Dune est-il Le Seigneur des Anneaux de sa génération ?

Après un début d’année particulièrement calme, pour ne pas dire décevant, Dune : Deuxième Partie débarque dans les salles obscures avec la ferme intention d’épicer le box-office mondial. La suite des aventures de Paul Atreides est bien partie pour surpasser les résultats du premier film, et peut-être même s’imposer comme la sortie de l’année. Denis Villeneuve semble avoir fait naître une licence au potentiel immense, marquer l’histoire de la science-fiction, mais pas seulement. Difficile de ne pas voir dans la démarche du réalisateur le reflet de ce qu’a fait Peter Jackson 23 ans plus tôt avec LOTR. Les deux cinéastes ont grandi avec les œuvres qu’ils voulaient adapter, un projet de longue haleine, un rêve ultime.

Jackson et Villeneuve, même combat

Denis Villeneuve et Peter Jackson partagent leur amour précoce pour les univers qu’ils ambitionneront de porter à l’écran des années plus tard. Dans le cas de Peter Jackson, c’est à 17 ans que la rencontre avec la Terre du Milieu se fait, par le biais du film d’animation de Ralph Bakshi. Aussitôt, Jackson entreprend de lire Le Seigneur des Anneaux et Le Hobbit. Il faudra néanmoins attendre plusieurs années après le début de sa carrière pour que germe l’idée d’une adaptation en prise de vues réelles. C’est peu de temps après Fantômes contre Fantômes avec Michael J.Fox en 1996 que Jackson débute son parcours du combattant, une bataille pour faire financer ce colossal projet alors qu’il ne compte encore aucune production de cette envergure dans sa filmographie. Il finira par concrétiser son rêve en 2001 avec la sortie du premier opus de la saga La Communauté de L’Anneau.

De son côté, Denis Villeneuve a aussi découvert Dune à l’adolescence. Lorsqu’il est arrivé à Los Angeles, après un début de carrière sur le sol canadien, le réalisateur n’a pas tardé à confier à qui voulait bien l’entendre que l’univers représentait son Eldorado. Néanmoins, à la différence de Peter Jackson, le processus de développement a été nettement moins compliqué. Legendary vient d’acquérir les droits, et la productrice Mary Parent appelle celui qui vient d’être consacré pour Premier Contact. En quelques rendez-vous, Denis Villeneuve a déjà une certaine réputation dans l’industrie, l’affaire est conclue et la machine se met en route. Avec des storyboards imaginés à l’adolescence en poche, et une impressionnante galerie d’acteurs, Villeneuve se consacre à ce que l’on peut aisément qualifier de travail d’une vie. Il est encore trop tôt pour savoir si cette adaptation définira le reste de sa carrière, son nom devrait toutefois résonner pendant longtemps.

Univers étendu et ambition démesurée

Si le parallèle avec Star Wars est assez évident, Dune se rapproche finalement plus du Seigneur des Anneaux dans les motifs et thématiques qu’il convoque. Au travers de l’histoire de son messie — la figure de l’élu se retrouve aussi bien dans la science-fiction que la fantasy — Frank Herbert interroge les rapports humains et la dangerosité des cultes de la personnalité. Si les dynamiques politiques sont plus littérales dans Dune, on retrouve les mêmes jeux de pouvoir entre les différents peuples de la Terre du Milieu… et le même mysticisme. C’est d’ailleurs la question que s’est posée Anne Besson, chercheuse et professeure en littérature générale et comparée dans les colonnes de Plus que de la SF. L’autrice — bien qu’elle admette qu’il est difficile d’évaluer l’influence qu’a eu Tolkien sur Herbert — retrouve les mêmes “conventions néo-médiévales de la fantasy”.

Denis Villeneuve traduit ce médiévalisme à sa manière, conjuguant une esthétique de science-fiction à des accessoires et costumes anachroniques. Comme Jackson a immortalisé la Nouvelle-Zélande, Villeneuve encapsule la Jordanie et les Émirats arabes unis pour faire naître son environnement fantasmé et rappelant largement les figures et mondes mythologiques.

Les deux réalisateurs livrent un travail d’orfèvre, ne lésinant pas sur les détails pour convaincre leurs spectateurs. Si ce sont les effets numériques et les maquillages qui marqueront la copie de Peter Jackson, c’est sans aucun doute le travail sonore que le public retiendra de Dune par Denis Villeneuve. Tandis que nombre de ses compères ont tendance à négliger cet aspect, le Québécois s’est assuré de construire une expérience sensorielle la plus complète possible : de la vibration des boucliers, aux battements des ailes de ses ornithoptères, en passant par le frappement des marteleurs. Ce qui caractérise les deux réalisateurs, c’est cet amour pour l’artisanat du septième art et l’ambition d’un “world-building” d’envergure.

Un travail pour la postérité ?

Avec trois milliards de dollars de recettes et pas moins de 17 Oscars, la saga de Peter Jackson a laissé son empreinte sur le cinéma à l’échelle mondiale. En plus de mettre la fantasy sur le devant de la scène, la sortie des aventures de Frodon Saquet signe une révolution technologique : celle de la motion capture et de la génération de batailles numériques dantesques. La production — particulièrement exigeante — peut se comparer à Jurassic Park et Avatar dans la manière qu’elle a eue d’être à l’avant-garde. De son côté, Dune ne jouit pas (encore) d’une telle réputation. Le réalisateur a lui-même confié que c’est le travail de Christopher Nolan sur Tenet avec l’IMAX qui avait inspiré son approche concernant le format du métrage.

En revanche, l’impact de Dune sur le monde du cinéma pourrait être plus systémique. Tandis que le public semble se désintéresser des blockbusters, Dune : Deuxième Partie signe le retour d’un engouement certain du public. Les spectateurs en parlent sur les réseaux sociaux, les éloges pleuvent et le succès commercial semble être l’horizon.

Si tel est le cas, sera aussi l’opportunité de prouver à Hollywood, et aux producteurs de plus en plus frileux que le risque paie. Le premier volet n’a pas été un carton plein, mais a largement contribué à faire naître un appétit du public pour une science-fiction ambitieuse et démesurée. L’on peut s’attendre à ce qu’une telle proposition ne tarde pas à avoir ses descendants, que de nouvelles mythologies investissent le grand écran. Comme Le Seigneur des Anneaux a fait naître Game of Thrones, Dune pourrait amorcer un tournant pour le genre et plus largement pour le blockbuster. En 2023, quelques propositions ont vogué dans le sillon de Dune, avec un budget moindre, mais une certaine générosité dans cette science de l’imaginaire. Si le box-office ne leur a pas rendu justice, l’on peut se réjouir de retrouver au cinéma certaines épopées comme The Creator ou Mars Express.

Dune partage avec Le Seigneur des Anneaux l’envie de faire du divertissement grand public exigeant, de confier les manettes à un faiseur d’image talentueux et de prendre un immense risque en le faisant. Le reste appartient à l’Histoire, c’est elle qui décidera de la postérité de Dune par Villeneuve.

🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.