Joie, Tristesse, Peur, Colère et Dégoût. En 2015, Pixar nous invitait à découvrir nos émotions les plus primaires à la tête d’une aventure désormais culte. En racontant le développement émotionnel de la petite Riley, Vice-Versa premier du nom s’annonçait déjà comme l’introduction d’une œuvre bien plus large. Le final laissait planer “la menace” de la puberté, une thématique forte et idéale pour une suite tout aussi frappante.
Il aura fallu attendre presque dix ans pour que le studio d’animation diffuse ce nouvel opus, une sortie judicieuse qui arrive à point nommé. Après deux longs-métrages qui n’ont pas su faire l’unanimité et trois ans d’absence au cinéma suite à la pandémie de Covid-19, il était grand temps pour Pixar de revenir en salles avec un projet fort. Aussi, l’audience du premier film a eu le temps de grandir, et s’est confrontée à de nouvelles émotions plus complexes qui méritent d’être représentées à l’écran. C’est ainsi qu’Embarras, Envie, Ennui et Anxiété s’invitent en tête d’affiche de Vice-Versa 2. Tout n’est plus bonheur ou mélancolie pour la jeune protagoniste : son cerveau accueille de nouveaux résidents prêts à mettre des bâtons dans les roues de son quotidien d’ado.
Malgré le caractère évident de cette suite, Vice-Versa 2 n’en reste pas moins un projet risqué. Ce film arrive avec la réputation de son prédécesseur sur les épaules, tout en s’attaquant à des sujets sensibles, propres à une période difficile du parcours vers l’âge adulte. En passant le flambeau à Kelsey Mann – qui endosse le rôle de réalisateur de long-métrage pour la première fois – le créateur du premier film Pete Docter semble avoir fait le bon choix tant le résultat parvient à dépasser toutes les attentes.
Une suite que Pixar ne pouvait pas rater
Suivant une année 2023 des plus tendues pour la Walt Disney Company, Pixar inaugure l’année 2024 avec pour lourde tâche de rattraper les erreurs passées. Puisque le studio Disney n’a même pas su convaincre les spectateurs avec son long-métrage en hommage à 100 ans d’animation, Wish : Asha et la Bonne Étoile, l’exercice s’annonçait pour le moins complexe. C’est en dégainant ses plus grandes franchises que la firme aux grandes oreilles compte remonter la pente.
Tandis que Vaiana prépare son retour pour la fin d’année, Vice-Versa 2 lance les festivités cet été et ne fait pas les choses à moitié. Avant même son lancement dans les salles françaises, le dernier Pixar a déjà décroché des records frappants, comme celui du meilleur lancement de l’histoire pour un film d’animation et le second meilleur lancement de l’année aux États-Unis (après Dune : Partie II).
Si la stratégie se montre déjà efficace d’un aspect purement marketing, les futurs spectateurs seront ravis d’apprendre que ce succès est amplement mérité. Vice-Versa 2 n’est pas une suite pensée pour vendre des tickets de cinéma : c’est une nouvelle histoire qui fait honneur à son ainée, tout en rendant hommage à l’héritage du studio. Après un Élémentaire aseptisé au possible et un Buzz l’Éclair à des années lumières du portfolio habituel de Pixar, le petit dernier retrouve enfin le charme et la puissance de ses prédécesseurs.
La volonté de bien faire est palpable dès les premiers instants du film. Outre une qualité visuelle toujours plus bluffante, Vice-Versa 2 brille par une écriture intelligente et diablement efficace. Il nous a rarement été donné de rire autant durant les 30 premières minutes d’un film d’animation. Avec un humour décalé et moderne, digne du génie de Kuzco alors trop en avance sur son temps, le film nous couvre de rire et de joie. De quoi replonger instinctivement le spectateur au cœur de la thématique émotionnelle, tout en préparant le terrain pour un retour à la réalité déstabilisant.
La juste balance des émotions
Il y a dix ans, les querelles entre Joie et Tristesse nous rappelaient l’importance de laisser chacune de nos émotions s’exprimer. Après cette première leçon mémorable, quoiqu’un peu simplette, Pixar s’attaque désormais à la complexité de l’adolescence et des nouveaux sentiments qui en découlent. Une direction qui implique la représentation d’émotions à connotations plutôt négatives, longtemps jugées taboues. Le jeu d’équilibriste auquel s’attèle le studio n’a rien d’aisé. Pourtant, réalisateur et scénaristes sont parvenus à esquiver les pièges majeurs d’une telle production.
