L’intérêt pour les drôles d’objets qui gravitent dans notre champ de vision n’est pas récent. Déjà source de représentation du temps via le calendrier lunaire quelques milliers d’années avant J.C., la Lune a été au centre de l’attention de nombreux auteurs, de Francis Godwin avec L’Homme dans la Lune en 1638, jusqu’à Meliès et son Voyage dans la Lune de 1902, en passant par le célèbre conte Histoire comique des États et Empires de la Lune écrit par Cyrano de Bergerac en 1657.
Mars n’est pas en reste, même si elle a attendu avec une patience toute universelle le début de la SF au 19ème siècle pour faire son entrée, engrainée dans un intérêt soudain pour ses terres florissantes. C’est tout du moins ce que pense Percival Lowell, astronome -amateur- américain, par sa théorie de la présence de canaux artificiels à la surface de Mars. Inspirée en partie d’une mauvaise traduction des « canali » découverts par l’astronome et historien italien Giovanni Virginio Schiaparelli en 1877, qui sont passés de tranchées naturelles dans le sens original du terme à des constructions artificielles (channels) dans l’acceptation anglaise, l’idée de Lowell donne à Mars un côté habité. S’il y a intervention manuelle, il y a population intelligente et donc une vie avec laquelle il est possible d’interagir.
Quelques 20 années plus tard, cette vision sera mise à terre et achevée avec un coup de talon par ce bon vieux Aymar Eugène (sic) de La Baume Pluvinel, lui aussi astronome. Mais dans ce laps de temps, les recherches de Lowell ont marqué un certain H.G. Wells qui part de ce postulat pour imaginer une attaque de la Terre par une force d’invasion venue des rouges paysages martiens : La Guerre des Mondes. À bord de leurs tripodes, les martiens viennent tenter de mettre un petit coup de pression à l’humanité par la projection de fumées toxiques et la mise en place d’un grand plan d’aspiration du sang de tout ce qui marche sur deux jambes. Mais comme ces envahisseurs ne sont pas bien malins et peu renseignés sur la planète qu’ils veulent coloniser, ils meurent tous d’une bactérie terrienne. Ce qui n’arrête pas les échanges entre la Terre et Mars.
Quand y’en a Mars
Désormais planète de tous les possibles, Mars devient un nouvel appel à l’exotisme. Cette nouvelle zone à la fois proche et mystérieuse relègue les jungles profondes en arrière-plan. La fascination pour ces forêts denses très présentes dans la littérature de la fin du 19ème siècle se décale vers des civilisations fantasmées bien plus lointaines. C’est dans ce contexte d’aventures au long cours, que naît la série de romans du Cycle de Mars d’Edgar Rice Burroughs débuté en 1917, avec comme personnage principal, John Carter. Comme dans son autre saga littéraire Tarzan, l’auteur confronte son héros à un univers inconnu, dont il ne maîtrise aucune règle. Présentée comme une planète à la politique complexe et aux nombreux camps qui ont du mal à se supporter, Mars (ici nommée Barsoom par les locaux) devient plus « réelle » : de monde étrange et agressif, elle se mue en un parallèle de la société humaine, dans laquelle la projection est aisée pour le lecteur.
John Carter défriche ce terrain aride est en fait un terreau sur lequel l’imaginaire peut prendre racine. Une fertilité narrative qui va inspirer un bon paquet d’œuvres par la suite, ne serait-ce que Flash Gordon, Dune – dans le côté conflit entre « maisons » – ou encore Superman. Tout un ensemble de codes et de pistes naissent de ce rapport de fascination, assez candide, pour la planète rouge, qui vont évoluer vers une perception différente, au fur et à mesure des découvertes scientifiques. De 1924 à la fin des années 40, les différentes observations de Mars s’éloignent de plus en plus des espoirs de grandes civilisations, existantes ou disparues. Avec l’amélioration des outils de mesures et des télescopes, les masques tombent et la planète semble de moins en moins habitable.
