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Escape game : comment les maîtres du jeu jouent avec vous

Des escape game, nous en avons testé beaucoup ces derniers mois (Assassin’s Creed, Lost Asylum…). Mais nous avons voulu voir cette fois-ci ce que ces salles cachaient et inverser la perspective, en assistant à l’évasion d’une équipe du point de vue du maître du jeu. Pour cela, nous sommes allés chez Epsilon Escape, un escape game parisien pour observer une partie de l’extérieur.

[Cet article est le premier d’une série de trois sur le thème des escape games. Nous publierons le deuxième la semaine prochaine.]

« Évidemment, en cas d’urgence, vous pouvez appuyer sur le bouton de ce bloc vert. Ça ouvrira instantanément la porte, mais vous aurez évidemment perdu. Vous avez des questions ? Non ? Eh bien, on y va ! Mettez les bandeaux, je vous guide ! » Le discours que Caroline délivre à ce groupe de trois jeunes femmes est bien rôdé. Et pour cause, depuis février dernier, elle passe ses journées à enfermer dans des salles remplies d’énigmes des groupes de personnes qui ont payé pour ça. Dans le milieu encore naissant de l’escape game parisien, on appelle ça un « GM », pour « Game Master ». Une fois la porte refermée, Caroline part s’installer à son poste de travail et met son casque sur ses oreilles. Sur son écran, les flux vidéo de quatre caméras de sécurité disposées dans la salle dite du « Patient de la Chambre 8 » sont affichés et permettent de voir ou d’entendre tout ce qui se passe. D’un clic de souris, elle lance la partie et les filles ont désormais 70 minutes pour s’échapper.

Caroline, devant son poste de surveillance, surveille les joueurs.
Caroline, devant son poste de surveillance, surveille les joueurs.

Cette ancienne journaliste de 27 ans s’amuse de la situation. Les personnes dont elle a la charge sont les compagnes des trois hommes qu’elle avait enfermés le matin même. « Ils se sont relayés pour qu’il y ait toujours quelqu’un à la maison pour garder les enfants. Du coup, ils vont faire la course ! Les garçons sont sortis en 52 minutes ce matin. » La partie a commencé, le chronomètre tourne et les prisonnières que l’on peut voir s’affairer sur le moniteur remuent ciel et terre à la recherche d’indices.

Néanmoins, le rôle de Caroline ne se limite pas à surveiller ses ouailles et à vérifier qu’il ne leur arrive rien, elle est également dépositaire du divertissement des clients qu’elle enferme. Son rôle ? Faire en sorte que tout le monde s’échappe dans les temps et sans avoir eu le sentiment d’avoir été aidé. « On ne doit pas seulement faire en sorte qu’ils aient eu l’impression de résoudre les énigmes par eux-mêmes, on doit leur faire résoudre les énigmes par eux-mêmes. » Cette tâche représente un équilibre pas forcément évident à trouver. Tout en débloquant les équipes qui n’arriveraient pas à progresser, il faut également ménager l’illusion des joueurs, garder intact le sentiment d’être réellement enfermé dans la chambre d’un établissement psychiatrique.

Les indices : le couteau suisse du game master

Pour donner le petit coup de pouce parfois nécessaire à une équipe embourbée dans la myriade d’éléments qu’elle n’arrive pas à mettre en relation, le maître usera et abusera de son outil principal : le système d’indices. Quand il le juge utile, le maître du jeu peut insérer un petit texte qui s’affichera en produisant un bruit caractéristique sur un moniteur bien intégré au décor de la chambre. Pour savoir quel indice envoyer et quand l’envoyer, le game master omniscient doit à la fois ouvrir l’œil, mais également bien tendre l’oreille. « Le son est primordial pour un GM. Les écrans sont petits et on ne peut pas identifier avec précision le moindre morceau de papier qu’ils ont dans les mains. On doit pouvoir entendre ce qu’ils se disent pour savoir où ils en sont dans leur réflexion. J’ai entendu dire que certains GM n’avaient pas le son, ça doit être l’horreur ! » La rédaction de l’indice est évidemment un numéro d’équilibriste. Le maître du jeu doit réussir à aider les joueurs, à orienter leur raisonnement sans pour autant leur donner la réponse tout de suite. « Il n’y a rien de plus frustrant pour un joueur que de simplement recevoir la bonne réponse, même si on a du mal. Il ne faut pas donner un indice trop évident et garder à l’esprit qu’il doit trouver de lui-même. »

Quatre caméras de surveillance permettent au maître du jeu de suivre la progression des joueurs.
Quatre caméras de surveillance permettent au maître du jeu de suivre la progression des joueurs.

Les filles sont justement en train de se débatte avec une énigme. Elles viennent de finir de reconstituer un objet qui était démonté et ont compris qu’elles doivent maintenant le manipuler en 5 étapes, sans pour autant avoir saisi la bonne. Voyant que ça fait un moment qu’elles tâtonnent, Caroline décide de leur donner un petit coup de main avec un indice taillé sur mesure. « N’avez-vous rien en 5 exemplaires ? » L’indice est vague, mais suffisant pour débloquer la situation. L’équipe fait le lien avec d’autres objets à sa disposition et repart du bon pied. L’objet est utilisé convenablement, leur ouvrant du même coup l’accès à une nouvelle salle.

