La récurrence des contenus dédiés à la romantasy sur Instagram et TikTok n’aura sans doute pas échappé aux utilisateurs des réseaux sociaux. Depuis quelques années, le #booktok a remplacé les blogs dédiés aux livres, les vidéos YouTube et même plus largement les plateformes de notation. Avec de courtes vidéos, lecteurs et lectrices partagent leurs dernières trouvailles et la romantasy compte parmi les genres les plus évoqués sur ces plateformes. Comme Wattpad a fait éclore des succès internationaux, le #Booktok met en lumière des auteurs et autrices qui n’étaient jusqu’alors connus que de quelques adeptes.
Les maisons d’édition n’ont pas tardé à s’emparer de ces récits à mi-chemin entre les épopées merveilleuses et le roman érotique. Certaines se sont même intégralement consacrée à ce type d’ouvrage, comme Hugo Roman qui s’empare de tous les hits américains pour les transporter dans nos vertes contrées. Reste que si le succès est indéniable, un regard vers la New York Times Best Seller List suffit pour s’en convaincre, la romantasy soulève de nombreuses questions. De la manière dont elle dépeint les relations sexuelles et amoureuses, à la qualité des plumes, en passant par des constructions narratives approximatives, le genre est souvent dénigré ou même carrément fustigé. Nous avons décidé de lui laisser une chance et d’explorer trois univers de fiction emblématiques.
Romance et fantasy
La romantasy — contraction de romance et fantasy — occupe une place toute particulière “Young Adult”. Dans les librairies, ces représentants sont nombreux et le plus souvent accompagnés d’une mention “phénomène tiktok”. Le plus souvent, il s’agit d’adopter un contexte merveilleux empruntant aux chefs-d’œuvre de la littérature de genre et d’y faire évoluer une histoire d’amour sulfureuse entre une jeune femme ingénue et un personnage masculin ténébreux.
Gild : La Saga d’Auren – Tome 1 chez Hugo Roman
Auren est pouliche et favorite du Roi Midas. La jeune femme est la création de cette figure emblématique de la mythologie grecque, et vit dans une cage dorée où elle assiste quotidiennement à des orgies, subit le courroux de la Reine, et est au cœur d’une transaction entre Midas et la royauté d’une autre contrée.
Un palais d’épines et de Rose (ACOTAR) chez La Martiniere Jeunesse
Feyre qui vit dans la pauvreté et la famine. Lorsqu’elle tue un loup dans les bois proches de chez elle, un Immortel débarque et lui propose un dilemme. Mourir ou se résoudre à quitter ses proches et vivre avec lui dans son monde. Elle va rapidement découvrir que la haine qu’elle voue aux immortels n’est sans doute pas justifiée.
Les Loups du Millénaire chez Hugo Roman
Sienna est un loup-garou de dix-neuf ans qui appartient à la meute de la côte Est. Elle aime peindre, sortir avec ses amies et profiter de la vie ! Ce qu’elle n’aime pas en revanche, c’est la période de la Frénésie, lorsqu’elle et tous ses semblables sont en période de reproduction. Forcée de vivre avec Aiden, l’Alpha de la meute, Sienna a plus de mal que prévu à repousser ses avances.
Fantasy, vraiment ?
L’essence même de la fantasy repose dans sa capacité à faire éclore des mondes, imaginaires, lointains et merveilleux. Tolkien a sa Terre du Milieu, George R.R. Martin son Westeros et C.S Lewis et son monde de Narnia. Pour chacun de ces auteurs, il est question de bâtir une mythologie riche, souvent dotée de son propre langage, sa propre politique et d’une impressionnante galerie de personnages. Dans le cas de l’heroic fantasy, c’est un Moyen Âge fantasmé qui sert de toile de fond aux aventures des héros. Chez Christelle Dabos néanmoins, les esthétiques steampunk et Belle époque se rencontrent pour raconter la quête de l’illustre Passe-Miroir. Si leurs inspirations sont multiples, les auteurs de fantasy se retrouvent derrière le désir de construire des mondes riches et fourmillants. Ce “world building” est à l’essence même de la fantasy et les auteurs y consacrent fréquemment des années. En découvrant la romantasy, l’on pouvait s’attendre à retrouver ce même soin dans l’écriture et la création de mythologies merveilleuses et denses.
Force est de constater que les sagas évoluant dans des contextes aussi fournis se font rares. Si le succès d’ACOTAR (Un palais d’épines et de roses) peut se comprendre, les aventures de Feyre profitent d’un traitement assez convaincant pour nous happer, c’est loin d’être le cas pour Gild et Les Loups du Millénaire. Autour des tribulations amoureuses des deux héroïnes, la narration ne parviendra jamais à construire des enjeux suffisamment captivants pour rendre justice au terme “fantasy” autour duquel le genre a été construit.
