Il fut un temps où le développement d’un jeu vidéo était une discipline de pointe, réservée à une élite ultraspécialisée qui disposait de compétences de pointe dans un domaine inaccessible au commun des mortels. Cette époque est désormais révolue ; avec la mise à disposition de plateformes comme les moteurs Unreal Engine ou Unity et la prolifération des outils logiciels, n’importe quel geek peut apprendre à produire ses propres jeux.
Ce changement a déjà conduit à une grande transformation de l’industrie. Nous voyons aujourd’hui émerger de plus en plus de titres fabuleux produits par des studios indépendants aux moyens limités, parfois constitués d’une seule personne. Et cette démocratisation du médium va sans aucun doute connaître une nouvelle phase d’accélération dans un futur très proche. Et c’est en grande partie grâce à l’arrivée de nouveaux outils basés sur l’IA.
Ces derniers mois, nous avons tous assisté à la montée en puissance de GPT, l’incroyable modèle de génération de langage d’OpenAI qui alimente notamment ChatGPT. GPT-4, la dernière version en date, a déjà bluffé déjà tous les observateurs alors qu’elle est sortie il y a quelques jours à peine.
Si GPT-4 est si puissant, c’est en grande partie à cause de son approche multimodale. Le modèle n’est plus limité au texte ; il est désormais capable d’extraire des données de différents supports, qu’il s’agisse d’image, de son ou même de vidéos.
L’IA et les développeurs sont faits pour s’entendre
Cette particularité fait exploser le nombre d’applications théoriques dans des tas de domaines. Et c’est particulièrement vrai dans le cas des jeux vidéo. Depuis quelques mois, des développeurs avant-gardistes tentent donc d’intégrer ces nouveaux outils aux moteurs existants. Et on commence déjà à voir émerger quelques exemples incroyablement prometteurs.
Pour s’en rendre compte, il suffit de se la Marketplace d’Unreal et de l’Asset Store d’Unity. Ce sont deux plateformes où les développeurs, amateurs ou professionnels, peuvent acheter des outils et des assets (modèles 3D, textures, snippets de code…) afin de les intégrer à leurs jeux. Cette approche est notamment très utile pour les indépendants. Ces derniers ne disposent pas toujours du temps ou des compétences requises pour développer eux-mêmes tous les aspects de leur jeu à partir de rien.
Ces derniers temps, de nombreux outils centrés autour de GPT ont commencé à apparaître sur les deux sites. Cela a commencé par des intégrations assez brutes de décoffrage. On peut citer cet asset pour Unity ou celui-ci à destination d’Unreal Engine. Les plug-ins en question proposaient à l’utilisateur de renseigner les détails de son compte ChatGPT pour pouvoir l’utiliser directement au sein du moteur.
Après quelques semaines d’expérimentation avec l’API, nous voyons émerger des propositions de plus en plus intéressantes. Sur l’Asset Store d’Unity, des plug-ins dopés à l’IA (comme celui-ci) permettent désormais de générer directement des éléments de lore, des quêtes ou même des dialogues entiers – et le tout pour une poignée d’euros.
Connaissant les performances du chatbot d’OpenAI, on vous laisse imaginer le potentiel immense de ces outils. Sur le papier, on peut tout à fait imaginer que cette approche permettra bientôt à des développeurs de générer une quantité virtuellement infinie de contenu original en deux temps, trois mouvements. Cette approche semble même carrément révolutionnaire dans le cas des jeux qui misent grandement sur la génération procédurale, comme les rogue-like.
Des tas de nouveaux outils montrent le bout de leur nez
Et il ne s’agit pas que de narration, mais aussi de game design à proprement parler. Par exemple, le développeur Keijiro a récemment publié AICommand. C’est un outil qui exploite à fond l’approche multimodale de GPT-4. Il permet de contrôler tous les aspects de l’éditeur Unity à l’aide d’une simple requête textuelle. On peut par exemple lui demander de générer une certaine quantité de modèles 3D, de leur attribuer des Components (des sortes d’add-ons qui permettent d’ajouter des fonctionnalités à un objet) taillés sur mesure, et ainsi de suite
https://twitter.com/rowancheung/status/1637509968021819392?t=GXK5PIe-2rvPDlggT1lZKA&s=31
On voit aussi apparaître des systèmes comparables du côté d’Unreal. Cette plateforme est basée sur des Blueprints, des add-ons assez similaires aux Components d’Unity. La principale différence, c’est qu’ils sont intégrés à un même système relativement standardisé… que ChatGPT est capable de comprendre.
