Avant dâentrer dans son second siĂšcle dâexistence, Warner Bros regarde dans le rĂ©troviseur. En 2023, lâentreprise amĂ©ricaine soufflait sa centiĂšme bougie et cĂ©lĂ©brait un siĂšcle de divertissement cinĂ©matographique en tous genres. Parmi ses succĂšs dâantan, Charlie et la Chocolaterie tient bonne place. Ă lâapproche des fĂȘtes de fin dâannĂ©e, et pour conclure cet anniversaire, les studios cĂ©lĂšbrent lâimaginaire de Roald Dahl avec une nouvelle adaptation du roman. Enfin presque⊠Sous lâimpulsion du producteur de la saga Harry Potter, David Heyman, câest la naissance du cĂ©lĂšbre Willy Wonka qui est racontĂ©e. Pour cette fable magique et sucrĂ©e, lâentreprise a recrutĂ© un artisan qui a dĂ©jĂ fait ses preuves en la personne de Paul King. Le papa des deux films Paddington avait enchantĂ© les spectateurs avec les aventures du petit ourson maladroit, il devait reproduire le miracle avec l’exubĂ©rant marchand de sucreries.
Plusieurs dĂ©cennies avant que Charlie ne dĂ©croche le ticket dâor, le jeune Willy Wonka revient dâun long voyage savoureux Ă travers le monde. Dans une ville enneigĂ©e et colorĂ©e, il dĂ©barque, bien dĂ©cidĂ© Ă ouvrir sa propre boutique aux Galeries Gourmet. Faisant preuve dâune dĂ©termination sans faille, il doit nĂ©anmoins affronter de nombreux dĂ©fis. Le monde nâest pas aussi doux quâil lâimagine.
Si lâouvrage de Roald Dahl est un monument de la littĂ©rature jeunesse, les adaptations de Mel Stuart et Tim Burton ont largement contribuĂ© Ă la naissance de la lĂ©gende Willy Wonka. NĂ©anmoins, jamais le marchand de friandises nâavait eu lâoccasion de dĂ©voiler la recette de son succĂšs. Suivant la tendance hollywoodienne â qui veut que tout bon film ait droit Ă son spin-off â et en attendant de voir adaptĂ© Ă lâĂ©cran Le grand ascenseur de verre, Wonka dĂ©barque avec lâambition de nous en apprendre davantage sur le personnage autrefois incarnĂ© par Gene Wilder. C’est d’ailleurs sa performance qui est le point de dĂ©part de ce nouveau rĂ©cit.
Chaud, chaud cacao
Pur produit mercantile ou Ă©lan de gĂ©nie ? LâidĂ©e dâexplorer le passĂ© de Willy Wonka est assez maligne. PlutĂŽt que de consacrer une Ă©niĂšme production au parcours du jeune Charlie Ă la dĂ©couverte de lâusine des merveilles du confiseur, Paul King et les scĂ©naristes Simon Rich et Simon Farnaby entendent raconter dâoĂč le crĂ©ateur des dĂ©lices sucrĂ©es tient son amertume. Sâil apparaĂźt reclus et solitaire dans Charlie et la Chocolaterie, câest un artisan naĂŻf et rĂȘveur qui est ici dĂ©peint.
Sous les traits de TimothĂ©e Chalamet, le jeune Wonka se retrouve confrontĂ© Ă un monde dĂ©cidĂ©ment bien cruel. Sa confiance aveugle en tous les ĂȘtres quâil croise va causer sa perte, il aura besoin de personnages forgĂ©s par la dĂ©sillusion et le malheur pour le guider. Wonka ne sait pas lire, il a foi en lâhumanitĂ© et câest lâorpheline Noodles qui va lâaccompagner. Elle joue les contrepoids comique et dramatique, venant sans cesse rappeler lâĂ©ternel rĂȘveur Ă la rĂ©alitĂ©. Câest dâici que Wonka tire sa force, dans sa capacitĂ© Ă osciller constamment entre fantaisie et thĂ©matiques plus sombres. Conte pour enfants par essence, le dernier-nĂ© de lâĂ©curie Warner Bros ne se contente pas dâun joli emballage et d’une marque prestigieuse.
Il est surtout une fable sur la rĂ©silience, une ode Ă la bienveillance sur fond de lutte contre le capitalisme. Alors que les puissants se gaussent des malheurs des pauvres gens, sâarrangent pour obtenir la plus grosse part du gĂąteau, Willy, Noodles et leurs compĂšres sâattaquent Ă tout un systĂšme. Paul King a compris lâessence mĂȘme des rĂ©cits de Roald Dahl, qui dĂ©peignent un monde dans lequel les dĂ©s sont pipĂ©s, oĂč tout peut sâacheter⊠mĂȘme les fameux tickets dâor. De la mĂȘme maniĂšre, le chocolatier doit affronter des concurrents dĂ©loyaux, qui graissent la patte des forces de lâordre pour asseoir leur dominance sur le monde trĂšs fermĂ© de la vente de confiseries.
