Revenir là où tout a commencé pour mieux repartir de zéro. C’est le pari tenté par Smoke et Stack, deux frères noirs jumeaux, qui décident de rentrer dans leur ville natale pour se racheter une conduite. Le passé laisse des traces et nos deux hommes d’affaires décident d’investir dans une vieille scierie pour monter un club de blues. Business is business, Smoke et Stack n’hésitent pas à renouer avec d’anciennes amitiés, plus forcément aussi solides qu’avant et à affronter de vieilles rancœurs pour recruter du personnel et organiser une soirée d’inauguration digne de ce nom. Sauf qu’évidemment, la nuit ne va pas se passer comme prévue…
L’intrigue de Sinners semble convenue et c’est sa principale force, puisque le film est en quelque sorte un sacré trompe-l’œil. Si vous aviez vu la bande-annonce et suivi la com’ très minimaliste autour du film, vous avez peut-être déjà deviné que nos frères jumeaux et le reste des habitants vont être confrontés à une bande de vampires (ce qui n’a jamais été un réel mystère non plus). Mais le dernier film de Ryan Coogler ne peut se résumer simplement à un énième traitement du vampirisme ou une multiplication par deux de son acteur star, une habitude en ce moment pour Warner Bros, qui a déjà dupliqué Robert Pattinson dans Mickey 17 et Robert de Niro dans The Alto Knights. Sinners, c’est beaucoup plus que ça. Du moins c’est ce qu’on comprend en savourant les 2h17 du film.
Miles Caton, inconnu au bataillon et véritable sensation
Sinners, c’est d’abord un Michael B. Jordan au sommet de son art qui nous offre une double interprétation remarquable. Ryan Coogler et l’intéressé n’en sont pas à leurs coups d’essais – les deux hommes ont collaboré sur Creed, Creed 3, et les films Black Panther – et le deuxième, bien qu’il incarne deux jumeaux, arrive à nous livrer deux versions de lui-même tout aussi distinctes. Si Smoke et Stack se ressemblent et partagent un but commun, ils ont des objectifs personnels distincts, qui auront des répercussions sur l’histoire. Outre Michael B. Jordan, le reste du casting est du même standing : Hailee Stainfeld est envoûtante, Jack O’Connell est dérangeant en méchant, tout ce joli monde s’accorde à merveille avec Delroy Lindo (Malcolm X, Romeo Must Die), Wunmi Mosaku (Loki) ou encore Omar Benson Miller (8 Mile, Transformers).
Mais la vraie plus-value du film, c’est Miles Caton, un jeune chanteur de gospel de 20 ans, fils de pasteur, comme le personnage qu’il incarne dans le film, Sammie, dont la musique, en plus d’attirer notre horde de vampires, va aussi provoquer des événements pour les moins surnaturels. Miles Caton, c’est LA révélation du film, aussi bien dans son jeu d’acteur – il s’agit de son tout premier rôle – que dans sa performance de musicien, tout simplement bluffante. L’adjectif convient à l’ensemble du film, qui est un formidable hommage à la musique blues et à ses incarnants, avec une bande originale rythmée, dynamique et riche en émotions. Sinners nous offre une partition musicale bouleversante, avec comme souvent chez Ryan Coogler un renvoi au contexte de l’époque mise en avant. Ici, il s’agit de l’Amérique des années 30, en pleine prohibition et en pleine montée aussi du racisme, avec la présence du Klu Klux Klan et de la elation de défiance profonde entre les Noirs et les Blancs. Tout transpire cette ambiance, aussi bien les décors, la photographie, le grain de l’image ou les dialogues, avec des répliques parfois crues et qui ne s’embarrassent pas de fioritures.
Une Nuit en Enfer, mais plus vibrant et plus profond
On l’a dit, Sinners est un formidable trompe-l’œil, un film aux genres et aux thématiques multiples et il est difficile de ne pas lui associer le long-métrage culte de Robert Rodriguez, Une Nuit en Enfer, tant les deux œuvres se ressemblent : deux frères gangsters en quête de rédemption, une histoire qui tourne mal avec des créatures de la nuit en antagonistes, un périple qui s’étale sur une journée et une sorte de huis clos dans la deuxième partie du film… Même dans les effets spéciaux, les deux films se ressemblent. Les gerbes de sang tout comme les affrontements contre les vampires ont un rendu un peu kitsch, un peu grossier. Si on n’a pas su déterminer si cela était volontaire de la part de Ryan Coogler, le résultat est en décalage (pour ne pas dire un peu décevant, honnêtement) avec le reste du film, qui soigne absolument tous les autres aspects.
Toutefois et s’il ne révolutionne pas le mythe des vampires, Sinners a cet angle, cette approche, cette fraîcheur et ce ton qui le démarque des autres et c’est finalement une bonne nouvelle, compte tenu du début d’année assez décevant niveau cinéma. Reste à savoir si le genre du film et son plan de communication jusque-là (les vampires, Michael B. Jordan en double, acteur suffisamment bankable pour porter un projet sur son nom seul) lui permettront de ne pas rejoindre Mickey 17 ou The Alto Knights, pour rester dans les dernières productions du côté de chez Warner, dans la case déception au box-office. Parce qu’il est clair que le film de Coogler mérite mieux, beaucoup mieux que ça même. Alors que Minecraft cartonne en salles – pour une qualité intrinsèque plus que discutable – et que les premiers films attendus de 2025 peinent à assumer les investissements consentis, Sinners et ses 90 millions de dollars a son épingle à tirer. A condition que le public suive, évidemment.
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