« Quand tu entends un son que tu ne peux pas situer ou que tu sens quelque chose bouger que tu ne peux pas tracer » chantait Queen en 1989 dans « The Invisible Man ». En 2020, l’Homme invisible prend vie à nouveau à l’écran avec le film éponyme de Leigh Whannell, scénariste des premiers films de la saga Saw, des différents opus d’Insidious et réalisateur de l’excellent thriller SF Upgrade. Cette ré-adaptation de l’œuvre littéraire de H.G. Wells n’est pas anodine. En 2016, lorsque Universal souhaite rejoindre la course à la « franchise cinématographique », l’Homme invisible est l’un des personnages que la société de production compte alors ressortir de ses placards pour établir son Dark Universe. Après l’échec du nouveau reboot de La Momie avec Tom Cruise en 2017, ce projet ambitieux s’effondre et avec lui un potentiel remake du film original de 1933, avec Johnny Depp dans le rôle-titre. Spécialiste de l’horreur en tout genre, Leigh Whannell s’en est donc emparé, bien aidé par BlumHouse (Get Out, Happy Birthdead, etc) pour en proposer une ré-interprétation empreinte de beaucoup plus de suspens.
L’incarnation du harcèlement
Dans The Invisible Man de Leigh Whannell, l’Homme invisible n’est ni un escroc ni un criminel souhaitant fuir les autorités, comme dans l’œuvre originale. L’intrigue se centre sur Cecilia Kass (Elisabeth Moss), femme d’Adrian Griffin (Olivier Jackson-Cohen), puissante et riche personnalité du monde de la Tech, à la pointe du progrès en matière d’optique. Clairement prisonnière d’une relation toxique, Cecilia décide une nuit de fuir le manoir californien dans lequel elle est retenue et de s’extirper des chaînes psychologiques et physiques de son mari. Son échappatoire est bien calculé et, malgré une erreur en cours de route, elle réussit son coup. Recueilli chez un policier (Aldis Hodge), ami de sa sœur avocate (Harriet Dyer), Cecilia reste terrorisée par son mari et son emprise. Selon elle, l’obsession de Griffin à vouloir tout contrôler va la rattraper : celui-ci va la retrouver et lui faire payer cette fuite, coûte que coûte. Pourtant, le mari possessif se suicide. Le mauvais rêve disparaît sans crier gare … alors que le cauchemar, le vrai, se manifeste. Comme son instinct le lui dicte, Cecilia est persuadé que Griffin a simulé sa mort pour la hanter, littéralement et physiquement sans se faire remarquer. Manipulateur jusqu’au bout, Griffin va la faire passer pour folle et lui faire du mal, à elle et ses proches, pour la pousser à revenir vers lui.
La prémisse de The Invisible Man est une réinterprétation très pertinente du matériel créatif de base. L’idée d’un homme invisible constitue la parfaite parabole du harcèlement et de la figure du « stalker ». Et Leigh Whannell le met parfaitement en œuvre d’un point de vue narratif. Adrian Griffin, en se rendant invisible, supprime encore davantage de pouvoir et de contrôle à sa victime, Cecilia Kass : son emprise est alors sans égale. La justification plus moderne et scientifique de ce pouvoir d’invisibilité est lui aussi exploité avec réflexion. Elle permet aussi bien à l’antagoniste de manipuler sa victime et le spectateur autant qu’elle donne l’occasion au protagoniste de s’en sortir avec raisonnement et logique. Du reste, le mystère, et plus précisément le suspens, plane tout de même sans problème durant une bonne partie du film.
Une film inspiré par deux classiques
En cela, si la réalisation visuelle n’est pas toujours remarquable, la mise en scène l’est. De nombreuses scènes prennent le point de vue du « stalker » ou choisissent de le montrer en fixant un coin (pas si) vide d’une pièce, mettant la protagoniste de côté en hors-champ. Le film a donc parfois à se rapprocher du premier Halloween de John Carpenter, qui débutait sur une séquence filmée du point de vue du regard de Mike Myers petit et qui, plusieurs fois, filmait très largement certains lieux pour sous-entendre la présence discrète de sa « forme fantomatique ». L’homme invisible du film éponyme de Leigh Whannel incarne, en soi, une sorte d’évolution de ce concept de « shape » angoissante. Un passage de flambeau que le film parvient presque, cependant, à rater lorsqu’il lève trop tôt le voile sur le mystère initial et tombe dans de nombreuses facilités scénaristiques pour en sortir.
De la même manière, The Invisible Man semble s’inspirer d’un autre classique de l’épouvante dans son ambiance globale : Seule dans la nuit. Dans ce film de 1967 par Terence Young, réalisateur des premiers films de la franchise James Bond avec Sean Connery, la maison d’une femme aveugle (jouée par Audrey Hepburn) est investie par des malfrats en quête d’un butin. L’héroïne va donc dépendre de ses quatre autres sens pour les découvrir, déjouer leurs plans et survivre. The Invisible Man est le négatif photographique de ce film : sa protagoniste ne souffre pas de cécité mais ne peut absolument pas voir son assaillant, invisible. Surtout, à l’instar de Seule dans la nuit, le film de Leigh Whannell joue sur la peur du noir, l’angoisse de la solitude et sur les terreurs nocturnes. Ces hallucinations visuelles, auditives et parfois de contact nous les ressentons alors que, seuls dans la pénombre de notre demeure, nous imaginons la possibilité de finalement ne pas l’être. L’antagoniste de The Invisible Man joue sur ce phénomène pour conduire sa victime à être jugée folle et le film lui-même titille cette peur commune du spectateur pour faciliter son identification à la protagoniste.
The Invisible Man réussit même à se jouer des attentes des spectateurs avec quelques twists finaux, plutôt bien pensés. Cependant, il n’aide pas l’excellente Elisabeth Moss (Mad Men, The Handmaid’s Tale), qui fournit au long-métrage une bonne dose de légitimité et de crédibilité, à briller et à finir sur une note positive. La faute à une morale un peu trop facile et moins maline que le reste du scénario : pour vaincre le manipulateur, il faut devenir encore plus manipulateur que lui. Cette théorie achève, sans prévenir, toute once de sympathie que le spectateur peut ressentir pour la courageuse Cecilia et renverse, trop facilement, l’invincible stratège qui s’opposait à elle jusque-là avec, toujours ou presque, un coup d’avance. En outre, The Invisible Man perd des points à cause de sa bande originale. Un tel film est censé jouer sur les bruits dans le silence et les densifier à l’oreille du spectateur, et non les couvrir. Il doit garder en haleine le spectateur non pas avec une débauche d’action, mais une tension progressive et mesurée. Pourtant, musicalement, ce film préfère prendre le parti du sensationnalisme avec des sonorités vrombissantes sur-utilisées qui rappellent davantage Blade Runner 2049 que Halloween. Si elles sont pertinentes dans les quelques scènes d’action – dont une relativement bien orchestrée, dans le tiers final, qui rappelle le style d’Upgrade – du film, elles sont clairement de trop dans les moments de suspens.
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En tant que sourd, je n’ai pas trop aimé le film. J’aurais préféré un équilibre entre les sons et les visuels.