Pour valider ses choix, de nombreuses possibilités s’offraient alors à nous. On pouvait sélectionner son choix directement sur l’écran de son smartphone (l’écran se divisant en deux grandes cases résumant les options du joueur), depuis sa smartwatch si on en a une, mais également grâce aux boutons + et – du cordon de ses écouteurs. Je vous avoue que c’est surtout ça qui avait piqué ma curiosité. Parce qu’au fond, si on n’a pas tous une smartwatch à 300 balles, on a tous ces fichus boutons rattachés à ses écouteurs. Cerise sur le gâteau, l’application vous laissait la possibilité de construire vous-même vos propres histoires et de les publier sur une plateforme dédiée.
C’est dans le brouhaha de la Paris Games Week de la même année que j’ai réellement pu essayer un « Audigame ». Pierre, toujours enthousiaste quant à son concept, me fait essayer une histoire dans laquelle j’incarne un personnage essayant de s’évader de la Bastille en plein 14 juillet 1789. Le tout est bien réalisé, les bruitages sont convaincants, le jeu d’acteur à la hauteur. Je me dis que si ça n’allait pas nécessairement toucher un public « gamer », ça pourrait en toucher un peu plus large. Le genre qui peut lire une œuvre en voiture grâce à un audio-livre. En discutant avec Pierre du public visé par son application, il m’explique que bientôt, il allait peut-être obtenir le soutien de TF1 pour son projet.
Pardon ? TF1 ? Depuis quand la première chaîne d’Europe soutient-elle ce genre d’initiative ? Dans les faits, à la fin de l’été 2015, le groupe TF1 a ouvert les candidatures pour un nouvel incubateur de start-up. L’idée est de faire converger les nouvelles technologies proposées par ces entreprises innovantes pour diversifier les activités du groupe tout en faisant écho avec son cœur de métier, les médias. En janvier 2016 les résultats tombent, Pierre et son équipe, connus maintenant sous le nom de Celestory, remportent la première place. Concrètement, cela signifie que le projet et son développement seront hébergés directement dans les locaux de la chaîne, à Boulogne-Billancourt. Une aubaine. Pierre m’a invité à venir de nouveau le voir, cette fois dans un grand bâtiment de verre, pour constater l’évolution du projet.
[nextpage title=”Je quitte un jeu, je retrouve un moteur”]
La question de la cible se pose alors de nouveau. Qui va bien pouvoir utiliser un tel outil ? Pour Pierre, la cible est le monde créatif professionnel hors jeu vidéo.
« Il y a des boîtes où les mecs savent faire de super films, ils savent faire de super dessins, ils savent faire des super musiques, ils ont des super comédiens… Mais ils ne passent pas le cap de l’interactivité, car ils ne savent pas faire de super jeux vidéo. Le but avec Celestory, c’est de leur proposer un truc super simple pour qu’ils franchissent le pas et qu’ils créent des histoires pour faire la promotion de leurs propres produits par exemple. »
Une stratégie visant un milieu professionnel qui est prêt à investir de l’argent pour un outil simplifié de création de jeu. Dans l’absolu, ce n’est pas complètement fou et à un degré un peu plus complexe, c’est un peu ce qu’essayent de faire des applications comme Construct 2 ou GameMaker en visant des développeurs indés isolés. Et qui dit outil professionnel dit également prix un peu plus élevé que la moyenne. Celestory se démarque des autres par le fait qu’on ne passe à la caisse qu’au moment de la compilation en application de son jeu. Ce qui implique une utilisation absolument gratuite du soft du début à la fin du processus de création. Quant au prix d’entrée, il est de 1 000 euros la création d’un seul jeu. Une somme qui peut paraître un peu élevée quand on connaît le prix des deux moteurs cités un peu plus haut, toutefois Pierre relativise en rappelant qu’il ne souhaite pas viser n’importe qui avec son utilitaire.
« Nos cibles ne sont pas les professionnels du jeu vidéo, c’est vrai, mais ça reste des professionnels. Ce sont des agences de communication, des boîtes de productions qui sont visées. C’est pour ça qu’on vise ce prix d’entrée un minimum élevé. Quand on gère une boîte, 1 000 euros, c’est un peu l’unité de base pour payer les frais variés. Et puis c’est aussi une manière pour nous de filtrer les projets qui seront faits avec le moteur. »
La notion de vitrine est importante pour Pierre qui a beaucoup de jolis projets sur le papier, mais qui veut avant tout donner envie aux éventuels acheteurs de se lancer dans l’aventure du jeu narratif. Il est donc important que Pierre et son équipe prennent les devants et crée rapidement un titre déclenchant l’enthousiasme et qui fasse connaître le nom de Celestory. De la même manière que Depression Quest a fait connaître Twine à son époque. L’avantage, c’est qu’il y a pire que TF1 pour mettre la main sur des comédiens, du matériel, des studios d’enregistrement, des techniciens et des conseils.
Un projet assez ambitieux sur Jules Verne est dans les tuyaux, mais ça, ce n’est que la phase deux du plan de Pierre. Avant cela, il souhaite rendre Celestory amusant et attractif grâce à un jeu qui parlera à tous. Et c’est là que McCoy & Guerrero entrent en jeu.
« On voulait faire un jeu marrant avec des flics des années 70 ripoux jusqu’à l’os. Tu te souviens de ce dessin animé, Funky Cops ? C’est un peu dans cet esprit-là, mais en un tout petit peu plus trash. »
L’extrait que me fait écouter Pierre est à la hauteur de ce que j’avais pu entendre avec Bastille. L’histoire loufoque parle de descente dans un restaurant de sushi parce qu’après tout, un restaurant de sushi, c’est forcément louche (parce que ce n’est pas américain, vous comprenez ?). Les choix binaires proposés tournent autour de la dichotomie « être un bon flic » ou « être un ripou », même si je dois bien reconnaître que le premier choix auquel j’ai dû faire face était plutôt « boire au volant » ou « menacer d’une arme mon collègue ».
L’aspect « low budget » d’une production qui se base principalement sur de l’audio et des illustrations permet beaucoup plus de libertés dans le design narratif global. Là où un Life is Strange ou un Mass Effect 3 ne pourra pas se permettre de créer 3 vraies fins réellement différentes les unes des autres pour des raisons de coûts et de temps, ici, il est carrément prévu que le 5e et dernier épisode prévu possède deux versions complètement différentes en fonction des choix du joueur.
McCoy & Guerrero sera en tout cas le premier vrai test pour Celestory. En effet, le projet de jeu sera soumis au jugement implacable des backers de Kickstarter dès le 2 septembre prochain. L’occasion pour Pierre et son équipe de prendre la température auprès du grand public, notamment américain, quant à cette idée qui le suit depuis maintenant plusieurs années, celle de créer un tout nouveau genre d’expériences interactives.
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