Malgré la personnification caricaturale de l’embarras, de l’envie, de l’ennui et de l’anxiété, Vice-Versa 2 représente cette période difficile de la vie d’enfant avec le plus grand respect. Les équipes du film ont fait éclore de nouveaux concepts efficaces – comme la représentation physique de l’Estime de Soi – pour expliquer la complexité de notre nature en toute simplicité. Il n’est pas seulement question de définir les ados comme bombes à retardement émotionnelles, mais plutôt d’expliquer et de normaliser les mécanismes derrière leurs comportements.
De cette façon, le long-métrage coche toutes les bonnes cases pour les différentes audiences qu’il vise. Les adultes prendront plaisir à découvrir une belle rétrospective d’épreuves passées, tandis que les ados se sentiront compris et que les enfants pourront apprendre à ne pas avoir peur de la puberté. La dimension éducative du premier film et d’autant plus présente dans cette suite, grâce à un scénario plus travaillé, porté par des scènes toujours plus sincères, reflet de la nature humaine. L’aisance avec laquelle les artistes de Pixar encapsulent la nature humaine est encore une fois surprenante. Sans pour autant trouver le parfait équilibre, Vice-Versa 2 transpire d’une sincérité qui ne laissera aucun spectateur de marbre.
L’art de frapper en plein cœur
Le nouveau Pixar est une course émotionnelle qui maintient en haleine et ne laisse que peu de place au répit. Le rythme imposé par l’introduction électrisante est tenu tout au long de l’aventure : de quoi parfaitement représenter la tension de l’adolescence éphémère. Le film parvient à nous rappeler que si cette période paraît durer une éternité lorsqu’on la vit, celle-ci passe bien plus vite qu’on ne le pense à l’échelle de toute une vie.
Après nous avoir fait passer du rire aux larmes dans le premier volet, cette suite corse l’impact émotionnel en nous faisait passer du rire, aux larmes…à la crise existentielle. Vous trouviez le premier film trop léger ? Préparez-vous à être secoué. Une fois de plus, Pixar a le chic de déterrer nos sentiments les mieux enfouis pour nous apprendre à les appréhender et en faire une force.
Les nouvelles émotions débarquent au quartier général sans crier gare, une invasion autour de laquelle l’ensemble du scénario s’articule alors. Si cette cohabitation forcée s’impose comme l’un des points forts du film, elle est aussi à l’origine de l’un de ses plus grands défauts. En instaurant une séparation claire entre les deux groupes, le manque d’interaction entre les émotions originales et les nouvelles risque de décevoir plus d’un spectateur.
Aussi, l’omniprésence d’Anxiété finit par éclipser les autres émotions qui n’ont pas l’opportunité de briller à la hauteur de leur potentiel. Mais après tout, n’est-ce pas le défaut de l’anxiété au quotidien, que de mettre un voile sur nos autres capacités de jugement ? Malgré nos différences en tant qu’humains, Pixar parvient à nous offrir une histoire puissante, dans laquelle chacun pourra découvrir des pistes de réflexion pour en sortir grandi et guéri de certains maux du passé.
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Vis ta vie à revers…
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Ça fait maintenant quelques années que les mauvaises langues font leurs choux gras du manque de popularité des derniers Pixar… sans vraiment l’analyser, le comprendre ni même se rendre compte que Tout était déjà présent en germe, dès leurs premiers films dans les années 90/2000. Ceux portés aux nues de façon bien trop automatiques maintenant, passaient aussi pour des chefs d’œuvres grâce à leur Classicisme, en fin de compte. Des innovations techniques certes, et beaucoup d’idées scénaristiques osant traiter de sujets bien mélancoliques – le Lâcher-Prise notamment, présent dans l’intégralité de leurs films.
Néo classiques ces films… mais c’est un fait, ils étaient encore bien plus simples, primaires, obligatoirement nanti d’un méchant menaçant (qui a ses raisons, mais n’est pas très creusé). À leur époque, Tristesse aurait été un adversaire à maîtriser, rien de plus.
Facile de les concevoir comme des films poétiques, et très rocambolesques (les sempiternelles scènes de course-poursuite sont de purs instants cinématographiques), car c’était encore très enfantin à l’époque, très Rétro, très intemporel… Il y avait alors plus de place pour la mise en scène.
