Critique The Northman : un morceau (sanguinolent) de cinéma 🪓

Si certains accusent (pas forcément à tort) le cinéma hollywoodien d’être rentré dans une certaine torpeur en cultivant le goût du non risque avec des films interchangeables aux bases identiques (action, humour et fan-service, soit les trois lois du divertissement moderne), Robert Eggers continue de secouer le cocotier cinéphile en proposant des projets fous. Et on serait fous de passer à côté. Après avoir bousculé le cinéma de genre avec The Witch et envoyer Robert Pattinson et Willem Dafoe se perdre dans un phare dans The Lighthouse, le réalisateur part pour le Nord de l’Europe pour s’intéresser à la mythologique nordique. Au bout de 2h15, le résultat est sans appel, la série Vikings est à The Northman ce que Wall-E est à Robocop.

The Northman nous conte la destinée du prince Amleth qui, à peine passé l’âge d’homme, assiste à l’assassinat de son père et à l’enlèvement de sa mère par son oncle, Flölnir. Ayant fait la promesse de venger les siens, Amleth devient un berserkr, un guerrier viking se battant avec une fureur bestiale. Lorsque, deux décennies plus tard, l’occasion se présente, il se déguise en esclave pour approcher son oncle. Avec l’aide d’Olga, une jeune slave également esclave, il va mettre en route sa vengeance.

Hamlet le Barbare du Nord

Partant d’une histoire au final assez classique qui ne sera pas sans rappeler le Hamlet de Shakespeare, le réalisateur signe une œuvre qui mêle tragédie familiale, héritage et folie, le tout avec la sauvagerie d’un Conan le Barbare. Et même si la carrure monstrueuse d’Alexander Skarsgård ravive à nos souvenirs celle d’Arnold Schwarzenegger, cette filiation tient davantage des écrits de Robert E. Howard que du film de John Milius tant on retrouve l’agilité et l’intelligence du personnage romanesque qui faisait légèrement défaut à son pendant Autrichien musculeux.

The Northman se rapproche également des récits d’Howard en prenant l’apparence d’un conte dans lequel les exploits des hommes deviennent des légendes que l’on raconte et où des êtres de chair côtoient l’immatériel. Bien sûr, cette dimension fantastique ne tient pas tant aux travaux d’Hercule qu’au folklore viking dont le réalisateur et son co-scénariste Sjon (lui-même auteur de romans) se sont imprégnés.

The Northman nous immerge totalement dans la mythologie nordique en accordant une grande importance aux rites et aux croyances en vigueur au dixième siècle chez les Vikings. En ne faisant aucune distinction entre le réel et la psyché de ses personnages, le film donne un aspect tangible à ses versants les plus fantastiques. La magie et le divin existent parce que leur présence ne fait aucun doute dans l’esprit des protagonistes. On voit ce qu’ils voient, qu’importe la nature de ces visions.

Loin de ne signer qu’un banal récit de vengeance, Eggers nous livre un large tableau d’une culture avec ses jeux, ses coutumes, la transformation de ses guerriers mi-hommes mi-animaux… Autant de matières qui enrichissent l’œuvre et qui accompagnent le destin du guerrier.

God of War

Bien qu’il ne se montre finalement pas aussi généreux en carnage qu’on pouvait le supposer, The Northman rappelle constamment que la carrure d’Alexander n’est pas là pour l’esthétisme. Lorsque la fureur guerrière se déchaîne, le film prend soudain un ton bien plus horrifique avec un goût pour la bidoche qui ferait plaisir à Mel Gibson. La violence est palpable et la cruauté ô combien visuelle.

The Northman est un film violent, que ce soit par son image ou ses propos, mené par un casting habité par la folie, peu importe la nature de cette dernière. Robert Eggers nous propose un cinéma primal où les bêtes humaines s’entre-dévorent dans l’acier et le sang.

Le réalisateur accouche d’une œuvre sans concession qui multiplie les plans fantasmagoriques pour lier l’homme et l’animal, le rêve et la réalité, la poésie et la barbarie. La beauté est malaise, la cruauté est majesté et l’ensemble est enveloppé dans une partition sonore flamboyante. Le cinéaste avait l’ambition de réaliser le film de Vikings ultime. On est pas loin de penser qu’il a réussi.

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