Caroline fera très attention à ne pas envoyer d’indice alors que les participantes sont en pleine phase de réflexion. Il vaut mieux attendre quelques secondes pour leur laisser le temps de finir ce qu’elles sont en train de faire et de les solliciter ensuite. « C’est un mal pour un bien. Ce sont quelques instants de perdus qui permettent, au final, un très gros temps de gagné par la suite. C’est important de préserver la dynamique d’une équipe. »

[nextpage title=”« Tu sais où est la pince monseigneur ? »”]

Les maîtres du jeu ont à disposition ce qu’ils appellent « La Bible ». Derrière l’appellation ironiquement religieuse se cache en réalité le script d’une partie classique du « Patient de la Chambre 8 ». Les différentes énigmes sont indiquées et les temps prévisionnels à différents points de passage calculés. Pendant deux semaines, Caroline s’est appliquée à noter les temps de passages de toutes les équipes qu’elle voyait défiler et en a extrait la partie moyenne, celle qu’elle et les autres maîtres du jeu utilisent pour estimer l’avance où le retard des candidats sur le programme.

Évidemment, ce n’est pas une science exacte et le facteur humain entre toujours plus ou moins en compte. « Il y une part théorique, mais il y a aussi une part de feeling. La bible nous dit quand et quoi dire, mais toutes les équipes ne fonctionnent pas de la même manière, explique Caroline. Certaines équipes vont avoir besoin d’une attention régulière pendant tout le jeu. D’autres auront simplement besoin d’un petit coup de pouce de temps à autre. On a même des équipes qui arrivent super rapidement à l’énigme finale en étant super organisées, et là, d’un seul coup, c’est la bérézina. »

Le debrief est une étape importante qui permet au game master de discuter des énigmes avec les joueurs.
Le debrief est une étape importante qui permet au game master de discuter des énigmes avec les joueurs.

Parfois, on en pince pour le cadenas

Deux parties ont lieu en parallèle pour « Le Patient de la Chambre 8 » qui existe en deux exemplaires dans l’établissement. Hadidja, 21 ans et 4 mois d’expérience, s’occupe d’une autre équipe qui semble avoir du mal à ouvrir un cadenas. L’ensemble des participants a pourtant correctement déduit le code secret. Sur l’écran, on peut voir tout le groupe autour d’un casier dont ils essayent désespérément d’ouvrir la porte.

« Tu leur as dit de bien aligner les chiffres avec les lignes ?, demande Caroline.
Oui, ça fait bientôt quinze minutes qu’ils sont dessus.
Bah si t’as pas le choix, prend une blouse et vas-y, hein ? »

Hadidja se lève alors, prend une blouse de psychiatre et se dirige vers la salle avant de se faire interpeller de nouveau par Caroline.

« Attends ! Tu sais où est la pince monseigneur ? » avant d’ajouter, « Ah bah oui. Si tu traites avec des cadenas, tu dois avoir une pince monseigneur. »

Heureusement, Hadidja n’aura pas à en venir à de telles radicalités : son équipe réussit enfin à ouvrir le cadenas récalcitrant. Ce n’est pas le cas ici, mais parfois, les maîtres du jeu n’ont pas le choix et sont obligés d’entrer dans la salle. Pour ménager l’illusion, la blouse de médecin est de mise. On pourra alors toujours prétexter l’aide d’un complice sous couverture, ou l’intervention distraite d’un pratiquant qui ne s’est pas rendu compte de la tentative d’évasion. Évidemment, s’il s’agit purement d’un problème technique, ce qui arrive, des minutes sont retirées du chronomètre pour compenser.

La photo post-évasion permet de repartir avec un souvenir.
La photo post-évasion permet de repartir avec un souvenir.

Pendant ce temps, les trois jeunes femmes viennent de résoudre la dernière énigme. La porte s’ouvre, Caroline arrête le chronomètre et se lève pour aller les accueillir. C’est l’heure du debrief : les filles et leur maître du jeu reviennent sur tout ce qui s’est passé dans cette petite salle. Pour les game master, cela fait entièrement partie de la prestation. « Tout le monde finit. Si une équipe ne réussit vraiment pas à sortir à temps, on termine la salle ensemble pour découvrir les énigmes manquantes. On ne va pas demander aux gens de revenir et de repayer pour découvrir la fin, ça n’a aucun sens. Après l’avoir vécue une fois, l’expérience d’une salle n’est pas renouvelable. »

Après la traditionnelle photo en blouse de médecin dans le hall de l’établissement, les filles s’en vont le sourire aux lèvres. Et pour cause, avec un temps de 51 minutes, elles auront battu d’une minute le temps de leurs compagnons.

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