Mason. John Magaro est brillant dans ce rôle du journaliste, totalement dépassé par les événements et obligé de composer avec ses émotions tout au long du conflit. Emotion, c’est d’ailleurs le maître mot du film, qui place les sentiments des journalistes et leur sens de la déontologie au coeur de l’intrigue. Durant 1h30, celle-ci est sur un rythme soutenu, à mi-chemin entre l’œuvre documentaire, le thriller psychologique et le huis clos. Si les reporters sont amenés à quitter la régie pour aller tourner des images, le spectateur, lui, ne quitte jamais le bâtiment servant de rédaction à ABC.
Une vraie critique des chaînes d’information en direct
Le film ne se contente pas de nous montrer les coulisses d’une chaîne d’information. 5 Septembre nous plonge directement au cœur des choix et des décisions que vont devoir prendre Geoffrey mais aussi sa hiérarchie, incarnée par le vétéran Roone Arledge et interprété par Peter Sarsgaard. Et des choix discutables, il y en a tout au long du film. Que faut-il montrer ? Pas montrer ? En cas d’erreurs, qui va-t-on blâmer ? Demander à des journalistes de se faire passer pour des athlètes pour aller récupérer des images ne pouvant être diffusées en direct, en les envoyant dans des endroits interdits donc dangereux, bousculer la grille des programmes et le créneau de la chaîne (la diffusion par satellite étant partagé à l’époque avec CBS), montrer le bâtiment de repli des terroristes, suivre l’avancée des policiers, au risque d’informer les preneurs d’otages… voilà autant de choix moraux, professionnels et humains que les équipes vont devoir trancher durant le film et que le spectateur devra juger, lui, seul sur son fauteuil.
#September5Movie is Certified Fresh with a 92% on @rottentomatoes. See the Academy Award-nominated film in select theatres now. Get tickets: https://t.co/ZoWJWIVs3T pic.twitter.com/dvDTG4SkVQ
— Paramount Pictures (@ParamountPics) February 1, 2025
C’est la qualité principale de 5 Septembre, celle de laisser au public la liberté de déterminer son sens de la moralité et de l’éthique, en prenant compte des moyens à disposition des équipes sur place (pas d’information en ligne, pas de réseaux sociaux), du contexte et du point de vue de chacun aussi, comme s’il était à la place des protagonistes. Entre Geoffrey qui subit la situation plus qu’il ne la gère parfois, son boss Roone qui pense à l’audience et à la primeur de l’info, Marvin (interprété par Ben Chaplin), qui ne cessera de remettre en cause les décisions prises au fur et à mesure des événements et d’en appeler à la conscience de tout le monde ou encore Marianne (jouée par Leonie Benesch), cette journaliste allemande forcément impliquée moralement, touchée et marquée par la tournure des choses sur place, libre à chacun de se positionner selon le point de vue qui lui correspond. Et de comprendre, ou pas, les erreurs commises par les uns et les autres. De quoi sérieusement nous faire réfléchir sur les limites de l’actualité en direct, de notre besoin de toujours tout voir et tout savoir et de l’autre côté, du souci autant économique qu’obsessionnel à vouloir toujours tout montrer et à être le premier à le faire, surtout. Le tout, sur fond de crise, actuelle, des médias dits traditionnels.
En attendant de connaître son sort dans la nuit du 3 mars prochain lors de la 97e cérémonie des Oscars, 5 Septembre est un film à découvrir, pour peu que l’aspect reconstitution historique vous intéresse et que la découverte (presque) sans filtre d’une rédaction puisse vous passionner. Vu le ton et les enjeux abordés, il serait vraiment dommage d’en faire l’impasse.
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