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[Dossier] Est-ce que la montre connectée de luxe “Swiss Made” a un avenir ?

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il existe bien un lien entre l’horlogerie suisse et les montres connectées. Des manufactures (marques d’horlogerie créant leurs propres mouvements)…

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il existe bien un lien entre l’horlogerie suisse et les montres connectées. Des manufactures (marques d’horlogerie créant leurs propres mouvements) se sont penchées sur la question et en ont même sorti quelques modèles. Par exemple, Breitling possède dans son catalogue la Exospace B55, un nom qui en jette pour une montre de toute beauté affichée à un prix à en défriser Hitman : comptez 6270 euros la pièce. Un prix qui, s’il est très élevé, tient tout juste compte des coûts de recherche et de développement pour un seul modèle d’une seule marque. Comment résoudre ce problème ? En démocratisant un module connecté, facile à implanter dans un mouvement quartz, à l’image des mouvements ETA. Et c’est MMT qui s’y est collé. MMT pour Manufacture Modules Technologies, une société lancée par Peter Stas qui n’est autre que le père des marques Frédérique Constant et Alpina. Et c’est Monsieur Stas que nous avons pu interroger. Et on avait pas mal de question à lui poser, surtout après ce dossier sur l’intérêt des montres connectées.

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L’Exospace B55

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Forcément, le module a été rapidement intégré aux montres du groupe et risque bien de se démocratiser.

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Peter Stas, fondateur de MMT

Qu’est ce que MMT ?

MMT pour Manufacture Modules Technologies est une société créée il y a quelques années qui développe des modules et des applications destinées à l’horlogerie de luxe. La société n’a pas fait partie du rachat par Citizen. C’est désormais une société indépendante.

A qui MMT va t-elle livrer ses mouvements ?

MMT livre déjà ses mouvements à Mondaine, Movado, Frédérique Constant, Alpina et Ferragamo. Et nous sommes en discussion avec une autre marque. Donc oui, MMT délivrera ses modules mais aussi ses softwares à d’autres marques horlogères, mais également, à des marques wearable* dans le futur.

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*wearable signifie technologie portable. En fait, cela peut concerner à la fois des marques de montres dites “fashion”, mais également des marques de vêtements ou d’accessoires de mode. N’oublions pas qu’un module connecté n’a pas forcément besoin d’une montre et peut se retrouver dans un tas d’objets.

Le marché de l’horlogerie est-il en transition. Est-ce qu’il y a un passage de l’horlogerie traditionnelle vers l’horlogerie connectée ?

Notre vision est que les montres quartz deviendront dans le futur de plus en plus connectées. Elles sont actuellement dotées de plusieurs fonctions mais il leur manque l’aspect “intelligent”, le fameux coté “smartwatch”. Or, avec un coût minimal et l’insertion de divers capteurs, d’obtenir beaucoup de fonctionnalités en plus. Et l’objectif de MMT est justement de s’orienter vers ce marché.

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Pensez-vous qu’il y a réellement une attente de la montre connectée aujourd’hui, alors que selon une étude de Wristly (cabinet d’étude qui évalue les usages des smartwatches) réalisée sur 2400 utilisateurs d’Apple Watch, sur les 80 fois qu’ils regardent leur montre dans la journée, c’est 59% du temps pour savoir l’heure et seulement 40% pour lire un SMS ?

Le problème, c’est que l’Apple Watch et les montres sous Android Wear ont tous les défauts récurrents de la montre connectée : il faut les recharger tous les jours et au bout d’un moment les gens sont lassés de faire ça. Notre montre a une pile classique et même connectée elle tient 24 mois. On a même introduit un module avec 4 ans d’autonomie. La seconde chose qui est très importante : si la montre n’est qu’une duplication des fonctions du smartphone, elle n’est pas utile. L’écran est trop petit, il est difficile de lire quelque chose dessus et pas pratique à utiliser. Puis la plupart du temps, l’écran est noir.

