Grosse semaine pour qui savoure les productions Apple TV+ comme un paquet de chips goût pesto mozzarella. À peine la saison 2 de Severance s’est-elle clôturée en laissant ses fans sur les dents que la plate-forme de streaming accouche d’une nouvelle série à croquer sans retenue. Aux manettes de The Studio, Seth Rogen et Evan Goldberg, deux noms qui ont autant posé leurs pieds sur le bureau des salles obscures avec des comédies comme SuperGrave qu’ils ont dynamité des genres en produisant des shows comme Preacher, The Boys ou Invincible. Deux adulescents fans de cinéma dont le talent n’a eu de cesse de maturer pour aboutir à l’un des meilleurs shows de l’année.
Matt Remick (Seth Rogen) est un cadre de Continental, un studio de cinéma dont la directrice (Catherine O’Hara) vient d’être limogée par le PDG Griffin Mill (Bryan Cranston). Remick y voit l’occasion de reprendre en mains le studio et d’enfin produire de vraies œuvres du septième art. Des principes qui s’effacent dès que Mill lui propose le poste, à la condition qu’il montre qu’il peut faire passer les intérêts financiers de Continental avant tout, notamment en produisant une franchise autour de la boisson Kool-Aid. À la tête des opérations, va-t-il pouvoir concilier nécessite de rentabilité et envie artistique ?
Hollywood chouine game
Hollywood aime se regarder le nombril avec des œuvres qui sentent bon la nostalgie des années folles de l’industrie comme La La Land, Babylon, Once Upon a Time... pour ne citer que la dernière fournée. Des films qui regardent vers le passé pour exprimer une version pessimiste du présent et de l’avenir du médium. Il faut dire qu’il est, aujourd’hui, plus facile de tirer sur l’ambulance en produisant ouvertement des satires ayant pour objectif de se moquer de ces travers sans pousser la réflexion plus loin. The Franchise, la série HBO / Max annulée après une saison en était un bon exemple en tapant sur Marvel avec délectation, mais en ne se limitant qu’à ça. Aurait-on vraiment voulu d’une saison 2 ? Pour dire quoi de plus ?

The Studio part de ces mêmes idées en dressant peu reluisant des coulisses de ces productions où les belles intentions disparaissent en fonction du nombre de zéro sur un chèque et où la guerre d’ego fait rage. Comme le résume si bien le personnage de Catherine O’Hara, il y a tellement d’intérêts divergents dans le processus, que cela tient déjà du miracle si le film se fait, alors un bon film…
Le bébé de Seth Rogen, Evan Goldberg, Alex Gregory, Frida Perez et Peter Huyck est un portrait furieusement drôle de tout le processus. Phase de casting, discussions avec les exploitants, marketing, choix du réalisateur… chaque épisode va se concentrer sur un moment particulier de la création et de tout le bordel que cela peut engendrer lorsqu’un dirigeant privilégie ce que les talents pensent de lui, qu’une réalisatrice part en quête du plan parfait ou qu’on donne la main sur le montage final au cinéaste. Qu’on travaille ou non dans l’industrie, jamais The Studio laisse présager que ces situations soient entièrement fictives et on sent l’expérience au sein de la profession de ses auteurs, avec la dose d’exagération qu’il convient.
Série pour cinéphiles
Cynique oui, corrosif par moments, néanmoins, la série n’est jamais méchante gratuitement. Au contraire, on sent que si Rogen et Goldberg ont connu leurs plus grands succès sur le petit écran, il y a un profond respect pour la salle obscure et ils sont avant tout des enfants du cinéma. Remick est une sorte d’anti-héros biberonné à la pellicule qui n’a aucune autre passion et qui prend trop soin de défendre ses artistes, souvent contre l’intérêt de tous, y compris d’eux-mêmes. Son collègue et ami Sal (Ike Barinholtz), la jeune et ambitieuse Quinn (Chase Sui Wonders) ou encore la chef du marketing Maya obsédée par la nouvelle génération (génialissime Kathryn Hahn), tous les protagonistes sont dévoués à leur boulot. The Studio met en lumière les décideurs, les faiseurs et toutes les « petites mains » qui les entourent. Une série qui crie que le blockbuster peut aussi être un art et que le cinéma est fait de gens qui se battent pour qu’il continue d’exister.

Le terme est usé jusqu’à la moelle, mais The Studio est bien une « déclaration d’amour » au cinéma. Cela passe évidemment par une pluie de caméos réjouissants où réalisateurs et acteurs viennent jouer leur propre rôle avec juste ce qu’il convient d’esprit parodique, afin de correspondre parfaitement à l’image que l’on se ferait d’eux. D’autant que certains ont même droit à de vrais arcs narratifs.
Avec du recul, c’est peut-être le seul défaut objectif que l’on pourrait reprocher à The Studio, celui d’un certain entre-soi qui aura plus de mal à toucher un public qui manquerait de références. Certes, le show reste drôle et amusant par le grotesque de ses personnages et l’enchaînement catastrophique des situations, néanmoins, il assume s’adresser principalement aux cinéphiles.
Le show le plus show de tous les shows
Rogen et Goldberg se chargent de presque l’ensemble de la réalisation de la série en faisant le choix du moins de coupes possible. D’abord déroutante, la mise en scène trouve vite son intérêt dans l’énergie qu’elle provoque, transmettant bien la frénésie qui entoure les locaux d’un studio de production où tout le monde court et où on ne prend pas le temps d’écouter l’autre. Ce n’est pas un bureau, c’est un ring. Ce qui n’empêche pas de s’amuser derrière la caméra en jouant la mise en abyme, comme lorsque l’épisode 2 tourne autour d’un plan-séquence et qu’il est réalisé lui-même en intégralité en plan-séquence. Ou encore l’épisode sur le tournage d’un film « à la Chinatown » qui se transforme en film noir.
Et la série comique a beau crier « le cinéma est mort, vive le cinéma », elle n’oublie jamais ce qu’elle est, une série. The Studio respecte son médium en renouant avec l’esprit des shows au fil rouge discret dont les épisodes, de trente minutes chacun, peuvent presque se regarder dans le désordre. On est face à une production qui sait ce qu’elle fait de A à Z et qui le fait bien. Là où le nombre d’épisodes et la durée de ces derniers ont été sujets à débat sur de nombreux shows récents, cette première saison nous fait presque l’effet d’un trop peu tant on a pris plaisir au visionnage.
Bref 2, Adolescence et maintenant The Studio… En ce premier trimestre 2025, les créateurs ont pris les choses en main sur les plates-formes de streaming en nous offrant des séries qui nous rappellent combien elles peuvent être grandes, importantes, divertissantes, marquantes.
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