NĂ©anmoins, face Ă de tels dĂ©fis, sa crĂ©ativitĂ© et son entrain sâavĂšrent ĂȘtre un solide atout. Ă la diffĂ©rence de lâeffroyable Cartel du Chocolat, Wonka est motivĂ© par lâamour des friandises, une histoire personnelle Ă©mouvante et surtout lâespoir. Retrouvant les Ă©lans de tendresse qui infusaient dĂ©jĂ ses Paddington 1 et 2, Paul King prouve quâil est, lui aussi, motivĂ© par un souffle crĂ©atif. Avec un peu dâimagination, et une maĂźtrise certaine du format de film pour enfants, Wonka fait des merveilles. Ă certains Ă©gards, ce nouveau mĂ©trage nous rappelle aux belles heures des contes fantastiques, de Nanny McPhee Ă PĂ©nĂ©lope en passant par Mathilda, lui aussi adaptĂ© dâun rĂ©cit de Roald Dahl. Tout nâest pas parfait, la derniĂšre moitiĂ© est un peu plus brouillonne, mais Wonka est un divertissement gĂ©nĂ©reux tant dans le fond que la forme.
Avec un peu dâimaginationâŠ
Comme lâouverture de la mythique chanson interprĂ©tĂ©e pour la premiĂšre fois par Gene Wilder, reprise ici par TimothĂ©e Chalamet, Paul King sâadresse aux spectateurs dĂšs lâouverture : âVenez avec moi, vous serez dans un monde de pure imaginationâ. Ăvoluant dans des dĂ©cors pastel et sous une neige enchanteresse, le cinĂ©aste rend hommage Ă des dĂ©cennies de comĂ©dies musicales au travers de ses sĂ©quences dansĂ©es et chantĂ©es. Difficile Ă la vue dâune scĂšne impliquant des parapluies de ne pas voir une rĂ©fĂ©rence au film de Jacques Demy.
Dans le mĂȘme temps, King doit construire un univers visuel saisissant, gourmand et fĂ©erique. BĂątie sur lâimagerie du film de Mel Stuart, cette nouvelle proposition remporte son pari Ă plusieurs Ă©gards. Sâil ne peut pas encore compter sur lâarchitecture dĂ©lirante de lâusine, qui interviendra tout de mĂȘme plus tard, le cinĂ©aste saupoudre sa fable de quelques lieux colorĂ©s et inspirĂ©s. Des entrailles dâune Ă©glise britannique aux merveilles de la boutique Wonka, le film rĂ©pond Ă ses ambitions de relecture moderne de ce classique. Il sâamuse dâailleurs Ă rĂ©guliĂšrement convoquer des Ă©lĂ©ments du mĂ©trage de 1971, pour appuyer son appartenance Ă cet univers plutĂŽt que celui de Tim Burton. Bien aidĂ© par les effets numĂ©riques modernes, Paul King peut mĂȘme pousser le curseur plus loin et convoquer dâimposantes bestioles et de minuscules acolytes. Pour le meilleur comme le pire.
Car si lâensemble est finalement assez harmonieux, quelques erreurs de parcours sont Ă dĂ©plorer. Câest particuliĂšrement vrai concernant le fameux Oompa Loompa campĂ© par Hugh Grant. Pour sâoffrir un illustre nom de plus, ou simplement pour avoir lâopportunitĂ© de retravailler avec lui , Paul King a misĂ© sur un personnage CGI pour celui qui deviendra plus tard lâassistant du chocolatier. Comme le laissaient prĂ©sager les premiĂšres bandes-annonces, le rĂ©sultat nâest pas des plus flatteurs. MalgrĂ© son apparence assez fidĂšle au mĂ©trage qui a bercĂ© Paul King, la couleur de la peau et le costume, ce Oompa Loompa 2.0 nâest pas un rĂ©gal.
