À l’époque des grandes ambitions d’univers partagé, Universal avait l’envie de réunir les monstres légendaires autour de Tom Cruise. Un temps où le trop gourmand studio réalisait déjà un portrait de famille annonciateur avec, notamment, Johnny Depp en Homme Invisible. Quelques années et une franchise étouffée sous un oreiller plus tard, Universal continue de ressusciter ces monstres, mais cette fois, sans univers partagé et avec le savoir-faire de Blumhouse à la barre. Ce qui nous a donné un très solide Invisible Man en 2020, relecture moderne signée Leigh Whannell. Ce n’est presque pas une surprise de le voir diriger une seconde créature du septième art, le loup-garou, avec la même inspiration. Et ainsi naquit Wolf Man.
Père de famille vivant à San Francisco, Blake (Christopher Abbott) se voit hériter de la vieille ferme de son père, perdue au fin fond de l’Oregon, à la suite de l’annonce officielle du décès de ce dernier. Et alors que son couple est plus fragile que jamais, Blake saute sur l’occasion d’y passer quelques semaines avec sa femme (Julia Garner) et sa petite fille (Matilda Firth) afin de ressouder la famille. À peine arrivés, ils vont se faire attaquer par une créature inconnue. Barricadés dans la maison, vont-ils survivre à cette nuit, alors que Blake, blessé, commence à se métamorphoser ?
Avec une icône du cinéma d’horreur comme sujet, était-il encore possible de la réinventer alors que les films et les séries se sont multipliés ? Depuis sa première apparition en 1913, le loup-garou a fait un nombre incalculable de victimes, a joué au basket, a visité Londres, a combattu Dracula, est tombé amoureux de Kate Beckinsale, a aidé Buffy, et il a fait sa vie au campus. Même Jack Nicholson l’a incarné ! Autant dire que pour réinventer le mythe, Whannell se devait d’être drôlement inspiré.
Une idée au poil…
On peut dire que la mission est, en bonne partie, réussie. Le réalisateur et co-scénariste, aux côtés de Corbett Tuck, a décidé de moins s’intéresser à l’animal qu’à la métamorphose. Il faut, d’ailleurs, saluer le gros travail de l’équipe maquillage sur les prothèses. La transformation de Blake évolue assez lentement pour que son aspect physique change par petites touches. Un soin visuel qui fonctionne comme une note d’intention plaisante.
Là où Invisible Man se servait du monstre pour décrire les mécanismes d’emprise et de manipulation, Wolf Man est un portrait d’un couple qui ne communique plus, d’un amour paternel. Une cellule familiale en crise dont les failles et les forces vont être physiquement incarnées à l’écran. Le long-métrage ne manque pas d’avoir quelques belles idées de mise en scène autour de son plan narratif, comme lorsque la caméra opère des changements de point de vue entre le regard humain et celui de l’animal, Blake et sa famille évoluant désormais dans deux réalités différentes. Ce n’est pas toujours bien fait, mais il faut reconnaître que l’initiative est bonne.
Whannell va jouer avec la création du loup-garou, bien aidé par l’interprétation de Christopher Abbott, en amenant la bête à prendre le contrôle de l’homme par l’alternance des scènes chocs et des effets plus nuancés. Dans les premières, Wolf Man y trouve évidemment sa dimension la plus horrifique entre passages gores et ambiance oppressante. Dans les détails discrets, on apprécie davantage le talent d’Abbott pour jouer physiquement le loup par affaissement corporel ou développement de l’odorat.
… pour un résultat loup-é ?
Tout ce qu’on l’a dit plus haut peut laisser penser que Wolf Man est une nouvelle réussite de Whannell. Toutefois, il serait intéressant de connaître la part du bonhomme et celle de Blumhouse dans le résultat final. Car si, entre les lignes, le film a un beau projet, le rendu sent fort la patte de la société de production. Et ce n’est pas un compliment.
Entendons-nous bien, le label Blumhouse n’est pas un défaut en tant que tel et la boîte de Jason Blum a accouché de pépites du cinéma d’horreur comme Insidious, Black Phone ou Fée malgré lui. Mais il a également fait naître un « modèle Blumhouse » qui a également consisté à investir peu sur des projets à la rentabilité maximum, à l’image de la saga Paranormal Activity. Ce qui, avec les années, l’expérience acquise et les succès cumulés, a ouvert la boîte de Pandore de la création algorithmique.
En bref, Blumhouse produit énormément et ne soigne pas forcément tous ses projets de la même manière puisque de toute façon, chaque film ou presque va trouver son public – comme le très moyen Five Nights at Freddy’s l’a récemment prouvé. Oui, Blumhouse est au cinéma d’horreur ce que Netflix est à la production streaming : trop souvent un remplissage de catalogue sans âme.
Si le sujet est mis sur le tapis ici, c’est qu’en dépit de ses bonnes idées, Wolf Man a trop souvent tendance à retrouver le chemin de l’objet d’épouvante facile. Le monstre tapi dans l’ombre, les jumpscares ici et là, la musique pour monter en tension… À chaque scène où le film d’horreur reprend ses droits sur le concept, on sait ce qu’il va se passer parce que chaque production du genre fait exactement la même chose. Cela ne le rend pas moins efficace pour autant, car tout concorde pour que ça marche, mais cela tue dans l’œuf la moindre tentative de rendre la chose originale.
Quiconque a déjà vu plus de trois films d’horreur récents va, dès lors, s’amuser ou s’énerver à deviner chaque séquence à l’avance, Wolf Man empruntant un tracé ô combien balisé sans subtilité. Comme si Whannell avait trouvé son concept et quelques plans de caméra, mais que tout le reste avait été confié à un pilote automatique appliquant son manuel.
Un manuel qui n’hésite pas à abandonner des éléments d’intrigues en cours de route s’ils n’intègrent pas le schéma basique. On pense à certains rôles secondaires ou à la présomption d’un personnage caché suggéré dans le préambule. Ce qui est frustrant puisque, tout comme son Homme Invisible, Whannell prouve qu’on pouvait encore écrire du neuf sur le loup-garou. Néanmoins, sa créativité semble s’être pris le mur de la réalité économique au passage, faisant de Wolf Man un métrage conçu pour trouver son public, remplir un peu les caisses d’Universal, puis simplement rejoindre le catalogue Blumhouse. Certains diront que ce n’est pas si mal.
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