Astronomes, astrobiologistes, romanciers et scénaristes sont encore et toujours obsédés par la découverte d’une autre forme de vie, quelque part dans notre système solaire ou, sûrement, au-delà. La rencontrer est une chose. Interagir paisiblement avec elle en est une autre. Partons du postulat hypothétique que l’humanité soit finalement rentrée véritablement en contact avec une forme de vie extraterrestre intelligente et pacifique. Cette dernière nous a trouvé et nous a contacté. Ou, à l’inverse, l’humanité l’a découverte en explorant l’espace, directement ou à distance. Comment envisager une communication viable entre deux espèces qui se croisent pour la toute première fois ? Comment procéder quand il est impossible d’entamer la conversation par des moyens connus ? Autrement dit, est-il toujours possible de communiquer ? Si oui, quelles sont les limites de cette communication ?
Portrait de l’extraterrestre idéal
L’idéal pour dialoguer serait d’avoir affaire à une forme de vie similaire à la nôtre. De préférence, l’être en question serait doté de membres, d’yeux et encore mieux d’une capacité de communication verbale. Surtout, il faudrait qu’il possède un certain sens de l’empathie, l’expression d’émotions étayant la teneur du message transmis d’un individu à l’autre. « Les mots ne sont pas forcément importants, nous explique Olivier Adam, chercheur en bioacoustique et spécialiste du langage des cétacés. Parfois, il suffit juste de connaître le message transmis par une émotion, une intonation ou un rythme, comme chez les chiens, les dauphins ou les oiseaux ». Avoir affaire à un être doué d’émotions faciliterait donc la communication, même par des moyens farfelus. « Des robots ont bien été développés pour communiquer avec les abeilles, par le biais de la fameuse danse indiquant la position d’une source de nourriture », nous confie Frédéric Landragin, linguiste et auteur du livre « Comment parler à un alien ? Langage et linguistique dans la science-fiction » (éd. Le Bélial’, 2018). Ce dernier cite aussi des méthodes issues de films et romans de science-fiction comme « la communication par vibrations, par émission de lumières, de motifs colorés sur la peau, d’odeurs ou de phéromones ». L’idéal, néanmoins selon lui, reste de faire face à « d’autres nous-mêmes » : « quand la forme de vie est radicalement différente, les efforts ont des chances de rester vains ».
Le cas contraire le plus extrême n’est pas non plus souhaitable. En imaginant que l’extraterrestre soit capable de manier un vocabulaire composé de milliards de termes et de formuler des phrases de mille mots, nos techniques d’analyse actuelles seraient bien embarrassées pour trier et interpréter autant de données et de variations possibles. En somme, le meilleur des cas reste celui d’une forme de vie capable de nommer des choses simples et de les désigner clairement, à l’instar des heptapodes du film Premier Contact, les crevettes humanoïdes de District 9 ou d’E.T., l’extraterrestre du célèbre film éponyme de Steven Spielberg. L’important, déclare Frédéric Landragin, est que ce premier contact s’opère « dans les deux sens ». Autrement dit, l’humanité devrait consacrer autant d’énergie à apprendre le langage de son interlocuteur interstellaire qu’en mobilise E.T. pour dire « téléphone maison ». « Mettre au point une sorte de langage intermédiaire pourrait aussi constituer une voie à explorer », indique le chercheur en linguistique.
Techniques d’entretien avec un alien
Une fois que l’intérêt et la motivation de communiquer sont là, comment procéder ? Selon le spécialiste du langage des cétacés, les éventuels linguistes extraterrestres auraient à progresser suivant trois étapes. Premièrement, à l’aide de la plus grande diversité d’outils possibles, observer le plus longtemps et le plus exhaustivement possible le comportement, la vie quotidienne et les relations sociales de l’autre espèce. « L’objectif, explique Olivier Adam, est de faire le lien entre l’expression [dans son cas d’étude, le son émis par les cétacés] et les actions ». Si l’extraterrestre en est capable, il serait même possible, comme les linguistes de terrain, de baser cet apprentissage sur le système du pointage : désigner une chose d’un geste puis la nommer pour comprendre ce à quoi elle correspond dans la langue étrangère. Certains scientifiques proposent même de confier de très jeunes enfants aux visiteurs venus d’ailleurs. Leur plasticité cérébrale étant à son potentiel maximal, appréhender et incorporer une langue étrangère en grandissant leur serait plus facile. Une fois les premières données d’observation collectées, il est ensuite nécessaire de les mettre en œuvre pour « établir une réelle interaction », seule manière de vraiment « construire un vocabulaire ». A force de fréquenter les individus de l’autre espace, un processus d’habituation se forme jusqu’au développement d’un véritable système de traduction fiable. « En revanche, maîtriser la langue s’avère bien plus long, indique Frédéric Landragin. Ce n’est pas une impossibilité technologique qui nous empêche de communiquer convenablement avec des lions, des dauphins ou des termites, c’est plutôt un décalage culturel. »
La distance et le temps, ennemis de la communication ?
En effet, il est impossible de traduire complètement un langage sans connaître et comprendre la culture de l’autre, son histoire et le fonctionnement social de son espèce. « Certains mots, quand on les appréhende en dehors de toute considération culturelle, sont vidés de leur sens », remarque le linguiste. S’imprégner de la culture de l’alien en question nécessiterait en soi un temps immense : « une vie ou le temps le plus long », selon Olivier Adam. Ce dernier parle en connaissance de cause : le langage des cétacés reste encore un mystère très épais pour les chercheurs, en dehors des principales notions sur la chasse ou la reproduction. L’humanité peine encore à maîtriser pleinement certaines langues, même celles provenant de civilisations antiques d’individus appartenant pourtant à la même espèce qu’elle.
Le temps est en effet le principal ennemi de la communication avec cet alien hypothétique. Si la mise en contact se fait à distance, et non en face-à-face dans un même lieu défini, il faut aussi faire avec le temps des aller / retour des messages transmis par les interlocuteurs. Les experts du METI (pour « Messaging Extraterrestrial Intelligence »), un programme international issu du SETI (ou « Search for Extraterrestrial Intelligence »), estiment qu’après la réception d’un premier signal radio, constituant un premier contact, il faudrait au moins une cinquantaine d’années pour envoyer une réponse en dehors de notre système solaire et savoir s’il a été bien reçu. Plus l’interlocuteur est éloigné de la Terre et plus le dialogue sera lent et donc la communication difficile. Si un jour l’humanité devait faire face à de pareilles conditions de conversation, Olivier Adam préconise néanmoins de ne pas perdre espoir : « la génération suivante (de linguistes) ne partira jamais de zéro, les connaissances de leurs prédécesseurs leur seront transmises et un jour, il faut espérer qu’une génération ultérieure parvienne à dialoguer le plus parfaitement possible ».
En conclusion, pour qu’une communication pacifique avec une forme de vie extraterrestre intelligente se déroule sans accroc, il faudrait réunir les ingrédients suivants : un alien le plus proche possible de notre espèce, avec qui le dialogue peut se dérouler en face-à-face (et pas à distance) et qui accepte d’être étudié pacifiquement aussi longtemps qu’il le faudra pour apprendre véritablement son langage. Mais rappelle Florence Raulin-Cerceau du METI, « même si on trouve une vie extraterrestre bactérienne, cela serait un énorme pas pour la science ».
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