Si le public français peut continuer à rouspéter quant à son absence sur grand écran (les règles étant différentes quant aux diffusions d’oeuvres Netflix au cinéma aux États-Unis), c’est un fait, David Fincher se sent comme chez lui sur la plate-forme de streaming avec qui il collabore depuis House of Cards.
Normal, cet obsessionnel du contrôle créatif absolu a connu tant de mésaventures avec les studios hollywoodiens que quand le N rouge lui a signé un chèque en blanc, il n’a pas réfléchi à deux fois. Et tant pis s’il faut parfois se plier aux décisions du service de SVoD comme avec l’annulation de sa série Mindhunter, cela lui a permis de signer son film le plus personnel, dédié à son père, il y a trois ans avec Mank. Un métrage qui a autant ses admirateurs que ses détracteurs tant il semblait parfois trop oublier le spectateur. Un reproche qui ne pourra être fait à The Killer, tant le spectateur est justement la cible du tueur Fincher.
Ici, un assassin professionnel voit toute sa vie basculée après l’échec d’une mission. En quête de vengeance, on va le suivre petit à petit remonter la chaîne alimentaire. L’histoire est simpliste et peut s’apparenter à une modeste série B en mode « revenge movie » dont les studios, de streaming ou non, aiment nous abreuver. Sauf qu’encore une fois, il faut se rappeler qui signe le film. On parle d’un cinéaste aimant s’approprier les codes d’un genre pour mieux les questionner, les bousculer. Est-ce qu’on peut réduire Panic Room à un « home invasion » quelconque ? Seven à un thriller banal ?
En s’appropriant la bande dessinée de Matz & Jacamon, David Fincher se lance dans une œuvre froide, tendue, menée par les réflexions d’un tueur détaché, quasiment mutique. Les vingt premières minutes installent admirablement le personnage ainsi que ce qui va suivre : il faut suivre le plan, ne faire confiance à personne, anticiper et ne pas s’attacher. Un anti-héros qui base sa réussite sur sa distance avec le monde, avec la masse et avec les attentes du spectateur.
Car loin de nous présenter une figure charismatique, reconnaissable, éliminant ses cibles avec panache, le tueur de Fincher se doit de ressembler à n’importe qui, faire preuve de patience et maîtriser l’ennui. Observation, préparation, élaboration. L’homme est clinique, méthodique, cynique. À l’action, le réalisateur privilégie une tension omniprésente qu’il manie si bien, offrant au passage un formidable terrain d’expression pour un Michael Fassbender qu’on n’avait pas vu aussi talentueux depuis un moment.
The Killer de la mise en scène
Mais la grande force de The Killer est de rappeler à quel point la mise en scène peut raconter toute une histoire qui pourrait presque se passer de dialogue. Même s’il se défend lui-même de cette analyse, difficile de ne pas voir en son tueur l’image d’un David Fincher qu’on connaît maniaque du contrôle jusqu’à refaire cent fois une scène jusqu’à ce qu’il obtienne exactement ce qu’il veut. Et lorsque la situation leur échappe, assassin ou réalisateur même combat : de l’improvisation peut naître la meilleure solution. Ou pas. The Killer est autant une réflexion sur la méthodologie que sur notre capacité à accepter l’inattendu.
Si Fincher signe une sorte d’introspection sur le métier, il n’y a, comme à son habitude, aucune improvisation dans The Killer et on reconnaît le style du maître d’orchestre à des kilomètres. La précision du cadre, la maîtrise de la narration, tout y est chirurgical jusqu’à une scène de combat qui donne une leçon à bien des actionners grâce au découpage de Kirk Baxter et au jeu de lumière naturelle dont raffole Fincher.
Mais il ne faut pas croire que le réalisateur se laisse porter par ses habitudes puisqu’il s’amuse à explorer de nouveaux territoires à l’image d’une caméra à l’épaule exprimant la perte de contrôle de son personnage, comme si le cadre, personnification de l’esprit de son protagoniste, devenait instable, étroit, et qu’il fallait faire naître le mouvement pour trouver la stabilité. Comme toujours le cinéaste prouve que la réalisation est une science et qu’un film résulte de l’alchimie des éléments.
Surtout que, et on en a l’habitude, Fincher ne néglige rien jusque dans la sonorité de son film. Trent Reznor & Atticus Ross signent une bande originale aussi ténébreuse que son sujet et Ren Klyce fait un travail fantastique sur l’ambiance sonore qui accompagne les monologues intérieurs de l’assassin.
Le spectateur dans le viseur
Dans un sens, ce long-métrage est sans doute celui qui correspond le plus à son metteur en scène, y glissant toutes ses mimiques, ses paradoxes. Ainsi, The Killer peut être vu sous bien des angles, des pistes de lecture tant il raconte finalement beaucoup par le prisme d’une histoire d’apparence banale.
Comment ne pas se sentir visé lorsque Fincher prouve que notre rapport à la technologie, à la sécurité, finit par être notre plus grand ennemi puisque le tueur les utilise comme des armes pour nous atteindre. Néanmoins, ce même tueur, qui se veut hors des clous, finit constamment par rentrer dans la norme, comme si on ne pouvait y échapper. The Killer est un récit sur la fatalité ou son absence. Au fond, il y a une forme d’humour dans le long-métrage tant il s’amuse à prendre le contre-pied systématique et volontaire de ce que son protagoniste cherche à obtenir. C’est un tour de force habile qui aime moquer un système tout en lui offrant un caractère immuable.
The Killer est une leçon de cinéma, de narration, de mise en scène qui va droit au but tout en se permettant de raconter beaucoup. C’est une œuvre surprenante tout en étant purement fincherienne. Un métrage ludique qui n’oublie jamais son tueur ni son public. Un film qui brille même dans ses imperfections (notamment une fin un peu trop classique). David Fincher vient tout simplement, encore une fois, de tuer la concurrence.
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Effectivement, un oeuvre cinématographique intéressante, mais je n’ai pas compris la fin en laissant la vie au donneur d’ordre. Bizzare ne ne s’en prendre qu’aux exécutants des basses besognes.
Je suis resté donc circonspect sur cette fin tellement clichée.
C’est pas le client qui a ordonné le nettoyage mais le “gérant” qui a proposé au client via une rallonge le nettoyage du meurtre raté d’où cette fin, enfin ce n’est que mon point de vue.
En tout cas je suis surpris d’être d’accord avec la critique JDG c’est plutôt rare.^^
J’ai trouvé le film d’un nul absolu. Difficile de dire exactement pourquoi. Je crois que c’est surtout un tout. Le rythme est nul, l’histoire est … nulle.
Bref j’ai perdu mon temps.
Le tueur est une allégorie de l’IA.