[nextpage title=”Ça ne Mars plus”]
Le clou est enfoncé en 1926 par Walter S. Adams qui évoque l’immense carence en oxygène et en vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mars. C’est à dire qu’y habiter sans protection est un suicide. Une mauvaise nouvelle qui ne s’arrête pas là, car Gerard Kuiper détecte des doses bien trop élevées de dioxyde de carbone, ou gaz carbonique, qui se révèle mortel dans ces conditions. Bref, il ne doit pas y avoir grand monde pour cultiver ses jardinières. À l’orée des années 50, on ne rigole plus et même si l’auteur américain Ray Bradbury parle de contrées fertiles dans ses Chroniques Martiennes, il s’agit davantage d’une sorte d’observation à distance des problèmes de la Terre. Arthur C.Clarke, dans son The Sands of Mars (1951), suit quant à lui son époque. Il y est question de terraformation et de colonisation, via une prise de conscience forcée : Mars n’est pas vivable en l’état et il faut trouver une solution pour contourner ce problème grâce à l’inventivité humaine.
La planète est alors vue comme une possession, existant à travers l’unique point de vue de l’homme. Et rien ne va plus avec les résultats obtenus par les sondes Mariner 4, 6 et 7 entre 1964 et 1969 qui réduisent à néant tranquillou les espoirs d’une génération entière : températures ingérables, atmosphère trop ténue qui ne peut pas empêcher un bombardement régulier de météorites, foire aux rayonnements dangereux, l’imaginaire en prend un coup. L’écrivain Philip K.Dick passe alors par l’intermédiaire du rêve dans sa nouvelle Souvenirs à Vendre (Total Recall au cinéma). Il s’adapte aux nouvelles informations scientifiques et cette manière de voyager sur les terres martiennes n’implique pas une vie sur place réelle. Une époque où de nombreux auteurs laissent un peu tomber la terra plus vraiment incognita qu’est Mars pour projeter leurs histoires dans un ailleurs qui conserve encore son aura de mystère. Mais, malgré les sondes Vikings dont les données collectées sur le sol martien à la fin des années 70 sont sujettes à de longues discussions, le gouvernement américain décide de lancer un programme de missions habitées vers la planète en 1989, histoire – entre autres – de remettre un petit coup de pression à une Russie déjà empêtrée dans ses tourbillons politiques.
Marswalk
Un regain de confiance dans l’exploration martienne, alimenté par la multiplication des envois de robots sur Mars, que ce soit Pathfinder en 96, Nozomi en 98 ou les rovers MER en 2003 qui aboutissent à un déclic ; il y a de l’eau sous la surface. Le fait qu’elle soit gelée ou comme le soulignent certaines études peut-être encore liquide dans certaines conditions, fait briller les yeux des auteurs de SF et des cinéastes ancrés dans la pop-culture. Il n’est alors pas étonnant qu’en l’espace d’une année, entre 2000 et 2001, trois longs-métrages sortent en salle ; Mission to Mars de Brian de Palma (2000), Planète Rouge d’Antony Hoffman (2000) ainsi que Ghosts of Mars de John Carpenter (2001). Leur similarité ? Tous trois parlent de terraformation, d’adaptation de la planète à la vie, ainsi que d’une présence préalable d’autres « habitants ».
Ces films mixent dans une certaine ironie l’ensemble de l’évolution de la vision de Mars par la science et l’imaginaire : à la fois l’idée d’une civilisation martienne et celle de l’obligation de modifier une terre stérile pour la conquérir. Ce qui pourrait se voir comme une conclusion à cette avancée parallèle de la recherche et de la SF n’est toujours qu’une étape, au regard des récentes analyses de la sonde Phobos et de Curiosity (2011). Andy Weir le prouve dans son livre The Martian (2011), adapté par Ridley Scott en 2015 dans le film Seul Sur Mars, prise de conscience de la rigueur avec laquelle il faut considérer cette planète, qui reste une terre hostile, habitable que de manière partielle. Mars obtient un certain respect en tant que monde délicat, intransigeant et dangereux. Il devient une possibilité risquée davantage qu’un idéal.
La progression du rapport à cette planète rougeoyante dans la SF est dépendante en grande partie de l’impact dans la culture collective des avancées scientifiques. Elles orientent l’imaginaire vers des scénarios plus ou moins pessimistes, rengorgent des visions fantasmées par manque de données. Mais par sa présence dans la littérature depuis plus d’un siècle, dans le cinéma et la BD, elle est un objet lié à l’exploration, au dépassement des limites, de manière inconsciente. Elle est la planète qui a failli réussir, miroir parfait de notre rapport à la Terre. La SF s’arrêtera sans doute de rêver de Mars quand nous y aurons trouvé toute notre histoire.
🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.