Pour nous, une montre connectée se doit d’être jolie. Puisque c’est la raison pour laquelle une personne achète une montre. Et nous ajoutons des fonctionnalités en plus. Avec Apple c’est l’inverse. Ce sont les fonctions (pas très bien intégrées) dans un dessin qui n’est au final qu’une “black box”. Donc je pense que ce sont les raisons pour lesquelles la plupart des personnes utilisent surtout leurs Apple Watch pour lire l’heure. Puis ils en arrivent à laisser leur montre dans le tiroir au bout de 3 mois. Parce qu’au final l’écran est toujours noir et ce n’est plus le produit de beauté que se doit d’être une montre.

Notre vision est d’avoir un beau produit, avec un cadran galvanisé ou guilloché, de belles aiguilles, un produit avec l’ADN de la montre suisse, avec des fonctions en plus. Nous avons intégré des fonctions comme le suivi du sommeil, de l’activité, un accéléromètre. Mais nous avons d’autres idées en développement.

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La montre connectée doit suivre les évolutions matérielles et logicielles des smartphones qui évoluent plus rapidement que les montres connectées. Cela signifie que la montre devra évoluer en parallèle des smartphones auxquels elle sera reliée et ce, en tenant compte de tous les appareils. Du coup, est-ce que c’est intéressant pour vous, et rentable aussi, de créer un produit que la personne va pouvoir garder une dizaine d’années voire plus et donc peut-être (sûrement d’ailleurs) ne générer aucun achat supplémentaire avec un suivi régulier ?

Nous avons beaucoup pensé à ça. Première chose : nous avons développé une technologie avec des mises à jour OTA. Donc on peut ajouter de nouvelles fonctions simplement via une update du smartphone à la montre. Nous avons travaillé de façon à ce que le hardware n’ait pas besoin de changer et que le soft permette le suivi. Et s’il est nécessaire après peut-être 6 ans ou 8 ans, de changer la puce de la montre, nous avons fait, comme sur les montres mécaniques, un système modulaire qui permet de changer simplement la puce et les capteurs pour y ajouter un nouveau module et ainsi prolonger la vie de la montre de 10 ans par exemple.

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Quels sont vos désirs futurs pour MMT ?

Nous sommes déjà une société suisse indépendante avec une vision pour le soft et la high tech pour le domaine de l’horlogerie. Et aussi avec une stratégie de livrer cette technologie pas seulement à 1 ou 2 marques mais à plusieurs marques. Donc le désir futur est de devenir le fournisseur principal de modules connectés pour l’horlogerie mais également pour les “wearables” de luxe. Nous savons déjà une équipe de 12 personnes. Peut-être que ça va s’agrandir jusqu’à 100 personnes et, à la fin, aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers de modules produits et distribués chaque année. Nous en sommes déjà 70 000 et je pense que l’année prochaine nous devrions en être au double.

J’ai eu l’occasion de découvrir la Breitling Exospace 55 qui est proche de la solution que vous proposez. Peut-on imaginer MMT fournir Breitling dans un futur proche ?

Oui. Néanmoins, la montre de Breitling est particulière puisqu’elle possède beaucoup d’applications dédiées aux pilotes. Mais ça a été très cher pour eux de la développer. Surtout pour une seule montre. Mais ça, c’est une autre stratégie. Si une marque a les fonds pour développer ses propres modules, elle peut se dire : “Je développe et garde ça pour moi”. Mais nous avons cherché une autre approche car cela reste beaucoup d’investissement pour une seule marque. Le business de l’horlogerie a été de développer des mouvements ETA pour les diffuser aux autres marques. Or, du coté des modules connectés, cela n’a pas encore été fait car il faut avoir les ressources et les fonds pour développer les modules, les applications et le cloud. Mais il faut également de la créativité et surtout, pouvoir assurer un suivi sur le long terme. Et ça, seul MMT peut le proposer aujourd’hui.

