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Comment Sex Education a bouleversé son petit monde

Après quatre saisons de bons et loyaux services, Sex Education tire sa révérence sur Netflix. La série britannique va manquer au panorama audiovisuel, retour sur ce bijou d’écriture.

Netflix sonne la fin de la récré pour Sex Education. Depuis son lancement en 2019, la série britannique s’est imposée comme un monument du catalogue de la plateforme, de ceux que l’on regarde partir avec la larme à l’œil. Chaque génération a eu sa production évoluant dans un contexte scolaire — de Beverly Hills à Euphoria en passant par Les Frères Scott ou encore Skins — l’adolescence fascine les créateurs et scénaristes depuis des décennies. Au travers des aventures de leurs protagonistes, ces artisans peuvent aborder de nombreux sujets et thématiques, souvent liés aux relations amoureuses et plus spécifiquement la sexualité. Pourtant, aucune n’avait fait le pari d’en faire l’épicentre de son récit. Laurie Nunn, la créatrice de Sex Education, ambitionnait de révolutionner le monde du petit écran en osant enfin parler de la sexualité des adolescents à travers leur regard. Par sa capacité à se faire miroir d’une période cruciale dans le développement de l’Humain, tout en s’émancipant des poncifs du genre, Sex Ed est un objet rare.

Chronique intemporelle

L’esthétique de Sex Education est peu commune. Avec ses décors autant que ses costumes, la production britannique joue le décalage d’un récit contemporain et d’un contexte anachronique. En hommage aux comédies de John Hughs, comme The Breakfast Club, l’œuvre convoque des looks délicieusement rétro. Outre l’effervescence visuelle qu’un tel parti pris provoque, c’est surtout une occasion pour la série de parler de tous les ados et à tous les ados, et même à ceux qui ne le sont plus.

La narration embrasse d’ailleurs cette nostalgie évidente en convoquant des personnages à première vue archétypaux. La rebelle, le geek, la bimbo ou encore la brute épaisse, la recette Sex Education repose sur des ingrédients longtemps utilisés, mais y ajoute une certaine dose de piquant. Cette sensation réconfortante de retrouver un énième récit de lycée lui permet d’embarquer les spectateurs et spectatrices vers de nouvelles contrées, teintées de diversité et d’humour british. Dès ses premiers instants, la série réinvente ses personnages, les approfondis pour raconter ce qu’ils sont réellement. Ce sont bien souvent des adolescents pétris de complexes et de craintes qui ne font pas l’amour à la lumière d’une bougie ou sur une musique lascive. C’est généralement le chaos, drôle et bouleversant.

Viv dans la série Sex Education
Crédits : Netflix

Il s’agit aussi de représenter l’adolescence aux travers de personnages qui sont rarement invités au casting de telles séries, ou qui sont confrontés à des clichés qui ont la peau dure. En racontant le parcours d’Eric par exemple, un jeune homme gay qui évolue dans une famille d’origine nigériane et ghanéenne très croyante, la production Netflix mesure l’importance qu’à la représentation pour ses spectateurs. Son final, qui consiste à lui permettre d’embrasser à la fois ses croyances et son orientation sexuelle, reste d’ailleurs l’un des développements les plus émouvants que la série nous ait offerts.

Cette diversité ne s’arrête d’ailleurs pas au simple traitement des héros adolescents, la série s’attarde aussi sur les adultes qu’ils côtoient. De Jean Milburn au principal Groff, les parents aussi sont concernés. Avec beaucoup de finesse, le récit se veut fédérateur. Les générations peuvent se réunir pour briser les tabous et ouvrir le dialogue. Chacun peut voir à travers les yeux de l’autre.

Esprit rebelle

Si la série s’est depuis sa dernière saison un peu écartée de ce modèle, Sex Education est surtout le récit d’une rébellion des adolescents face à un système éducatif qui voudrait les écarter des questions de sexualité. En racontant les aventures de son adolescent thérapeute, la série confronte l’ancien monde au nouveau, celui d’une jeunesse qui veut s’émanciper des tabous face des adultes qui ont évolué dans un monde parasité par des non-dits. Si le propos est toujours bienveillant, les équipes en charge du projet n’ont pas hésité à devenir plus acides et vindicatives au fil du récit. En témoigne la scène de destruction d’une voiture à la fin de la saison 2.

Maeve et Aimee dans Sex Education
Crédits : Netflix

Après l’agression d’Aimee, dans un bus, les personnages féminins se réunissent pour expier leur rage envers une société qui continue de représenter un danger pour elles. Avec beaucoup d’émotion, la production immortalisait ce moment libérateur pour ses héroïnes. Plus tard, la production entérinera la volonté de ses étudiants de bénéficier d’une véritable éducation sexuelle, chose que la série a livré à ses spectateurs tout au long de son parcours sur le petit écran.

Orgie d’informations

L’aspect éducatif du programme est au cœur de sa démarche. Assez savamment, Sex Education utilise les patients d’Otis pour ratisser large sur le spectre de la sexualité et de l’anatomie. Alors que trois heures de cours d’éducation sexuelle sont au programme en France dans les collèges et lycées depuis le début des années 2000, seuls 15% des élèves bénéficient actuellement de ces séances. Il en va globalement de même pour le reste du monde. Et dans le cas où ces discussions ont lieu, elles sont souvent cantonnées à la biologie et les risques encourus comme la grossesse ou le IST. Le plaisir ou le bien-être n’ont pas leur place, chose à laquelle Sex Education tente de remédier.

