Ce n’est pas la taille qui compte, mais la façon dont on raconte l’histoire. On reproche régulièrement à des séries de mal se servir du nombre d’épisodes qui les compose avec une écriture n’en demandant pas tant. Dans combien de shows aurait-on pu couper dans le gras sans réellement nuire au récit ? Néanmoins, il ne faut pas être naïf et oublier la formule commerciale se cachant souvent derrière cette durée. Surtout lorsqu’on parle des plates-formes de streaming comme Netflix. Elle est simple : plus d’épisodes donne plus de contenu qui donne plus de visionnage dans les statistiques. Et puis, parfois, une série va partir à l’opposé de cette logique parce que l’important n’est plus combien on regarde, mais ce qu’on regarde.
C’est là que notre titre s’explique, loin du racolage qu’on pourrait lui prêter. Car si nous faisons partie des personnes ayant dévoré la première saison de 13 Reasons Why, ce n’est pas tant son intrigue qui a justifié les trois saisons suivantes qu’une volonté de surfer sur sa popularité pour le service SVoD. Et cela s’est ressenti saison après saison, au point où ce qui avait été un électrochoc pour beaucoup à sa sortie a ensuite provoqué un désintérêt croissant. Sur une thématique assez similaire, Adolescence est mieux que 13 Reasons Why, car elle ne répond absolument pas à cette logique. Et pour au moins trois autres raisons que l’on va évoquer.
Au petit matin, les policiers débarquent en force dans la maison des Miller et embarquent le plus jeune fils, Jamie, 13 ans, sous les yeux éberlués de ses parents et de sa sœur. Au poste, on va comprendre que l’adolescent est accusé du meurtre d’une camarade de classe. La descente aux enfers commence.
1 – Un tour de force technique
Pendant longtemps, le plan-séquence a été considéré sur grand écran comme l’apanage des maîtres, capables de réfléchir des scènes entières comme un ballet chorégraphié tout en répondant à des défis techniques. Avec les années et l’évolution de la technologie, le plan-séquence a perdu de sa superbe par un usage plus racoleur, plus régulier, et surtout plus trafiqué, avec des coupes désormais invisibles. Il n’en reste pas moins qu’il fait toujours son petit effet auprès du public, au point où les séries s’en sont emparées pour mettre l’emphase sur certains épisodes, à l’image de The Bear.

Ce qui nous amène à Adolescence dont l’argument marketing, de prime abord, réside dans son concept : quatre épisodes – d’où notre soliloque sur la durée d’une série – intégralement réalisés sans coupure. Une action en temps réel et sans trucage (ou pas assez perceptible pour qu’on pense le contraire) dirigée par Philip Barantini et son directeur de la photographie Matthew Lewis, rompus à l’exercice après leur excellent travail sur le film The Chef. Chaque épisode va être le théâtre d’une nouvelle manière d’envisager la technique. Le second acte impressionne par sa chorégraphie du chaos scolaire et le troisième segment, davantage intimiste, n’a rien à envier au style de David Fincher dans sa manière d’appréhender une conversation comme une scène d’action. Une réalisation qui laisse ainsi aucune place à la respiration, ne lâchant jamais son récit des yeux une seule seconde.
2 – Au service d’un scénario implacable
Un ballet visuel dont l’intention est de raconter quelque chose. Le récit écrit par Jack Thorne et Stephen Graham est découpé en autant d’épisodes, chacun se déroulant à des temporalités différentes de l’enquête. On peut même dire qu’on est en présence de quatre petites histoires au sein d’une grande qui, elle, ne nous sera jamais réellement racontée. Pourquoi le plan-séquence ? Parce qu’il était important que l’on reste au plus près des personnages et ne pas se croire au-dessus d’eux. On vit à leur rythme, les informations nous parvenant en temps réel, leurs émotions aussi. Adolescence n’entend pas nous raconter un meurtre, elle nous met face aux conséquences. Aucun protagoniste n’apparaît dans plus de deux épisodes (sauf une exception) parce que le sujet ne le concerne simplement pas ou plus.

Le premier épisode nous plonge dans le réalisme d’une arrestation et de l’interrogatoire qui s’ensuit. Le second dans l’enfer d’une vérité qui échappe à tout le monde, écrasée sous le poids d’une certaine indifférence. Le troisième est un jeu de dupes entre colère et résignation. Puis le quatrième viendra faire les montagnes russes entre résilience et incompréhension. Ce n’est pas le meurtre qui intéresse la série, encore moins la victime. Comme elle se l’avoue elle-même, elle en serait incapable. Non, bien que Jamie soit au centre de l’intrigue, le vrai sujet reste le portrait d’une adolescence et de ceux qui restent. Le vécu est plus important que la vérité.
3 – Entre les mains d’acteurs brillants
Puisqu’on parlait de formule mathématique auparavant, il ne faut pas oublier le troisième atout dans le calcul d’une excellente série : sa distribution. Aucun acteur n’est, ici, en deçà de ses camarades et chacun à sa chance de briller. Luke Bascombe (Toy Boy) et Misha Frank (Andor) incarnent des inspecteurs dont l’enquête rappelle leurs propres failles. Le temps d’un épisode, Erin Doherty (A Thousand Blows) se livre à un spectaculaire duel contre le jeune et très impressionnant Owen Cooper. Et Stephen Graham (A Thousand Blows, The Chef) est un modèle de vulnérabilité paternelle oscillant entre rage et désespoir, bien secondé par sa femme à l’écran, Christine Tremarco (Emmerdale Farm).
Adolescence est un modèle d’écriture et de technicité qui parvient à nous raconter énormément en peu de temps. Sans aucun doute l’un de nos coups de cœur de cette année que l’on ne saurait, pourtant, pas vous conseiller si vous n’êtes pas prêt.es à vivre des moments émotionnellement durs. Quand vous le serez, une série parfaite se trouve sur Netflix.
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