Plus largement, tandis que la fantasy se nourrit souvent des mythes et légendes pour se construire un bestiaire riche, la romantasy se contente d’emprunter aux figures emblématiques des univers existants pour faire évoluer son histoire. Des Faës, des loups-garous ou encore des dragons, rien de bien nouveau sous le soleil d’une littérature finalement plus axée sur les relations amoureuses et sexuelles.
Nouvelle Chick lit ou SMUT ?
À la fin des années 90, un nouveau terme anglo-saxon émerge pour qualifier les ouvrages écrits pour les femmes et par les femmes, et dont les principaux ressorts narratifs sont empruntés aux comédies romantiques. Chick lit, littéralement “littérature pour les poulettes” connaît un succès fulgurant. Les monuments du genre sont nombreux, du Journal de Bridget Jones au Diable s’habille en Prada jusqu’à Twilight. Si les ouvrages du genre sont souvent raillés, c’est une occasion pour de nombreuses autrices de faire entendre leurs voix et de rejoindre les classements de romans les plus lus au monde. Il ne fait aucun doute que la romantasy s’inscrit dans cette même mouvance, il s’agit presque toujours de livres écrit par des autrices à destinations de jeunes adultes.
Les schémas narratifs récurrents du genre sont d’ailleurs présents, de la cohabitation forcée au traditionnel “ennemies to lovers”. Dans Les Loups du Millénaire par exemple, c’est d’abord une haine viscérale qui habite l’héroïne lorsqu’elle croise la route de celui qui sera amené à devenir son partenaire. On attribue souvent la maternité de ces dynamiques à Jane Austen et son Orgueil et préjugés, ici, l’idée est cependant moins de retranscrire cette détestation au moyen de répliques cinglantes échangées lors de soirées mondaines. Si Elisabeth Bennet et Mr. Darcy n’oseront rien échanger d’autre que des regards accusateurs, les héros de romantasy matérialisent leur haine par des rapprochements fougueux. Dans les trois ouvrages que nous avons pu lire, la sexualité est à l’épicentre des relations entre les personnages.
Mais agressions sexuelles et outrepassement du consentement sont monnaie courante. C’est d’ailleurs le principal reproche adressé à cette tendance littéraire qui romantise des relations abusives. Tandis que de nombreux lecteurs et lectrices questionnent la romance dans son ensemble, la romantasy ne semble pas encore s’être emparée de l’idée d’une fiction rejetant la culture du viol et les idées patriarcales. Même dans la représentation de la sexualité, les décennies “male gaze” façonnent les relations intimes des personnages. Omniprésence de la virilité, rejet du plaisir féminin et irréalisme, le sexe dans la romantasy se fait à travers la lucarne d’une culture populaire hétéronormée et largement patriarcale. C’est dommage, pour un genre à destination d’un public féminin et qui peut parfois être à vocation masturbatoire.
Si la romantasy se raconte au travers du regard féminin, l’usage de la première personne du singulier et du point de vue interne est légion, peu d’écrits s’affranchissent des carcans pour réinventer la romance et faire l’émancipation féminine motrice de l’action. Il y a pourtant quelques tentatives, comme lorsqu’une héroïne utilise son pouvoir pour sauver une comparse qui subit un viol, mais cette rédemption après des chapitres de détestation des autres personnages féminins. Les héroïnes ne sont d’ailleurs pas tendres avec les autres protagonistes féminines, la jalousie est au cœur de leurs interactions.
Mais c’est quoi le problème ?
Des livres qui évoquent la sexualité pour des adultes avertis. Pourquoi la romantasy est-elle décriée ? On peut reprocher une certaine ambivalence à ces histoires qui reprennent des thématiques et mécaniques souvent réservées à la littérature adolescente. Les couvertures des trois livres sélectionnés pourraient tout à fait être tirées de certaines collections emblématiques du rayon jeunesse, Les Loups du Millénaire ne détonerait pas aux côtés des Twilight et Journal d’un vampire tandis que Gild rappelle quelques succès récents chez les plus de 13 ans, de The Inheritance Games à La Passeuse de Mots. Les chartes graphiques sont similaires, semant la confusion chez les lecteurs et les lectrices… et surtout leurs parents.
Autre point qui fait grincer quelques dents, pour s’inscrire dans une tendance, de nombreuses maisons d’édition use et abuse du terme pour promouvoir toutes les histoires romantiques convoquant un tant soit peu de magie. Les Loups du Millénaire par exemple, n’aura pour seul élément fantastique la transformation de ces personnages tandis qu’Hadès et Perséphone est une relecture contemporaine du mythe où la magie est presque absente. Enfin, on peut aussi regretter que la romantasy n’éclipse la fantasy et ses représentants qui se voient désormais relégués loin des rayons qu’ils envahissaient autrefois. Il faut tout de fois reconnaître que grâce à son écriture épurée, ses ressorts narratifs éculés et sa mythologie moins dense, le genre est souvent synonyme de retour à la lecture pour des adultes ayant délaissé les romans après la frénésie des sagas adolescentes. Et c’est sans doute à eux que s’adressent véritablement les mondes comme ceux présentés ici.
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