Au fil des épisodes, on y parle de masturbation féminine et masculine, de consentement, d’IST ou encore des différentes orientations sexuelles, de celles qui s’écartent d’une conception hétéronormée. La série a d’ailleurs porté un regard assez nouveau sur l’asexualité et la pression que peuvent ressentir les individus face à une société qui les met à la marge. Toujours avec bienveillance, et avec la tendresse envers ses protagonistes comme moteur, Sex Education peint une aquarelle aux mille couleurs qui se veut la plus représentative possible du spectre amoureux.

Adam et Eric
Crédits : Netflix

La série a aussi mis en lumière des problématiques peu discutées comme le vaginisme, qui consiste en une contraction involontaire des muscles du plancher pelvien. Pour accompagner sa démarche, la série Netflix a noué des partenariats au fil du temps. En 2021, à l’occasion de la sortie de la saison 2, un livre baptisé Le Guide Ultime sans tabous sur le sexe était publié par Hachette Romans. Étoffé et inspiré du phénomène Netflix, il avait pour objectif de poursuivre le chemin parcouru par la série et ses héros en revenant sur les éléments cruciaux du récit.

Pour la saison 4, ultime salve d’épisodes, Netflix s’est associée au planning familial pour une étonnante campagne d’affichage. C’était l’occasion pour l’organisme français et la plateforme de mettre en avant les questions que se posent les adolescents et jeunes adultes sur leur sexualité. Sur Twitter, Le Planning Familial a d’ailleurs reconnu les bénéfices de telles propositions sérielles sur la jeunesse. “Selon nous, il est clair que la pop culture peut permettre d’aborder ces sujets avec justesse, en étant plus proche des problématiques de la jeunesse”. Le succès de Sex Education repose sans doute aussi sur sa participation active à “l’edutainment” des spectateurs. Concrètement, on estime que l’apprentissage est plus efficace lorsqu’il est prodigué par le biais du jeu ou dans ce cas du divertissement fictif.

Petite révolution

Mais l’impact de Sex Education sur le petit écran ne se résume pas seulement à l’enthousiasme du public ou la singularité de sa narration, la série a aussi été au cœur d’un véritable bouleversement de l’industrie culturelle. En octobre 2017, l’affaire Weinstein secoue Hollywood et plus largement le monde. À la découverte des témoignages de nombreuses actrices victimes du producteur, d’autres voix s’élèvent sur les réseaux sociaux avec le hashtag #Metoo. Face un tel phénomène de libération de la parole, l’industrie n’a d’autre choix que de prendre des mesures inédites pour protéger ses acteurs et actrices de potentiels abus ou situations dangereuses. C’est notamment le cas concernant les scènes de nudité ou de sexe, dont l’aspect délicat nécessite une attention particulièrement lors du tournage.

Un nouveau métier nait alors : celui de coordinateur ou coordinatrice d’intimité. Ces personnes, formées aux thématiques de la sexualité et du consentement, assurent le bon déroulement des tournages en fixant avec les acteurs, actrices et le réalisateur les limites et désirs de chacun. Le cinéaste expose le plus souvent son plan d’attaque auquel les comédiens sont invités à répondre. Le coordinateur, à la manière d’un chorégraphe, prépare chaque étape du processus et s’assure du bon déroulement des opérations. Parfois, il s’agit de trouver des parades pour éviter une nudité qui mettra les artistes dans l’inconfort ou au contraire s’assurer du réalisme de la scène.

Isaac dans Sex Education
Crédits : Netflix

Sex Education compte parmi les premières productions à avoir bénéficié d’une telle expertise. La coordinatrice d’intimité de la série — Ita O’Brien — a d’ailleurs ouvert la première formation dédiée à cette profession en Angleterre. Les comédiens se sont d’ailleurs souvent exprimés au sujet de l’importance qu’a eu cette approche sur leur expérience de tournage. C’est le cas de Aimee Lou Reed qui confiait :

“Je me suis reconnaissante et aussi un peu triste pour les gens qui n’ont pas pu en profiter. Même si les réalisateurs sont incroyables, ouverts et adorables, comme chacun de ceux sur Sex Education, c’est bien d’avoir un intermédiaire”.

D’ailleurs, l’utilisateur de coordinateurs d’intimité ne se limite désormais plus au seul petit écran. Le cinéma s’investit également de telles problématiques, certains films comme Le Dernier Duel avec Jodie Cormer ont d’ailleurs fait appel à Ita O’Brien devenue depuis une référence dans le domaine.

Pour toutes ces raisons, et d’autres encore, Sex Education part avec la conviction d’avoir marqué son époque. Reste à voir désormais si une digne successeure émergera sur les plateformes ou la télévision, le genre compte encore parmi les plus prolifiques. Pour l’heure, Netflix n’a pas annoncé la mise en chantier d’un spin-off, et c’est plutôt une bonne nouvelle.

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