Depuis déjà quelques années, le neuvième art se morcelle en différentes catégories qu’il est parfois compliqué de différencier. Composé d’un découpage par cases (plus ou moins rigide), de bulles et de planches, l’art séquentiel concerne aussi bien le manga que les comics et le style franco-belge. Autant de sous-genres qui possèdent chacun leurs propres caractéristiques, mais aussi de nombreux points communs. Explications.
BD, mangas, comics… une histoire de géographie
En Europe, la bande dessinée désigne un ouvrage grand format (souvent 24×32 cm) rigide de 48 pages. Qu’il s’agisse de Tintin, Astérix ou des Schtroumpfs, la BD franco-belge se caractérise généralement par un découpage en grille rigide (d’où l’idée de “bande”), et une flopée de tomes qui se suffisent à eux-mêmes, à la manière des épisodes de sitcom. Une narration bouclée qui fait recette : depuis 1930, le reporter d’Hergé cumule 250 millions d’exemplaires vendus pour 24 albums, et continue de rassembler les amoureux du genre. Des titres historiques qui traversent les générations, mais qui souffrent aussi d’une image parfois vieillissante pour les plus jeunes.
Le manga quant à lui, n’a généralement aucun mal à se démarquer auprès du grand public. Originaire du Japon, le genre propose un style graphique noir et blanc facilement reconnaissable, qui a la particularité de se lire de droite à gauche, à l’inverse du sens de lecture occidental. Popularisé en France dès les années 1970 avec le travail d’Osamu Tezuka (Astroboy), puis chez les plus jeunes grâce aux animes du Club Dorothé, il a depuis conquis le cœur des Françaises et des Français, au point de faire de l’Hexagone le second plus gros pays consommateur de manga au monde, juste derrière le Japon.
Aujourd’hui, le style n’est d’ailleurs plus réservé qu’aux seules créations nippones : le shonen made in France connait lui aussi un vif succès à l’international, à commencer par Radiant, le phénomène du Toulousain Tony Valente. Après Space Punch, les éditions Ankama publieront aussi en juin prochain Ripper, présenté comme le nouveau phénomène du shonen tricolore. À l’inverse, certaines parutions s’affranchissent complètement de leur format classique pour gagner en liberté de création, loin des carcans imposés par le Weekly Shonen Jump et autres revues spécialisées. Il y a quelques mois, on a notamment pu découvrir le très poétique Shadow Life de Hiromi Goto et Ann Xu.
De son côté, le comics n’est pas réservé qu’aux justiciers en collants. Il s’agit simplement de l’appellation américaine du neuvième art. Concrètement, tout ce qui comporte des planches et des bulles est susceptible de rentrer dans cette case chez les anglophones. Outre-Atlantique, on parle ainsi de “comics européen” pour désigner le style franco-belge. Pendant plusieurs années, le manga a même hérité du titre de “comics japonais”. En Europe, le terme fait principalement référence aux récits de super-héros, mais il désigne aussi par extension de nombreuses bandes dessinées indépendantes publiées sous des labels alternatifs ou chez les grands éditeurs comme DC Comics.
Le roman graphique : la bande dessinée moderne ?
Avec la multiplication des supports et des genres graphiques, la bande dessinée a rapidement dû élargir ses horizons. Face aux genres traditionnels, le roman graphique (ou graphic novel dans la langue de Shakespear) est rapidement devenu un terme fourre-tout, qui permettait de légitimer l’intérêt d’un public adulte pour des formats plus matures, en opposition avec la BD, alors cantonnée au simple divertissement pour enfant.
Le genre est popularisé pour la première fois dans Un Pacte avec Dieu de Will Eisner en 1978, avant de progressivement gagner les rayons des librairies. Doté d’un format plus imposant et souvent limité à un tome unique (parfois deux ou trois, mais rarement plus), le roman graphique est associé à des récits indépendants ou plus ambitieux, qui permettent aux auteurs et autrices de s’affranchir de la plupart des codes de la bande dessinée, pour proposer une création graphique aux partis-pris affirmés. L’un des exemples les plus marquants du XXe siècle reste sans doute Maus, le chef-d’œuvre d’Art Spiegelman publié entre 1980 et 1991 qui retrace la vie du père de l’auteur, rescapé des camps de la mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans son addendum Meta Maus, Spiegelman définit d’ailleurs le graphic novel comme “une longue BD qui nécessitait un marque-page”. L’idée est déjà là, et se poursuivra avec plusieurs références du genre, comme le culte Sandman de Neil Gaiman, qui s’offrira cette année une adaptation sur Netflix.
Entre expérimentation graphique et retour aux classiques
Depuis les années 2010, les romans graphiques se sont multipliés, mais ne se cantonnent plus forcément qu’aux fictions adultes. Qu’il s’agisse de féminisme avec Liv Stromquist (Dans le Palais des miroirs, 2021), d’écologie (Opération Bye-Bye Béton, d’Ophélie Damblé et Roca Balboa, 2022), de politique (Lanceurs d’Alerte, de Flore Talamon, 2021) ou de sciences (DirtyBiology, de Léo Grasset, 2017), la bande dessinée s’impose comme un terrain d’expérimentation, autant sur le fond que sur la forme, et il n’est désormais plus rare de lire des essais publiés sous leur forme graphique.
Depuis quelques années, certaines parutions s’offrent des airs de véritables laboratoires artistiques. On peut citer des OVNIS sur le marché, comme #J’accuse de Jean Dytar sorti l’année dernière, mais aussi quelques sorties qui s’ancrent dans un écosystème plus conventionnel, comme le délirant Arkham Asylum de Grant Morrison et Dave McKean, paru en 2014 sous l’égide de DC Comics et du Batverse. Tous les genres s’y mettent, jusqu’à la pornographie qui connait un retour inattendu sur le devant de la scène, notamment grâce à certaines initiatives comme la collection Porn’Pop lancée en 2018 chez Glénat.
À l’inverse, le format graphique est aussi l’occasion de réhabiliter certains textes classiques, et de leur offrir une seconde jeunesse à travers les yeux d’un nouveau lectorat. Ces derniers mois tout particulièrement, de nombreux auteurs se sont prêtés au jeu, offrant à Victor Hugo (Les Misérables d’Éric Salch, 2021), George Orwell (1894 de Jean-Christophe Derrien et Rémi Torregrossa, 2021) ou encore Lovecraft (Gou Tanabe) des adaptations modernes ou plus littérales.
Peu importe son format ou son appellation, la bande dessinée s’impose aujourd’hui comme un (neuvième) art à part entière, qui ne s’encombre plus de règles ni de contraintes, mais conserve son objectif premier : offrir aux lecteurs une mise en image aussi unique que le récit qui la porte.
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