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Vous serez en quelque sorte l’ETA de la montre connectée ?

Oui, je l’espère.

Merci Peter STAS pour toutes vos réponses et le temps que vous nous avez accordé.

[nextpage title=”Notre avis sur la question”]

Quelle conclusion tirer de tout ça ? D’abord, un avenir un peu moins sombre pour la montre connectée, mais également pour l’horlogerie suisse qui prend un sacré virage. Un canevas similaire à ceux du téléphone mobile et de la photographie, où de nouveaux acteurs ont émergé et apporté leur lot de fraîcheur, évinçant par la même occasion les “vieux de la vieille” restés un peu trop posés sur leurs lauriers. Mais tout ceci ne se fait pas par magie et en horlogerie aussi, un gros travail est à réaliser en amont, afin de créer une distance importante avec les autres et garder la tête de l’innovation.

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Le Valjoux 7750 dit “le tracteur” pour les vibrations qu’il procure lorsqu’il est actif vit-il ses dernières années ?

Toutefois, une inconnue rôde au-dessus de ce projet : la manufacture peut-elle gérer elle-même l’intégralité des développements ? En effet, MMT souhaite garder la main mise sur ses modules et les applications qui y sont liées. Il n’y a donc pas de distribution de SDK. Pour obtenir une application particulière, il faudra en faire la demande à la manufacture. Une demande évidemment payante. Autre élément important : MMT se réserve le droit de se lier ou non avec une marque. À la différence des mouvements classiques (quartz ou mécaniques) qui ne nécessitent pas d’accord particulier. Et je n’ai pas d’informations sur le cahier des charges qu’il faut remplir pour en bénéficier. Je tenterai d’ailleurs d’en savoir plus à ce sujet. J’intégrerai les éléments au test de la montre (oui, la Frédérique Constant). Car n’oublions pas une chose : ce qui a fait le succès de l’iPhone puis de l’iPad, c’est cette idée de faire participer le monde entier au développement d’applications et d’en récupérer 30%. Si la Pomme n’avait pas appliqué ce business model, on peut être certain que l’iPhone n’aurait jamais connu un tel succès et le Store autant d’applications en si peu de temps. Mais ce business model est-il applicable à un module de montre connectée ? C’est plus complexe, l’horlogerie (et particulièrement l’horlogerie suisse) étant très stricte en matière de conception.

Ce que j’en ai pensé

J’ai toujours considéré la montre connectée comme un objet high tech lambda. Le truc qui finit soit dans un tiroir soit sur Le Bon Coin. Il m’était impossible d’imaginer une entreprise se lancer dans la high tech tout en gardant cette notion du durabilité. Pourtant, quand on y réfléchit, un accessoire de mode comme une montre n’est pas un produit unique. On en a plusieurs qu’on alterne. Donc pour moi, qui avais quelques a priori, ce fut une excellente surprise que cette vision de MMT. Mais maintenant, il faut voir la concrétisation de tout ça. Le point positif, c’est que Peter Stas est aussi le co-créateur de Frédérique Constant. Une marque horlogère très jeune qui a réussi à se faire une petite place dans l’univers très fermé de l’horlogerie suisse. Il en connaît donc très bien l’univers et ses caractéristiques. Donc je suis confiant quant au futur de cette manufacture de la montre connectée. Mais j’attends tout de même de voir à l’usage ce que ça apporte. Donc vous l’avez deviné, un test de l’Horological Smartwatch de Frédérique Constant est prévu.

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J’ai d’ailleurs la montre en ma possession à l’heure où j’écris ces lignes. L’idée étant de voir si MMT est sur la bonne voie pour apporter un nouveau souffle à la montre connectée, ou si tout ceci n’est finalement que poudre de perlimpinpin.

À très vite donc pour le test d’une des premières smartwatches “swiss made” de luxe (puisque son prix est 995 euros TTC).

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