Passer au contenu

[Critique] Utopia US : l’exaltation du complotisme

Disons le d’emblée, il y a deux manières de voir la version américaine d’Utopia, disponible sur Amazon Prime Video depuis le 30 octobre dernier. Soit vous avez eu la chance de voir le chef-d’œuvre britannique délicieusement dérangeant de Dennis Kelly (qui a été honteusement privé d’une fin et n’a duré que deux saisons à cause d’un manque d’audience non mérité), soit vous ne l’avez pas vu et vous devriez corriger ce faux pas immédiatement. Que vous ayez vu la version british ou pas, Utopia US vaut-elle le détour ? Réponse ci-dessous.

“Cette série est une œuvre de fiction, qui n’est pas basée sur une pandémie actuelle ou des événements réels.” Un avertissement avant chaque épisode d’Utopia US qui peut paraître assez banal, mais qui dénote en réalité d’une volonté de dissocier l’intrigue de la série de ce qui est en train de se passer dans le monde réel, à savoir une pandémie de coronavirus qui n’en finit plus. Utopia, on peut le dire, c’est un peu un rêve qui se réalise pour tout complotiste qui se respecte : alors qu’une grippe tue des enfants dans différentes écoles américaines, un petit groupe de marginaux se réunissent car ils ont en commun une théorie assez farfelue selon laquelle une bande-dessinée intitulée Utopia n’a rien d’une fiction et décrit un complot international bien réel. Très vite, leurs différentes péripéties finissent par leur donner raison. Ce synopsis de départ pour la série US ne diffère en rien de sa grande sœur britannique, même si Gillian Flynn, la créatrice de la version américaine, a fait le choix d’étoffer un peu le scénario de Dennis Kelly, le père d’Utopia UK.

Contrefaçon ou bonification ?

Utopia US restant extrêmement similaire à la série britannique originale sur le plan scénaristique, la comparaison est inévitable. Précisons que ce n’est pas parce que la série américaine reprend l’histoire d’Utopia UK  (avec une fidélité relative) qu’il faut délaisser la série originale pour autant. L’Utopia de 2013 est incontournable, et pas seulement pour son scénario (on y reviendra).

La version US parvient bien à rendre un complot assez dingue finalement très crédible. Cette réussite est toutefois essentiellement à mettre à l’actif du scénario initial de la version britannique. A noter que la première saison américaine propose un scénario avec plus d’embranchements, où les éléments de l’intrigue sont très explicités, là où ils étaient plutôt suggérés dans Utopia UK. Il s’agit d’un “traitement américain” assez classique. Cette 2e version ne trahit heureusement en rien la version britannique en dépit de quelques incohérences.  S’en tire t-elle aussi bien sur la forme ?  La série originale avait en effet frappé les esprits par sa singularité à ce niveau.

Un remake qui n’a rien de révolutionnaire

Bande-originale magnifiquement dérangeante et déconcertante (composée par l’excellent Juan Cristobal Tapia de Veer), photographie haute en couleur et complètement surréaliste, ultra violence assumée et choquante, personnages bizarroïdes… Tous ces éléments combinés avaient fait de l’Utopia initial, une œuvre glauque (dans le bon sens du terme) et superbement malsaine, saupoudrée d’un humour très noir. Rien que pour vos oreilles, cet extrait de la bande-son d’Utopia UK devrait vous donner une idée de quoi l’on parle.

L’adaptation d’Amazon a le mérite de ne pas s’être contentée de copier/coller la série initiale à ce niveau. Hélas, elle ne parvient pas non plus à proposer quelque chose d’original et fait pâle figure comparé à Utopia UK. Précisons néanmoins que certaines scènes et plans sont une reproduction quasi à l’identique de ceux de la série originale. Certains y verront un hommage, d’autres une pâle imitation.