Le développeur Pratik Suketu a directement exploité cette particularité. Il a imaginé un plugin capable de générer des Blueprints à la volée. Pas besoin de rédiger la moindre ligne de code ou de passer par l’éditeur visuel prévu à cet effet. Le système n’est pas encore mature pour l’instant. Mais une fois qu’il le sera, cela permettra à un développeur de générer facilement des systèmes de jeu puissants, flexibles, et extensibles à l’infini. Le tout avec un minimum de connaissances techniques.
https://twitter.com/pratiksuketu/status/1599893578591121408?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1599893578591121408%7Ctwgr%5E03b76c5a2ad197735e7e41301f139e33e8661656%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2F80.lv%2Farticles%2Fstep-by-step-instruction-on-unreal-s-blueprints-generated-with-chatgpt%2F
En d’autres termes, sur le papier, il est désormais possible de créer un jeu entier en utilisant uniquement des phrases en langage parlé, sans naviguer une seule fois dans les menus parfois complexes de ces outils. Une véritable petite révolution.
La cerise sur le gâteau, c’est que nous n’en sommes qu’au début du processus. Et plus il va avancer, plus nous nous rapprocherons de ce qui ressemble désormais à une vraie révolution du jeu vidéo. Et il ne s’agit pas d’une exagération. Encore plus que dans de nombreux autres domaines, la montée en puissance de l’IA va représenter un changement de paradigme phénoménal. C’est peut-être le plus gros tournant de cette industrie depuis l’émergence de la scène indépendante.
Une excellente nouvelle pour tout le monde
Il y a fort à parier que nous verrons d’abord émerger des tas d’embryons de pseudojeux à moitié cuits. Mais plus ces outils basés sur le machine learning vont gagner en maturité, plus il sera facile pour des tas de passionnés pleins d’idées de laisser libre cours à leur imagination. Et les conséquences de cette évolution seront perceptibles à tous les niveaux.
Pour commencer, cela ouvrira les portes du développement à tout un tas de personnes. Cela concerne notamment ceux qui n’avaient jamais osé se frotter à la partie technique. Les écrivains, les dessinateurs, ou même les simples rêveurs pas particulièrement doués pour l’expression artistique pourront donner corps à leurs idées avec une facilité déconcertante.
Et pour ceux qui maîtrisent déjà ces outils, l’IA pourrait représenter un gain de temps absolument énorme. De quoi permettre à un développeur solitaire d’abattre un travail considérable. De quoi boucler des projets qui, traditionnellement, auraient été beaucoup trop ambitieux pour un individu isolé. En substance, ces outils lèveront ainsi tous les obstacles à la créativité d’une cohorte d’indépendants pleins d’idées. Et on imagine déjà le nombre invraisemblable de pépites vidéoludiques qui pourraient apparaître ainsi.
Forcément, l’industrie est aussi concernée. Les petits studios feront partie des grands gagnants. Ils pourront se servir de l’IA pour avancer très vite sur des parties exceptionnellement chronophages, mais peu gratifiantes du développement. Cela pourrait permettre à des studios plutôt modestes de proposer des produits comparables à ceux des géants de l’industrie.
Et les titans qui produisent les jeux AAA les plus populaires, de leur côté, pourront aussi en bénéficier. En réduisant le temps — et par extension, le coût — du développement, ils pourront théoriquement se concentrer sur les éléments problématiques du pipeline de développement pour sortir des jeux toujours plus aboutis et spectaculaires.
Le début d’une nouvelle ère
Enfin – et c’est peut-être l’élément le plus important – l’arrivée de ces outils pourrait aussi conduire à une grande diversification du médium. Beaucoup considèrent que l’humanité pourrait défricher des tas de nouvelles pistes créatives en s’inspirant des productions de l’IA. Les ingénieurs de Carnegie Mellon nous en ont récemment apporté un exemple fabuleux avec FRIDA. Il s’agit d’un robot-peintre qui questionne la nature fondamentale de notre rapport à l’art.
Et les jeux vidéo ne font pas exception. Il est fort probable que l’IA inspire des concepts de gameplay, donnant ainsi naissance à de nouvelles niches vidéoludiques fascinantes.
Si vous avez toujours rêvé de produire votre propre jeu, mais que vous n’avez jamais osé vous frotter à cette discipline intimidante, réjouissez-vous. Ce n’est probablement plus qu’une question de temps avant que l’IA vous ouvre grand les portes de cette discipline ô combien fascinante et gratifiante. Rendez-vous dans quelques années pour un nouvel état des lieux de cette grande transition générationnelle; on imagine déjà les mises en abîmes incroyables que nous réserveront ces nouveaux jeux dopés à l’IA !
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