Si Hugh Grant sâen sort particuliĂšrement bien dans le rĂŽle du minuscule dandy, force est dâadmettre que lâimplication dâun acteur de petite taille aurait sans doute Ă©tĂ© dâun meilleur effet. Cela aurait aussi Ă©vitĂ© Ă Warner Bros un procĂšs dâintention, et de sâattirer les foudres des nombreux acteurs et actrices atteint de nanisme qui regrettent de voir les partitions qui leur sont habituellement confiĂ©es aux mains dâautres comĂ©diens. Disney avec sa version live-action de Blanche-Neige et les Sept Nains sâapprĂȘte Ă emprunter la mĂȘme voie. AprĂšs avoir remplacĂ© les compĂšres de la princesse par des crĂ©atures magiques, Mickey a finalement choisi de miser sur des VFX pour leur donner corps.
Plus largement, Wonka ne semble pas toujours rĂ©ussir Ă trouver lâĂ©quilibre entre accessoires, dĂ©cors palpables et effets numĂ©riques. Certaines sĂ©quences font ainsi tache, au sein de cette copie pourtant souvent dĂ©licieuse. On citera simplement une cuve de chocolat aux allures de bouillasse marron. Câest aussi vrai lorsque le final joue Ă la reproduction de lâusine de Charlie et la Chocolaterie version 1971, qui troque ces sucreries en carton pĂąte contre de nombreuses images de synthĂšses. Alors mĂȘme qu’elles devraient ĂȘtre au coeur de la dĂ©marche du film, elles sont trop souvent cantonnĂ©es au rĂŽle d’accessoires, Ă peine montrĂ©es. Il manque au film un rien dâimagination et de folie, celle qui avait infusĂ© la copie de Burton prĂšs de vingt ans plus tĂŽt ou le charme rĂ©tro de la premiĂšre version.
Enfin, il nous faudra parler des costumes qui sont finalement assez en retrait. Wonka mise sur une redingote usĂ©e pour son personnage principal et de fades guenilles pour ses compĂšres, tandis que les plus aisĂ©s profitent de costumes trois piĂšces colorĂ©s. Câest assez dommage lorsque lâon sait Ă quel point Paul King avait merveilleusement exploitĂ© les costumes rayĂ©s des prisonniers dans le second volet des aventures du petit ourson pĂ©ruvien Paddington. Chez Warner Bros, Barbie avait aussi fait une dĂ©monstration de force en mettant toutes ces sublimes idĂ©es de âworld buildingâ sur le devant de la scĂšne.
Délicieuse musicalité
NĂ©anmoins, pour faire oublier les dĂ©fauts citĂ©s plus haut, Wonka peut compter sur lâenthousiasme provoquĂ© par son format. Suivant ces prĂ©dĂ©cesseurs, Paul King a optĂ© pour la comĂ©die musicale. Ce genre â qui continue de nous fasciner â permet au mĂ©trage dâembrasser toute la dimension enfantine de son rĂ©cit autant que de se prĂ©lasser dans une certaine miĂšvrerie sans provoquer une crise de foie chez les spectateurs. Dâailleurs, le compositeur sâempare dĂšs les premiĂšres secondes de lâiconique thĂšme âPure Imaginationâ pour le rĂ©inventer. Il viendra rĂ©guliĂšrement ponctuer le rĂ©cit jusquâĂ conclure lâĂ©popĂ©e dans une version revisitĂ©e par TimothĂ©e Chalamet. Mais la partition de Neil Hannon, James A.Taylor et Joby Talbot nâest pas essentiellement constituĂ©e de ces Madeleines de Proust, elle invite aussi des chansons tout Ă fait originales. De âScrub, Scrubâ Ă âA World of Your Ownâ, la bande originale sâinscrit dans la pure tradition du musical.
Cela offre Ă TimothĂ©e Chalamet une nouvelle opportunitĂ© de prouver ses talents dâhomme orchestre, aussi Ă lâaise dans les registres comiques que plus dramatiques, dans les parties dialoguĂ©es que chantĂ©es. Hugh Grant nâest pas en reste, avec sa reprise du trĂšs entĂȘtant Oompa Loompa, issu lĂ encore de la BO du tout premier film. Lâamour du rĂ©alisateur et de ses collaborateurs pour le roman comme le film transpire Ă chaque instant. Le spectateur, quâil soit Ă©galement rĂ©ceptif Ă ces clins dâĆil ou non, se rĂ©gale avec une sucrerie qui tombe Ă pic.
Lâon pensait cela impossible, mais Wonka est parvenu Ă faire honneur Ă Charlie et la Chocolaterie, tout en complĂ©tant sa mythologie. Le prĂ©quel est un jeu dâĂ©quilibriste, le pari remportĂ© pour Warner et ses Ă©quipes. Nul doute quâil se trouvait une place de choix en ces fĂȘtes de fin dâannĂ©es, pĂ©riode propice Ă la nostalgie et aux divertissements rĂ©gressifs.
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