Un autre problème se pose dans Utopia US :  la violence. Non qu’elle soit trop importante, au contraire, c’est un impératif absolu dans le cas d’Utopia. Mais l’ultra-violence d’Utopia US n’a plus rien de subversif en 2020. D’autres séries sont passées par là depuis 2013, comme The Boys par exemple, autre grosse production d’Amazon. Utopia US a donc fait le pari d’une violence “jouissive”, un peu à la manière de The Boys, là où la violence d’Utopia UK était d’une brutalité sans égale, allant parfois jusqu’à la polémique. Un seul exemple pour illustrer ce fait, garanti sans spoilers. Dans Utopia UK, une scène en particulier avait suscité une controverse, notamment parce qu’elle s’inspirait d’une “catégorie d’événement” rarement retranscrite dans la fiction (cette description sommaire ne dira sans doute rien à ceux qui n’ont pas vu la série mais ceux qui l’ont vu comprendront sans doute de quelle scène il s’agit). Dans la version américaine, cette même scène a été réécrite justement dans le but de ne pas soulever de polémiques (voire de procès). Tout cela pour dire que l’adaptation américaine donne une sensation “d’édulcoration” lorsque l’on a vu la série originale. Ce principe s’applique également à la bande originale, très timide par rapport à Utopia UK. Evidemment, cela ne concerne pas ceux qui découvriront Utopia avec ce remake.

Un casting qui reste convenu

Copyright Elizabeth Morris / Amazon Prime Video

Parmi les têtes connues dans le casting d’Utopia US, on retrouve l’acteur aux innombrables films John Cusack, qui campe le PDG machiavélique d’une entreprise pharmaceutique. Si Cusack est un acteur confirmé, son interprétation de l’antagoniste principal de cette première saison est relativement ordinaire. Déjà habitué des remakes avec The Office US, Rainn Wilson interprète quant à lui un chercheur en virologie désemparé. S’il est rafraîchissant de voir Wilson dans un rôle moins comique qu’à l’habitude, il interprète, comme John Cusack, un personnage finalement pas très original. Mais c’est surtout sur deux autres protagonistes que la déception est grande : d’un côté, la jeune Sasha Lane dans la peau d’une Jessica Hyde à la “badassitude” assez insipide, et de l’autre, Christopher Denham, qui joue un psychopathe beaucoup trop caricatural.  Une fois de plus, la série souffre énormément de la comparaison avec son matériau d’origine : dans Utopia UK, Jessica Hyde (Fiona O’Shaughnessy) et le tueur impitoyable Arby (Neil Maskell) étaient à l’image de la série qui racontait leur histoire, c’est-à-dire d’une étrangeté rafraîchissante et sans pareille.

🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.

Notre avis

Par ses défauts comme par ses qualités, Utopia US incarne à elle seule l'archétype de l'adaptation américaine d'une série originale étrangère. Dans son cas, elle ne constitue pas du tout une trahison et elle a conservé beaucoup des excellentes qualités d'Utopia UK. D'ailleurs, la présence de Dennis Kelly sur le remake en tant que producteur exécutif suffira à vous convaincre que les Américains n'ont absolument pas massacré la série d'origine, même si elle a bien subi une édulcoration typiquement hollywoodienne. Si vous abhorrez les remakes américains, dites-vous au moins une chose : Amazon va sans doute donner à la série la fin qu'elle aurait dû avoir il y a sept ans. Et surtout, même si vous décidez de vous lancer dans l'aventure Utopia US sur Amazon Prime Video, ne passez pas à côté de la série britannique originale de Dennis Kelly, vous commettriez la plus grande erreur de votre vie.

L'avis du Journal du Geek :

Note : 7 / 10

Les plus

  • Une série déjantée qui aborde un thème on ne peut plus d'actualité
  • Une esthétique fantasque et une violence jouissive
  • Adaptation à la fois fidèle et originale par rapport à la série anglaise

Les moins

  • Un remake américain très classique, et donc peu subversif
  • Des personnages parfois trop caricaturaux
  • Quelques incohérences scénaristiques
  • Utopia UK restera, à jamais, au-dessus
2 commentaires
  1. J’ai rarement été autant marqué par une bande originale, je l’écoute régulièrement tellement je l’apprécie !!

Les commentaires sont fermés.

Mode