3 choses qui manquent au Problème à 3 corps sur Netflix

Le jeu de l’adaptation est dangereux. Nombre de scénaristes et créateurs s’y sont brûlés les ailes, chez Netflix particulièrement. Faire honneur à un ouvrage est une science de précision, que David Benioff, D.B Weiss et Alexander Woo maîtrisent sur bien des aspects. Les créateurs ont fait des choix éclairés pour rendre l’œuvre de Liu Cixin plus accessibles, pour s’adresser à un public international et moins habitué au genre de la science-fiction. De bien des manières, Le Problème à 3 corps est une formidable entrée dans l’univers de l’auteur chinois, qui fourmille d’idée pour question notre rapport à la science, aux technologies et aux autres. Mais certains éléments narratifs ont parfois été passés sous silence ou simplement explorés de manière sommaire. Après avoir lu le roman, qu’est-ce qui manque au Problème à 3 corps ?

Nouveau contexte

La nouvelle série Netflix s’ouvre sur une période sombre de l’Histoire chinoise. Sous les yeux des spectateurs, le père de Ye Wenjie est mis à mort par des révolutionnaires qui rejettent en bloc “ses théories réactionnaires”. Le professeur de physique est l’une des nombreuses victimes de la Révolution culturelle, point de départ des ouvrages qui entendent raconter l’humanité lorsqu’elle est face au plus gros défi de son histoire. Mêlant politique, philosophie et réflexions intimes, le premier roman de Liu Cixin profite d’un cadre essentiellement chinois pour se déployer. Comme nombre de ses concitoyens, l’auteur fait évoluer sa science-fiction autour d’un traumatisme national, les échos sont plus ou moins discrets au fil des romans. Si la série s’attarde quelque peu à traduire cette idée, son format ne lui permet pas de le retranscrire de la même manière. Le choix de Ye Wenjie, quand elle répond au message envoyé par les entités extraterrestres, n’est pas appuyé de la même manière. Les spectateurs de la série ne peuvent pas non plus de figurer de sa dévotion à sa cause, elle qui a dès les premiers instants choisis de sacrifier certains de ses proches pour sa mission. Dans les romans, Ye Wenjie confie avoir tué son mari et son supérieur pour communiquer avec les Trisolariens.

Ici, il faudra se contenter de quelques phrases pour formuler ce qui fait le point de départ de toute une saga dans la série. La disparition de toute ambiguïté quant au rôle de Ye Wenjie dans l’arrivée des Trisolariens n’aide pas, les créateurs ayant balayé trop rapidement ce volet pour se concentrer sur la suite des événements. Sur le papier, il faut attendre la moitié du récit pour que la réalité de sa mission au sein de centre radiophonique ne prenne sens.

Moins de mystère

Sur Netflix, Le Problème à 3 corps ne convoque pas uniquement les éléments narratifs du premier ouvrage. Au fil des épisodes, ce sont les rebondissements et les personnages de ses suites qui s’invitent. Du projet “Escalier” aux “Colmateurs” en passant par l’histoire de Will, les créateurs ont puisé leur inspiration dans les trois livres qui constituent la saga sur le papier. Ce choix — qui a été fait au regard d’un format télévisuel — se fait néanmoins au détriment de certains éléments cruciaux chez Liu Cixin. Le grand absent reste sans contexte le mystère, le volet plus policier de l’intrigue. Aux côtés de Wang Miao, les lecteurs sont invités à fomenter des théories sur le compte à rebours qui apparaît devant ses yeux, à questionner la vague de suicide qui frappe la communauté scientifique autant qu’à trouver des réponses aux mystérieux dysfonctionnements de la physique.

Dans sa première moitié, le premier livre est une enquête rondement menée. Les genres s’entremêlent, Le Problème à 3 corps explore des concepts scientifiques passionnants, décortiquent des rapports gouvernementaux tout en suivant son personnage principal tandis qu’il infiltre un organisme tout-puissant aux allures de secte. Ces parties dans le jeu n’en sont que plus passionnantes, elles offrent une rupture avec le thriller qui se déroule au fil des pages.

Un rapport à la science moins prégnant

Le Problème à 3 corps tire son nom d’un problème de physique réputé insolvable. L’auteur va utiliser cette métaphore pour construire son récit dont l’issue semble tout à fait imprévisible. Au fil des pages, il s’agit ainsi pour lui de développer méthodiquement nombre de réflexions sur la science, de convoquer des théories de tous horizons pour expliquer son propos. Lors des sessions de jeux du héros, il s’agit donc de mettre en scène les divergences de plusieurs figures emblématiques du domaine. Certaines scènes marquantes du livre ont été reproduites pour l’occasion, à l’image de la création d’un vaste ordinateur humain visant à anticiper l’arrivée et la durée des prochaines ères chaotiques. Si la série fait honneur à l’immensité du dispositif, elle sacrifie toute la logistique du procédé pour le grand spectacle. L’essentiel dans cette scène se trouve pourtant là, dans la manière qu’ont Von Neumann et Newton de collaborer pour le faire éclore et… échouer. Ce choix aura d’ailleurs de nombreuses conséquences, il mobilise des milliers d’hommes et conduit le monde des trois corps à la ruine. Aucun des citoyens n’a pu être déshydraté lorsque la nouvelle ère chaotique fait son apparition.

Il va de même plus tard sur le papier lorsque Wang Miao s’entretient avec un scientifique qui s’apprêtait à résoudre le problème. Ce dernier explique son rapport aux mathématiques, sa compréhension du monde qui l’entoure. Liu Cixin s’attarde à décortiquer sa logique pour mieux expliquer pourquoi il représente un danger pour l’OTT et à fortiori les Trisolariens.

https://youtu.be/VHWoTxKUxMM?feature=shared

Si Le Problème à 3 corps est une solide adaptation des ouvrages de Liu Cixin, ce seront une entrée encore plus fascinante dans l’univers de l’auteur. Les nombreux choix opérés par la série offrent même la perspective d’être surpris à la découverte des épisodes de la potentielle saison 2. Rien n’a été officialisé par Netflix, qui attend encore de savoir si son imposant investissement financier sera payant. Avec une enveloppe estimée à 200 millions de dollars, la production SF ne compte pas parmi les plus économes.

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