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Bref, vous ne l’aviez pas compris, mais ce n’était que le début. Celui où on vit l’instant Présent, et où on anticipe un Futur moins joyeux, plus complexe… sans jamais le montrer.
Jusqu’à ce qu’on arrive un jour à ces fameux instants futurs. Ça s’appelle Grandir, Mûrir.
Et voilà que Pixar a atteint pleinement ce statut Adulte, rechignant de plus en plus à revenir complètement à la petite enfance “toute immaculée”. Andy est majeur et Molly ne peut empêcher la mise à la retraite de Woody. Les ados et adulescents pullulent dans Pixar, on n’hésite pas à leur faire dégainer des téléphones portables (“horreur, de la technologie moderne !”)… et même quand on a des héros enfants, ils sont confrontés aux pires expériences de Vie – la honte, l’angoisse, la peur, la Mort (la vraie).
C’est comme ça, il faut l’accepter (lâcher prise donc) : Pixar Ne Peut Pas Revenir en Arrière. Et Ne le Doit Pas. Sinon ça ne serait pas cohérent avec ce qu’ils racontent depuis presque 30 ans.
Laissons d’autres nouveaux challengers essayer de faire leurs propres films pour enfants, poético-aventureux-cartoonesques-intemporels – en action réelle par exemple, comme on l’a vu avec “Blue et cie”.
Pour Pixar, ce n’est plus si pertinent, même si le chevronné Pete Docter partait et laissait la suite à des émules respectueux.
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Est-ce devenu un studio “de vieux” ? Ou de sages ?
Il n’y a plus d’innovations techniques (presque tout a déjà été fait), plus beaucoup de scènes virtuoses et épiques (c’était déjà le cas à partir de “Là Haut”), d’avantage de scènes de comédie, qui font d’autant plus ressortir les moments dramatiques très durs (l’incinérateur dans “Toy Story 3” avait déjà scandalisé quelques-uns), moins de Nostalgie cinéphile flirtant avec le Réac, quasiment plus d’antagonistes.
Dans le premier “Vice-versa”, il y avait quand-même tout pour faire croire qu’on était revenu au “bon vieux temps de Pixar”… suffit d’ouvrir avec un mignon bébé, qui deviendra une petite fille adorable et bien brave, avec un énième monde métaphorique bardé de couleurs et de mélange d’animations diverses, des acteurs très cools pour faire les voix, une musique charmante de Michael Giacchino, et cette continuelle dynamique entre les personnages, qui est la même depuis 1995 : le chefaillon de mauvaise foi et qui doit se remettre en question, son opposé qu’il doit accepter, la bande de copains qui sont surtout des comiques de service, tout ce beau monde travaillant pour le bien-être d’un enfant…
Et pourtant, ce film était bien plus vertigineux qu’on ne le croit, voire même tordu. Ces Émotions anthropomorphes, ne sont-elles pas des fragments de la personnalité de Riley ? “Vice-versa”, un film sur la schizophrénie et la dépression ?
Posant surtout la question de “qu’est-ce qui compose un être pensant ?”
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Malgré tout, le succès publique et critique fait de ce film un prodige, sans toutefois empêcher la production de suites… qui ne peuvent que décevoir, puisque quitter la prometteuse Riley enfant, ça oblige forcément à montrer les difficultés que rencontrera une Riley de plus en plus mature, ainsi que ses mauvais choix, pas toujours sympathiques – sinon, il n’y aurait aucune histoire à raconter…
Et ça, beaucoup n’en ont pas envie (“gâcher la fin du précédent, l’horreur ! laissez tranquille cette fille !”)… c’est comme si c’étaient nous qui étions les parents de Riley, et voudrions la surprotéger.
Qu’importe, la rançon du succès oblige Pixar à livrer régulièrement des suites “réconfortantes” à leurs films cultes, entre deux projets plus expérimentaux (ce que “Vice-versa” était déjà).
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Et pour cette suite là, le modèle évident sera “Toy Story 2” : un quasi remake du premier, avec plus de personnages inédits, les acolytes qui auront un rôle plus actif (les acteurs sont presque tous revenu), des angoisses futures encore plus explicitées…
Manque juste des moments d’action qui soient encore plus spectaculaires, ainsi qu’une exploration du territoire mental de Riley qui aurait révélé plus de nouvelles zones (à part le coffre-fort, où on ne reste pas longtemps)… et c’est aussi là que réside une incompréhension continue envers le Pixar actuel.
Peut-être est-ce parce que les animateurs ont moins de talent formel, ou moins de temps de production. Ou bien parce que les réalisateurs (ici, le débutant Kelsey Mann) n’en ont pas envie, et préfèrent se concentrer sur le cœur des films. Ça se fait au profit du suspense, de la réflexion, du drama, qui sont alors poussés à des extrémités incroyables pour un film américain Tout Public.
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Rendez-vous compte que, comme dans “Cars”, on débute plein pot sur une situation de compétition sportive (toujours le Hockey sur glace, mélange de grâce et de brutalité). Laquelle ne va pas quitter le film une seule fois, ça sera le contexte principal, loin des parents, loin de tout confort…
Et en parallèle, ça sera une bataille à distance entre deux générations d’Émotions, pour le “contrôle” de Riley. Adolescence oblige, les nouvelles venues s’installent de façon impulsive, mettent les autres dehors et s’approprient les manettes très vite, sans qu’il y ait ni la création de tensions progressives, ni même un schisme dans l’équipe initiale (Peur semblait pourtant séduit par cette nouvelle direction, et il aurait pu faire un traître idéal…). On peut y observer quelques ambivalences chez Colère, Embarras, Ennui, et pas grand chose pour tous les autres – Tristesse n’a plus un aussi grand rôle, et même une scène de traque avec elle se conclue de manière plate, sans qu’elle puisse faire preuve de sagacité.
De toute façon, on connaît tous la formule, on sait quelles sont les deux Émotions qui vont principalement se défier, alors pas de temps à perdre !
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Avec à la tête des arrivants, Anxiété. Personnage aussi flippant que flippé, et qui se révèle progressivement comme un commentaire sur les leaders populistes, qui jouent les Cassandre et détournent des institutions pour mieux avoir le contrôle (toute une scène à la “1984”, faisant aussi penser à une célèbre pub télé). À elle seule, Anxiété cristallise toute une époque qui voit le danger partout et craint la souffrance… mais sans jamais qu’on la juge pour ses actes, accomplis de bonne foi et dans la douleur.
Tandis que Joie (dont le visage se superpose régulièrement avec celui de Riley, via le montage) devient le symbole d’un monde heureux qui perd progressivement de sa force. En partie à cause du même syndrome du contrôle à tout prix, qui se retourne ainsi contre elle – on le sent dès le début, à sa manière nouvelle de trier les souvenirs.
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On peut aussi évidemment interpréter ses nouvelles Émotions comme étant le reflet de la dernière génération de films Pixar, qui opposeraient leur côté sophistiqué, angoissé et bordélique au caractère plus conventionnel et “primaire” des anciens. Jusqu’à, bien entendu, finir par trouver un accord, on connaît etc – toujours pas de méchant à pulvériser.
Ce studio ne cesse de se poser des questions sur son identité, et intègre même la notion de Croyance dans ce nouveau volet, amenant l’histoire vers des contrées de plus en plus jungiennes, ou rousseauistes, voir même théologiques (le symbole de l’arbre). Même si toutes les nouvelles idées philosophiques de Pixar empiètent un peu sur le rythme des films (tout ce qui concerne l’instinct), c’est le signe qu’il y a toujours des humains aux commandes.
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Et sans bégayer avec le récent (et très burlesque) “Alerte rouge”, cette suite arrive à traiter de l’adolescence féminine conflictuelle, en retrouvant précisément les mêmes sensations que le premier “Vice-versa ” :
La contamination par le Désespoir, petit à petit. Puis, une fois qu’on a réussi à tout résoudre en parlant honnêtement avec ses proches, on a l’émergence d’un sentiment de Plénitude absolue.
Ici, c’est juste fait d’une autre manière, avec une crise de panique dont la mise en scène est bouleversante… Et lorsque c’est fini, on peut alors se rappeler les propos de Woody, déclarant qu’il a hâte de voir les moments où Andy va devenir un adulte.
C’est bien ce qu’on commence à voir là avec Riley, dans toute sa splendeur.
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Donc oui, ce film génère encore de l’émotion, n’écoutez pas ceux qui vous diront le contraire… Ils n’étaient pas prêts à ce type de secousses, dévastatrices et en même temps tellement ordinaires.
C’est toujours Pixar quoi… mais différent.
Ce qui n’est pas du tout une mauvaise chose, et ne l’a jamais été.